Arrêt de la Cour (cinquième chambre) du 30 avril 1991. – SCP Boscher, Studer et Fromentin contre SA British Motors Wright et autres. – Demande de décision préjudicielle: Cour de cassation – France. – Mesure d’effet équivalent – Libre prestation de services – Voitures de luxe et d’occasion – Ventes aux enchères publiques. – Affaire C-239/90.

Par un arrêt rendu dans le cadre d’une procédure préjudicielle, la Cour de justice des Communautés européennes s’est prononcée sur la compatibilité d’une législation nationale avec les principes de libre circulation. En l’espèce, une société de droit allemand avait chargé une société de commissaires-priseurs française de procéder à la vente aux enchères publiques de véhicules d’occasion. Des sociétés concurrentes ont saisi la justice française afin de faire interdire cette vente. Elles se fondaient sur une loi de 1841 qui interdit les ventes aux enchères publiques de marchandises d’occasion par des commerçants non-inscrits au registre du commerce dans le ressort du tribunal où la vente a lieu depuis au moins deux ans. Le juge des référés du tribunal de grande instance de Paris a fait droit à cette demande et a interdit la vente. Cette décision a été confirmée par un arrêt de la cour d’appel de Paris. Un pourvoi a alors été formé devant la Cour de cassation, laquelle a décidé de surseoir à statuer et de poser plusieurs questions préjudicielles. Il était demandé à la Cour de justice si une telle situation relevait de la libre prestation de services ou de la libre circulation des marchandises, et si la législation nationale constituait une restriction compatible avec les traités. La Cour de justice a jugé que l’opération relevait de la libre circulation des marchandises et que la législation nationale constituait une mesure d’effet équivalent à une restriction quantitative, interdite par l’article 30 du traité et non justifiable au titre de l’article 36.

La solution de la Cour de justice clarifie l’articulation entre les différentes libertés de circulation, en donnant la primauté à la libre circulation des marchandises lorsque la prestation de service n’est que l’accessoire de la vente (I). Elle procède ensuite à une application rigoureuse des règles relatives aux entraves aux échanges, en censurant une mesure nationale jugée disproportionnée (II).

I. La qualification exclusive de l’opération au regard de la libre circulation des marchandises

La Cour de justice a d’abord dû déterminer le régime applicable à la situation litigieuse. Elle a logiquement écarté la libre prestation de services (A) pour retenir l’application exclusive des règles relatives à la libre circulation des marchandises (B).

A. Le rejet de l’application de la libre prestation de services

La juridiction de renvoi interrogeait la Cour sur l’applicabilité de l’article 59 du traité, relatif à la libre prestation de services. La Cour écarte cette qualification en se fondant sur une lecture stricte de l’article 60 du traité. Ce dernier dispose que les prestations fournies contre rémunération sont considérées comme des services « dans la mesure où elles ne sont pas régies par les dispositions relatives à la libre circulation des marchandises, des capitaux et des personnes ». La Cour en déduit un principe de subsidiarité de la qualification de service. En l’occurrence, l’objet principal de l’opération n’est pas la prestation d’organisation de la vente aux enchères, mais bien la commercialisation de biens matériels.

La Cour constate ainsi qu’une législation qui « concerne les conditions exigées pour la commercialisation de marchandises faisant l’objet d’échanges entre les États membres, est soumise aux dispositions du traité relatives à la libre circulation des marchandises ». Le fait que la vente se réalise par le truchement d’un service, celui des commissaires-priseurs, ne suffit pas à attirer l’ensemble de l’opération sous l’empire du droit des services. La finalité économique de l’opération, à savoir le transfert de propriété de biens, demeure déterminante pour qualifier la situation juridique. Cette approche pragmatique évite un conflit de qualification et assure une application cohérente des libertés fondamentales.

B. L’affirmation de l’application de la libre circulation des marchandises

Ayant écarté le régime des services, la Cour confirme que la situation doit être analysée au regard des articles 30 et suivants du traité. La législation française ne réglemente pas une profession ou une activité de service en tant que telle, mais pose une condition à la vente de certains produits sur le territoire national. Or, la commercialisation de produits constitue le cœur même de la libre circulation des marchandises. La Cour affirme donc que la réglementation en cause, bien que relative à une modalité de vente particulière, affecte directement l’accès au marché pour des produits provenant d’un autre État membre.

Cette qualification est essentielle, car elle détermine l’étendue du contrôle exercé par la Cour. En plaçant le litige sur le terrain de l’article 30 du traité, elle se donne les moyens d’examiner si la mesure nationale constitue une mesure d’effet équivalent à une restriction quantitative. La Cour réaffirme ainsi que toute réglementation nationale susceptible d’affecter le commerce intracommunautaire, y compris celles qui ne visent pas directement le produit mais ses conditions de commercialisation, tombe dans le champ d’application de l’article 30.

II. La censure d’une entrave injustifiée à la libre circulation des marchandises

Une fois le cadre juridique posé, la Cour examine la compatibilité de la loi française avec l’article 30 du traité. Elle la qualifie de mesure d’effet équivalent (A) avant de rejeter sèchement les justifications avancées pour son maintien (B).

A. La caractérisation d’une mesure d’effet équivalent

La Cour rappelle sa jurisprudence classique issue de l’arrêt *Dassonville*, selon laquelle l’interdiction de l’article 30 « vise toute réglementation commerciale des États membres susceptible de faire obstacle directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement, au commerce intracommunautaire ». En l’espèce, l’exigence d’une inscription au registre du commerce depuis deux ans dans le ressort géographique de la vente constitue bien une telle entrave. En effet, un commerçant établi dans un autre État membre ne peut, par définition, remplir cette condition sans établir une présence stable et durable en France, ce qui contrevient à la nature même du commerce transfrontalier.

La Cour souligne que cette obligation prive l’opérateur économique d’une méthode de commercialisation et l’oblige « soit de recourir à un commerçant exerçant son activité sur le lieu de la vente, soit de renoncer au système de la vente aux enchères publiques ». Une telle contrainte engendre des frais supplémentaires et des difficultés pratiques qui dissuadent l’importation de biens pour les vendre de cette manière. La mesure est donc clairement de nature à entraver la libre circulation, même si elle s’applique indistinctement aux produits nationaux et importés.

B. L’absence de justification de la restriction

La Cour examine ensuite si cette entrave peut être justifiée, soit par des exigences impératives d’intérêt général, soit par l’une des dérogations prévues à l’article 36 du traité. S’agissant de la protection des consommateurs, la Cour estime que la mesure est disproportionnée. Elle note que les acheteurs dans les ventes aux enchères sont souvent des personnes averties et que des garanties existent. Plus fondamentalement, elle juge qu’il est « possible d’imposer des conditions de nature à protéger les consommateurs et comportant des effets moins restrictifs pour la libre circulation des marchandises ». L’exigence d’une inscription locale et ancienne est donc jugée excessive au regard de l’objectif poursuivi.

Quant à la justification tirée de l’ordre public, avancée pour prévenir la vente d’objets volés, elle est également rejetée. La Cour considère que cet objectif peut être atteint par des mesures de contrôle appropriées et moins restrictives, « telles que la vérification du numéro de châssis » pour les véhicules. En appliquant un contrôle de proportionnalité strict, la Cour réaffirme que les dérogations au principe de libre circulation doivent être interprétées de manière restrictive et ne sauraient couvrir des mesures nationales qui ne sont pas strictement nécessaires à la réalisation de l’objectif légitime invoqué.

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