Arrêt de la Cour (cinquième chambre) du 30 janvier 1997. – Livia Balestra contre Istituto nazionale della previdenza sociale (INPS). – Demande de décision préjudicielle: Pretura circondariale di Genova – Italie. – Directives 76/207/CEE et 79/7/CEE – Egalité de traitement entre hommes et femmes – Calcul des crédits de cotisations complémentaires de retraite. – Affaire C-139/95.

Par un arrêt rendu sur renvoi préjudiciel d’une juridiction italienne, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé la portée de la dérogation au principe d’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière de sécurité sociale. En l’espèce, une ressortissante italienne, employée par une entreprise déclarée en état de crise, avait sollicité le bénéfice d’un régime de préretraite. Conformément à la législation nationale, l’âge normal de la retraite était fixé à cinquante-cinq ans pour les femmes et soixante ans pour les hommes, tandis que l’accès à la préretraite était possible dès cinquante ans pour les femmes et cinquante-cinq ans pour les hommes. Le régime prévoyait l’octroi d’un crédit de cotisations complémentaires pour la période comprise entre la cessation d’activité et l’âge normal de la retraite, dans une limite maximale de cinq ans. La requérante, ayant pris sa préretraite à cinquante-quatre ans et sept mois, s’est vu attribuer un crédit de cinq mois seulement. Elle a contesté cette décision, arguant qu’un travailleur masculin dans une situation comparable aurait bénéficié d’un crédit de cinq ans, et a soutenu que la législation nationale violait le principe d’égalité de traitement consacré par les directives européennes. Saisie de la question, la juridiction de renvoi a interrogé la Cour de justice sur la conformité de ce dispositif au droit communautaire. Il s’agissait de déterminer si la faculté laissée aux États membres de fixer des âges de retraite différents selon le sexe les autorisait également à maintenir une différence liée dans le calcul des prestations de préretraite. La Cour a répondu par l’affirmative, jugeant qu’une telle différenciation est couverte par la dérogation prévue à l’article 7, paragraphe 1, sous a), de la directive 79/7/CEE, dès lors qu’elle est la conséquence objective et nécessaire de la différence d’âge fixée pour la retraite.

La solution de la Cour repose sur une interprétation stricte du champ d’application de la dérogation au principe d’égalité (I), laquelle conduit à admettre la validité de la discrimination litigieuse au nom de la cohérence du système de sécurité sociale (II).

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I. L’application de la dérogation relative à l’âge de la retraite au calcul des prestations de préretraite

La Cour de justice circonscrit d’abord le cadre juridique applicable au litige avant d’examiner la portée de la dérogation autorisant des âges de retraite distincts. Elle écarte la directive relative à l’égalité de traitement en matière de conditions de travail pour ne retenir que celle concernant la sécurité sociale (A), dont elle rappelle que la dérogation doit être interprétée de manière restrictive (B).

A. L’exclusion du champ des conditions de travail au profit de la sécurité sociale

La juridiction de renvoi interrogeait la Cour sur l’interprétation conjointe des directives 76/207/CEE, relative à l’accès à l’emploi et aux conditions de travail, et 79/7/CEE, visant la sécurité sociale. La Cour écarte rapidement l’application de la première directive. Elle constate que, bien que la préretraite intervienne dans un contexte de crise économique de l’entreprise, les prestations versées ne peuvent être assimilées à des conditions de licenciement. La Cour souligne que ces prestations sont « directement réglementées par la loi et obligatoires pour certaines catégories générales de travailleurs ». De plus, leur finalité est de couvrir le risque vieillesse, ce qui les rattache sans équivoque au champ matériel de la directive 79/7/CEE. En l’occurrence, la cessation d’activité résultait d’une démission volontaire et non d’un licenciement, ce qui renforce l’analyse. Cette qualification est déterminante, car elle déplace le débat sur le terrain de la sécurité sociale, où des dérogations au principe d’égalité de traitement, bien que limitées, sont expressément prévues par les textes.

B. Le périmètre conditionnel de la dérogation liée à l’âge de la retraite

Le cœur du raisonnement juridique se situe dans l’interprétation de l’article 7, paragraphe 1, sous a), de la directive 79/7/CEE. Cette disposition autorise les États membres à exclure de son champ d’application « la fixation de l’âge de la retraite pour l’octroi des pensions de vieillesse et de retraite et les conséquences pouvant en découler pour d’autres prestations ». Se fondant sur sa jurisprudence constante, la Cour rappelle que la dérogation concernant les « conséquences » est d’interprétation stricte. Elle ne vise que les discriminations qui sont « nécessairement et objectivement liées » à la différence d’âge de départ à la retraite. Toute autre discrimination fondée sur le sexe serait contraire à l’article 4 de la directive, dont l’effet direct a été reconnu. En posant cette double condition, la Cour établit un test rigoureux : le lien entre la discrimination constatée dans le calcul d’une prestation et la différence d’âge pour la retraite doit être à la fois direct et indispensable. C’est à l’aune de ce critère que la Cour va apprécier la légalité du dispositif italien de préretraite.

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II. L’appréciation du lien objectif et nécessaire entre la différence d’âge et le calcul de la prestation

La Cour de justice procède en deux temps pour vérifier si le critère qu’elle a posé est satisfait. Elle constate d’abord l’existence d’un lien objectif découlant de la conception même du régime de préretraite (A), avant de juger que le maintien de la discrimination est nécessaire pour préserver la cohérence interne du système de prestations sociales (B).

A. La reconnaissance d’un lien objectif entre le calcul du crédit de cotisations et l’âge de la retraite

La Cour observe que la discrimination subie par la requérante est une conséquence mathématique directe de la législation. Le calcul du crédit de cotisations complémentaires est en effet borné par l’âge légal de la retraite, qui diffère pour les hommes et les femmes. La Cour énonce que la discrimination « découle directement du fait que celui-ci est fixé à 55 ans pour les premières et à 60 ans pour les seconds ». La règle de calcul de la prestation de préretraite est neutre en apparence, mais son application produit un résultat différentiel en raison de la variable de l’âge de la retraite. Le lien est donc bien objectif, car la différence de traitement dans le calcul de la prestation n’est pas une mesure autonome, mais une conséquence mécanique de la fixation d’âges de retraite distincts. Cette première condition étant remplie, il reste à démontrer que ce lien est également nécessaire.

B. La justification de la discrimination par la préservation de la cohérence du système

L’analyse de la nécessité de la mesure discriminatoire constitue le point d’orgue de l’arrêt. La Cour estime que la suppression de cette différence de traitement introduirait des incohérences et de nouvelles discriminations. D’une part, accorder à une travailleuse un crédit de cotisations au-delà de l’âge normal de sa retraite la placerait dans une situation plus favorable qu’une femme ayant travaillé jusqu’à cet âge, créant une distorsion injustifiée. D’autre part, cela engendrerait une discrimination à rebours à l’encontre des travailleurs masculins. En effet, une femme partant en préretraite peu avant cinquante-cinq ans pourrait bénéficier d’un crédit de cinq ans, alors qu’un homme dans la même situation par rapport à son propre âge de retraite (soixante ans) ne recevrait qu’un crédit couvrant la période résiduelle. La Cour conclut que le refus d’octroyer le crédit de cotisations au-delà de cinquante-cinq ans pour les femmes « est nécessaire pour préserver la cohérence entre le régime des pensions de retraite et le régime de préretraite en cause ». La discrimination est donc validée, non comme une fin en soi, mais comme un instrument nécessaire à l’équilibre et à la logique d’ensemble du système de protection sociale national.

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