Arrêt de la Cour (cinquième chambre) du 30 janvier 1997. – Wiljo NV contre Belgische Staat. – Demande de décision préjudicielle: Rechtbank van Koophandel Antwerpen – Belgique. – Assainissement structurel de la navigation intérieure – Contribution spéciale – Exclusion des ‘bateaux spécialisés’ – Décision de la Commission rejetant une demande d’exemption – Décision n’ayant pas été attaquée sur le fondement de l’article 173 du traité – Contestation de la validité de la décision devant le juge national. – Affaire C-178/95.

L’arrêt rendu par la Cour de justice des Communautés européennes dans l’affaire C-178/95 aborde la question de l’articulation entre les voies de recours en droit communautaire, et plus précisément les conséquences de l’inaction d’un justiciable face à une décision d’une institution qui lui est directement adressée.

En l’espèce, une entreprise de navigation intérieure avait sollicité auprès de la Commission européenne une exemption de la contribution spéciale due pour la mise en service d’un nouveau bateau. Cette exemption, prévue par le règlement n° 1101/89 relatif à l’assainissement structurel dans ce secteur, pouvait être accordée pour les « bateaux spécialisés ». Par une décision du 6 mai 1993, la Commission a rejeté la demande, estimant que le bateau ne présentait pas les caractéristiques d’un bateau spécialisé. La société destinataire de cette décision n’a pas introduit de recours en annulation contre celle-ci dans le délai de deux mois prévu par l’article 173 du traité CE. Suite à ce rejet, les autorités nationales ont réclamé à l’entreprise le paiement de la contribution. L’entreprise a alors saisi le Rechtbank van koophandel te Antwerpen d’un recours contre la décision des autorités nationales, en soutenant que la décision de la Commission était illégale. La juridiction belge a alors décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour de justice cinq questions préjudicielles relatives à l’interprétation de la notion de « bateau spécialisé » et à la validité de la décision de la Commission.

Le problème de droit soulevé devant la Cour était de savoir si le destinataire d’une décision d’une institution communautaire, qui n’a pas exercé de recours en annulation contre cette décision dans les délais impartis, peut ultérieurement en contester la validité devant une juridiction nationale à l’occasion d’un litige portant sur les mesures nationales d’exécution de ladite décision.

La Cour de justice répond par la négative. Elle juge que la juridiction nationale est liée par la décision de la Commission, dès lors que son destinataire n’a pas formé de recours en annulation dans le délai prévu par le traité. Elle se fonde sur le principe de sécurité juridique, qui exige d’éviter la remise en cause indéfinie des actes communautaires entraînant des effets de droit. Par conséquent, l’acte devient définitif à l’égard de son destinataire, qui ne peut plus en contester la légalité.

I. La consécration du caractère définitif des décisions non contestées

La solution retenue par la Cour de justice repose sur une application rigoureuse des règles de procédure, réaffirmant le caractère obligatoire des délais de recours (A) et en tirant les conséquences quant à l’office du juge national (B).

A. Le principe de sécurité juridique comme obstacle à une contestation tardive

La Cour rappelle une jurisprudence bien établie selon laquelle un acte adopté par une institution communautaire et non attaqué par son destinataire dans le délai prévu par l’article 173 du traité devient définitif à son égard. Cette règle est fondée sur l’impératif de sécurité juridique, qui vise à garantir la stabilité des situations juridiques et à prévenir l’incertitude. Admettre qu’un justiciable puisse contourner l’expiration du délai de recours en soulevant l’invalidité de l’acte devant son juge national reviendrait à priver ce délai de tout effet utile. La Cour énonce clairement que la solution contraire reviendrait à « reconnaître au destinataire de la décision la faculté de contourner le caractère définitif qui doit s’y attacher après l’expiration du délai de recours ». En l’espèce, la société requérante, destinataire directe de la décision de la Commission, disposait sans aucun doute de la qualité pour agir en annulation. Son inaction dans le délai imparti a eu pour effet de purger l’acte de toute contestation possible de sa part.

B. L’effet contraignant pour le juge national de la décision non contestée

La conséquence directe du caractère définitif de la décision est l’obligation pour la juridiction nationale de la tenir pour valide et de lui donner plein effet. Le juge de renvoi est donc lié par l’appréciation de la Commission selon laquelle le navire en cause ne constituait pas un « bateau spécialisé » au sens du règlement. Cette force obligatoire s’impose au juge national, qui ne peut examiner les moyens d’illégalité soulevés par le justiciable à l’encontre de la décision communautaire. Logiquement, la Cour de justice refuse de répondre aux questions préjudicielles posées par le tribunal belge, car elles visaient toutes, directement ou indirectement, à remettre en cause la validité de la décision de la Commission. Répondre à ces questions aurait été incompatible avec le principe énoncé, car cela aurait fourni au juge national les outils pour procéder à un examen de validité qui lui est précisément interdit dans de telles circonstances.

II. La stricte articulation des voies de droit dans l’ordre juridique de l’Union

Cet arrêt illustre la structure du système juridictionnel de l’Union, qui impose aux justiciables d’utiliser la voie de droit la plus directe (A), limitant ainsi le recours à des mécanismes de contestation indirecte (B).

A. La primauté du recours direct en annulation

La décision de la Cour réaffirme que le recours en annulation prévu à l’article 173 du traité est la voie de droit principale et privilégiée pour contester la légalité d’un acte dont on est le destinataire. En n’utilisant pas cette voie dans les délais, le justiciable est considéré comme ayant acquiescé à l’acte, ou du moins comme ayant renoncé à le contester. La solution souligne l’importance de la diligence des opérateurs économiques dans la gestion de leurs affaires juridiques. Il leur appartient d’être vigilants et d’utiliser les instruments procéduraux mis à leur disposition par le traité pour défendre leurs droits. La Cour n’offre pas de session de rattrapage à celui qui a laissé passer sa chance de contester directement un acte qui affectait sa situation juridique. L’accès direct au juge de l’Union étant ouvert, il doit être exercé, sous peine de forclusion.

B. La portée limitée de l’exception d’illégalité

En substance, la démarche de la société requérante s’apparentait à une tentative de soulever une exception d’illégalité à l’encontre de la décision de la Commission. Or, la jurisprudence de la Cour a toujours encadré strictement ce mécanisme. Si un justiciable peut contester la légalité d’un acte de portée générale à l’occasion d’un recours contre une mesure d’exécution, cette faculté n’est pas ouverte de la même manière à celui qui était destinataire d’une décision individuelle et disposait d’un recours direct. Le présent arrêt confirme cette distinction fondamentale. Permettre au destinataire d’une décision d’invoquer son illégalité de manière incidente et tardive créerait une confusion entre les différentes voies de droit et mettrait en péril la cohérence du système. La Cour veille ainsi à préserver l’équilibre des recours et à garantir que chaque procédure soit utilisée aux fins pour lesquelles elle a été conçue.

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