Arrêt de la Cour (cinquième chambre) du 4 décembre 2003. – Samuel Sidney Evans contre The Secretary of State for the Environment, Transport and the Regions et The Motor Insurers’ Bureau. – Demande de décision préjudicielle: High Court of Justice (England & Wales), Queen’s Bench Division – Royaume-Uni. – Rapprochement des législations – Directive 84/5/CEE – Assurance obligatoire de la responsabilité civile automobile – Dommages causés par des véhicules non identifiés ou insuffisamment assurés – Protection des victimes – Transposition incorrecte de la directive – Responsabilité de l’État membre. – Affaire C-63/01.

Par un arrêt rendu sur renvoi préjudiciel de la High Court of Justice, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé le régime d’indemnisation des victimes d’accidents de la circulation impliquant un véhicule non identifié ou non assuré, tel qu’organisé par la deuxième directive 84/5/CEE du 30 décembre 1983. En l’espèce, une personne victime d’un dommage corporel causé par un véhicule non identifié avait saisi l’organisme d’indemnisation désigné au Royaume-Uni. Insatisfaite de l’offre proposée, la victime a engagé un recours devant l’arbitre prévu par l’accord national régissant l’organisme. L’arbitre a non seulement réduit le montant de l’indemnisation pour tenir compte d’une négligence de la victime, mais a également refusé l’octroi d’intérêts sur la somme allouée et a mis les frais de la procédure arbitrale à la charge de la victime. Saisi par la victime qui contestait la conformité du droit national avec le droit communautaire, le juge britannique a interrogé la Cour sur plusieurs points, notamment la nature de l’organisme d’indemnisation, les voies de recours dont doit disposer la victime, ainsi que sur l’obligation d’inclure dans la réparation les intérêts et les frais de procédure.

Il était ainsi demandé à la Cour de justice de déterminer l’étendue des garanties, tant procédurales que substantielles, que les États membres doivent assurer aux victimes d’accidents provoqués par des conducteurs non identifiés ou non assurés en vertu de la directive. Plus précisément, il s’agissait de savoir si un système national reposant sur un accord avec une entité privée et prévoyant une procédure d’arbitrage, sans garantir de manière absolue le paiement des intérêts et des frais de procédure, satisfait aux exigences du droit de l’Union. À ces questions, la Cour a répondu que la directive impose une obligation de résultat quant à l’effectivité de l’indemnisation, tout en laissant aux États membres une marge d’appréciation significative quant aux moyens. Elle a ainsi validé le recours à un organisme non étatique et à un mécanisme d’arbitrage, à condition que le principe d’effectivité soit respecté. La Cour a cependant jugé que la notion d’« indemnisation suffisante » implique nécessairement la prise en compte de l’écoulement du temps, tout en conditionnant le remboursement des frais de procédure à leur nécessité pour la sauvegarde des droits de la victime.

L’arrêt commenté clarifie le cadre de la protection des victimes en définissant les contours du système d’indemnisation. Il consacre ainsi une approche flexible quant à l’organisation institutionnelle et procédurale du régime (I), tout en posant des exigences plus fermes concernant les composantes matérielles de la réparation due (II).

I. La consécration d’un cadre d’indemnisation flexible mais effectif

La Cour de justice adopte une lecture pragmatique de la directive, en se concentrant sur l’efficacité du système mis en place plutôt que sur son formalisme. Cette approche se manifeste tant dans la validation du recours à un organisme conventionné (A) que dans l’admission d’un système de recours arbitral, sous le strict contrôle du principe d’effectivité (B).

A. La validation du recours à un organisme conventionné

La Cour énonce qu’un État membre peut confier la mission d’indemnisation à une entité existante par voie conventionnelle. Elle précise qu’« un organisme peut être considéré comme agréé par un État membre, au sens de cette disposition, lorsque son obligation d’octroyer une compensation aux victimes de dommages causés par des véhicules non identifiés ou insuffisamment assurés trouve sa source dans un accord conclu entre cet organisme et une autorité publique de l’État membre ». Cette solution repose sur l’idée que la directive n’impose aucune forme juridique spécifique pour l’organisme en question. La Cour privilégie une approche fonctionnelle, où l’essentiel est que le mécanisme garantisse la finalité de la directive.

Toutefois, cette souplesse est encadrée par deux conditions cumulatives. D’une part, l’accord doit être « interprété et appliqué comme obligeant l’organisme à fournir aux victimes la compensation que leur garantit la directive ». D’autre part, « les victimes puissent s’adresser directement à cet organisme ». Ces exigences visent à assurer que le choix d’une structure privée ne se fasse pas au détriment de la sécurité juridique et de l’accessibilité pour les bénéficiaires des droits conférés par la directive. La Cour insiste sur la nécessité que la situation juridique soit suffisamment précise et claire pour permettre aux justiciables de connaître la plénitude de leurs droits et de s’en prévaloir. Ainsi, la nature conventionnelle de l’obligation de l’organisme est jugée indifférente, pourvu que son effectivité soit garantie en pratique.

B. L’admission d’un système de recours arbitral sous le contrôle du principe d’effectivité

S’agissant des voies de recours, la Cour rappelle qu’en l’absence de réglementation communautaire, il appartient à l’ordre juridique interne de chaque État membre de régler les modalités procédurales des recours, dans le respect des principes d’équivalence et d’effectivité. Elle examine le système britannique, qui combine une procédure devant l’organisme, un appel devant un arbitre indépendant, et un recours judiciaire limité contre la sentence arbitrale. La Cour estime que de telles modalités, examinées dans leur globalité, ne rendent pas « pratiquement impossible ou excessivement difficile l’exercice du droit à compensation » et sont donc conformes au principe d’effectivité.

L’analyse de la Cour prend en compte les avantages pratiques du système, tels que la rapidité et la réduction des coûts pour la victime, l’organisme supportant une part importante des frais d’enquête. Cependant, elle assortit sa conclusion d’une réserve importante : le système procédural doit garantir que la victime soit informée de tout élément susceptible d’être retenu à son détriment et ait la possibilité de présenter ses observations. Il appartient au juge national de vérifier le respect de cette garantie du contradictoire. En validant un système qui ne prévoit pas un accès de plein droit et illimité au juge étatique, la Cour confirme que le droit à un recours effectif n’équivaut pas nécessairement à un recours devant une juridiction ordinaire, dès lors que le mécanisme alternatif offre des garanties suffisantes d’indépendance, d’impartialité et de respect des droits de la défense.

II. La délimitation des composantes matérielles de l’indemnisation

Si la Cour se montre souple sur le cadre procédural, elle se révèle plus directive quant au contenu de l’indemnisation. Elle établit une distinction nette entre l’indemnisation de la dépréciation monétaire, qui est une composante nécessaire de la réparation (A), et le remboursement des frais de procédure, qui reste conditionnel (B).

A. L’intégration nécessaire de la dépréciation monétaire dans la réparation

La Cour juge que l’indemnisation versée par l’organisme doit compenser les effets de l’écoulement du temps. Elle affirme que « la compensation octroyée pour des dommages causés par un véhicule non identifié ou insuffisamment assuré, versée par l’organisme agréé à cet effet, doit tenir compte de l’écoulement du temps jusqu’au paiement effectif des sommes allouées afin de garantir une indemnisation suffisante aux victimes ». Bien que la directive soit silencieuse sur ce point, la Cour déduit cette obligation de la finalité même de la réparation, qui vise à « reconstituer autant que possible le patrimoine de la victime ». L’écoulement du temps étant un facteur qui réduit la valeur réelle de l’indemnisation, l’ignorer viderait de sa substance le droit à une réparation « suffisante ».

Cette interprétation téléologique confère une portée concrète à l’obligation d’indemnisation. La Cour laisse cependant aux États membres le soin de fixer les modalités de cette prise en compte, que ce soit par l’octroi d’intérêts moratoires ou par l’évaluation du préjudice à la date du paiement effectif. En érigeant la compensation de l’érosion monétaire en composante essentielle du droit à réparation, la Cour renforce significativement la protection des victimes, garantissant que le montant finalement perçu corresponde à la valeur du dommage au moment de sa liquidation.

B. Le remboursement conditionnel des frais de procédure engagés par la victime

À la différence des intérêts, la Cour considère que le remboursement des frais exposés par la victime pour sa demande d’indemnisation n’est pas un droit absolu. Elle qualifie cette question d’ordre procédural et la soumet à l’appréciation du juge national au regard des principes d’équivalence et d’effectivité. L’indemnisation « ne doit prévoir le remboursement des frais exposés par les victimes en vue du traitement de leur demande d’indemnisation que pour autant que ce remboursement est nécessaire à la sauvegarde des droits que les victimes tirent de la directive ».

Le critère déterminant est donc celui de la « nécessité ». Il incombe à la juridiction de renvoi d’apprécier si, compte tenu des spécificités de la procédure nationale, l’assistance juridique et le remboursement des frais afférents sont indispensables pour que la victime puisse exercer ses droits efficacement. Cette appréciation doit tenir compte de la « position d’infériorité dans laquelle les victimes se trouvent vis-à-vis de [l’organisme] ». En adoptant cette solution nuancée, la Cour évite d’imposer une règle uniforme qui pourrait être inadaptée aux divers systèmes nationaux, tout en fournissant au juge national un critère clair pour assurer que les contraintes financières ne constituent pas un obstacle insurmontable à l’exercice des droits garantis par le droit de l’Union.

📄 Circulaire officielle

Nos données proviennent de la Cour de cassation (Judilibre), du Conseil d'État, de la DILA, de la Cour de justice de l'Union européenne ainsi que de la Cour européenne des droits de l'Homme.

En savoir plus sur Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture