Par un arrêt en date du 5 octobre 1988, la Cour de justice des Communautés européennes a apporté des clarifications substantielles sur les méthodes de calcul des droits antidumping. En l’espèce, un producteur de machines à écrire électroniques, originaire du Japon, avait fait l’objet d’une plainte pour dumping déposée par une association de fabricants européens. À la suite d’une enquête menée par la Commission, un droit antidumping provisoire puis un droit définitif furent institués par un règlement du Conseil. Le producteur japonais a alors engagé une action en annulation de ce règlement, contestant la validité de la procédure sur plusieurs points fondamentaux. Il soutenait notamment que les institutions communautaires avaient commis des erreurs dans la détermination de la valeur normale de ses produits, dans l’établissement du préjudice subi par l’industrie communautaire, ainsi que dans l’appréciation des intérêts de la Communauté. Se posait dès lors la question de savoir si les méthodes utilisées par les institutions pour établir l’existence d’un dumping et de son préjudice étaient conformes au droit communautaire, notamment quant au pouvoir d’appréciation dont elles disposent. La Cour a rejeté le recours dans son intégralité, validant l’approche des institutions et confirmant leur marge d’appréciation dans l’application de la réglementation antidumping. Cette décision, qui confirme largement les prérogatives des institutions, mérite d’être analysée sous l’angle de la détermination de la marge de dumping (I), avant d’examiner la confirmation de la marge d’appréciation dont elles jouissent pour évaluer les effets de ces pratiques (II).
I. La validation des méthodes d’établissement de la marge de dumping
La Cour examine en premier lieu les moyens relatifs à la manière dont la marge de dumping a été calculée, en se prononçant d’abord sur la détermination de la valeur normale (A) puis sur la comparaison effectuée avec le prix à l’exportation (B).
A. L’assimilation du distributeur affilié à une entité économique unique
Le producteur exportateur contestait la méthode de calcul de la valeur normale de ses produits. Les institutions avaient en effet basé cette valeur non pas sur les prix de vente du producteur lui-même, mais sur les prix de revente pratiqués par sa société de distribution affiliée sur le marché japonais. Le requérant estimait que cette approche était contraire au règlement de base, qui aurait dû conduire les institutions, en cas de doute sur la fiabilité des prix de vente directe, à recourir à la valeur construite ou aux prix d’exportation vers des pays tiers. La Cour rejette cette argumentation en consacrant une approche économique qui prime sur la distinction juridique entre les deux sociétés. Elle considère que le recours aux prix du distributeur affilié est justifié, car ces prix représentent la première vente effectuée dans des conditions commerciales normales. La Cour énonce à ce titre que « le partage des activites de production et de celles de vente a l’ interieur d’ un groupe forme par des societes juridiquement distinctes ne saurait rien enlever au fait qu’ il s’ agit d’ une entite economique unique ». En agissant de la sorte, les juges préviennent les manœuvres consistant à dissimuler la véritable valeur normale d’un produit derrière des structures de groupe artificielles. Cette solution pragmatique assure l’effectivité de la réglementation antidumping en permettant de saisir la réalité économique des opérations commerciales, au-delà des apparences juridiques.
B. Le rejet des contestations relatives à la comparaison des prix
Après avoir validé le calcul de la valeur normale, la Cour examine les arguments relatifs à la comparaison de celle-ci avec le prix à l’exportation. Le producteur soutenait que la comparaison était faussée, car elle mettait en balance une valeur normale établie au stade de la distribution avec un prix à l’exportation fixé au stade de la sortie d’usine. Cette critique est logiquement écartée par la Cour. Ayant déjà établi que le producteur et son distributeur affilié devaient être considérés comme une entité économique unique, il en découle que la comparaison des prix s’effectuait en réalité à des stades commerciaux équivalents. Les arguments subsidiaires de la requérante, visant à obtenir des ajustements pour tenir compte des différences de stades commerciaux, sont par conséquent devenus sans objet. Par ailleurs, la Cour confirme que même une erreur de calcul dans la marge de dumping, qui a été corrigée et a conduit à une réduction de celle-ci, n’entraîne pas l’annulation du règlement attaqué. En effet, dès lors que « le droit antidumping a ete fixe par les institutions au niveau du prejudice subi par l’ industrie communautaire », lequel était inférieur à la marge de dumping, une légère modification de cette dernière n’avait aucune incidence sur le taux final du droit imposé. Cette position renforce la stabilité des mesures de défense commerciale, en évitant que des erreurs mineures et sans conséquence sur le résultat final ne puissent remettre en cause l’ensemble de la procédure.
La confirmation par la Cour de la méthodologie employée pour établir l’existence du dumping s’accompagne d’une validation tout aussi nette de l’approche retenue pour en mesurer les conséquences dommageables.
II. La confirmation de la marge d’appréciation dans l’évaluation des effets du dumping
La Cour se penche ensuite sur les moyens contestant l’analyse du préjudice et de l’intérêt de la Communauté, reconnaissant aux institutions une large marge d’appréciation, que ce soit dans la méthode de détermination du préjudice (A) ou dans l’opportunité de l’action communautaire (B).
A. La légitimité d’un prix construit pour la détermination du préjudice
L’un des arguments centraux du producteur exportateur était que les institutions avaient violé la réglementation en déterminant le préjudice subi par l’industrie communautaire. Celles-ci avaient en effet comparé les prix des produits importés non pas avec les prix réels des produits communautaires, mais avec des prix cibles construits. La requérante arguait que la comparaison aurait dû s’opérer avec les prix effectivement pratiqués sur le marché. La Cour rejette cette vision, estimant qu’elle priverait la notion de préjudice de toute signification. Elle constate que les prix des fabricants communautaires avaient déjà subi une forte pression à la baisse en raison des importations massives à bas prix, bien avant l’ouverture de l’enquête. Utiliser ces prix déjà dépréciés pour mesurer le préjudice aurait donc conduit à ignorer l’impact réel du dumping. La Cour juge ainsi que « la construction d’ un prix a l’ interieur de la communaute, tel qu’ il aurait ete s’ il n’ avait pas subi, pendant une longue periode, une pression a la baisse du fait des importations japonaises, constitue la seule solution permettant de ne pas priver de signification la comparaison prevue » par la réglementation. Cette approche téléologique permet de restaurer des conditions de comparaison équitables et de mesurer le dommage causé par la pratique déloyale par rapport à une situation de marché saine.
B. L’appréciation souveraine de l’intérêt de la Communauté
Enfin, le producteur contestait l’opportunité même de la mesure, arguant qu’elle ne servait pas les intérêts de la Communauté. Il avançait d’une part que la protection accordée était inutile, puisque d’autres concurrents extracommunautaires vendaient à des prix similaires sans faire l’objet de droits, et d’autre part qu’il n’était pas dans l’intérêt de la Communauté de protéger des producteurs jugés « non efficients ». La Cour balaye ces arguments en rappelant la finalité spécifique du droit antidumping. Il ne s’agit pas de protéger l’industrie communautaire de toute forme de concurrence, mais de la défendre contre les préjudices causés spécifiquement par des pratiques de dumping. Le fait que des difficultés puissent exister pour d’autres raisons ne saurait priver un producteur de cette protection ciblée. La Cour énonce clairement que « le fait, pour un producteur communautaire, d’ eprouver des difficultes, dues egalement a des causes autres que le dumping, n’ est pas une raison pour enlever a ce producteur toute protection contre le prejudice cause par le dumping ». En validant cette approche, la Cour confirme que l’appréciation de l’intérêt de la Communauté relève de la large marge de manœuvre des institutions politiques. Celles-ci sont seules juges de l’opportunité d’agir, même si la mesure ne résout pas l’ensemble des problèmes concurrentiels du secteur et bénéficie à des entreprises dont l’efficience est contestée.