Arrêt de la Cour (cinquième chambre) du 6 avril 1995. – BLP Group plc contre Commissioners of Customs & Excise. – Demande de décision préjudicielle: High Court of Justice, Queen’s Bench Division – Royaume-Uni. – Taxe sur la valeur ajoutée – Interprétation de l’article 2 de la directive 67/227/CEE et de l’article 17, paragraphe 2, de la directive 77/388/CEE – Déduction des taxes payées en amont sur des biens ou services se rapportant à des opérations exonérées. – Affaire C-4/94.

Par un arrêt en date du 6 mars 1995, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé les conditions d’exercice du droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée. En l’espèce, une société holding a cédé une participation majoritaire dans l’une de ses filiales. Cette opération de cession de titres, exonérée de taxe sur la valeur ajoutée, avait pour objectif de lever des fonds afin de rembourser les dettes contractées dans le cadre de son activité économique générale, laquelle consistait en la fourniture de services taxés à ses autres filiales. Pour réaliser cette cession, la société a eu recours aux services de banques d’affaires, de conseils juridiques et d’experts-comptables. Elle a ensuite demandé la déduction de la taxe sur la valeur ajoutée ayant grevé ces prestations de services.

L’administration fiscale a rejeté cette demande de déduction, au motif que les services en cause étaient directement affectés à une opération exonérée. La société a contesté cette décision devant les juridictions nationales. Le litige a finalement conduit la High Court of Justice à poser une question préjudicielle à la Cour de justice. Les thèses en présence opposaient l’assujetti, qui soutenait que les services étaient utilisés pour les besoins de ses opérations taxées globales puisque la cession visait à en assurer la pérennité financière, à l’administration, qui considérait que le lien direct et exclusif des services avec l’opération de cession exonérée primait sur toute autre considération.

Il était ainsi demandé à la Cour si des services, utilisés pour la réalisation d’une opération exonérée, peuvent ouvrir droit à déduction au motif que le but ultime de cette opération est de permettre la poursuite de l’activité économique taxée de l’assujetti.

À cette question, la Cour de justice répond par la négative, en affirmant que « lorsqu’un assujetti fournit des services à un autre assujetti qui les utilise pour effectuer une opération exonérée, celui-ci n’a pas le droit de déduire la TVA acquittée en amont, même lorsque l’objectif ultime de l’opération exonérée est l’accomplissement d’une opération taxée ». La solution repose sur l’exigence d’un lien direct et immédiat entre les dépenses en amont et les opérations taxées en aval.

Cette décision consacre une conception stricte du critère d’affectation pour le droit à déduction (I), ce qui conduit à une application rigoureuse du principe de neutralité fiscale (II).

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I. La consécration d’un lien direct et immédiat comme critère du droit à déduction

La Cour de justice, pour déterminer si la taxe grevant les services pouvait être déduite, a rejeté l’analyse finaliste proposée par l’assujetti (A) pour lui préférer une approche fondée sur la nature objective de l’opération à laquelle les dépenses se rattachaient, sauf à considérer ces dépenses comme des frais généraux (B).

A. Le rejet de la finalité économique de l’opération

L’argumentation de l’assujetti reposait sur une vision large du lien entre les dépenses et l’activité économique. Selon lui, les services acquis pour la cession de titres étaient indirectement nécessaires à ses opérations taxées, car les fonds obtenus devaient apurer les dettes issues de cette activité. En l’absence de cette cession, la survie même de l’entreprise et de ses opérations taxées était compromise. Cette approche téléologique aurait permis d’intégrer dans le champ de la déduction des coûts liés à des opérations formellement exonérées mais économiquement indispensables à l’activité taxable.

La Cour écarte ce raisonnement en soulignant que le droit à déduction est subordonné à l’utilisation des biens et services « pour les besoins de ses opérations taxées ». Elle en déduit qu’« il résulte que, pour ouvrir le droit à déduction, les biens ou services en cause doivent présenter un lien direct et immédiat avec les opérations taxées et que, à cet égard, le but ultime poursuivi par l’assujetti est indifférent ». En agissant ainsi, la Cour refuse d’engager les administrations fiscales dans des « enquêtes en vue de déterminer l’intention de l’assujetti », ce qui serait contraire à l’objectif de sécurité juridique du système de la taxe sur la valeur ajoutée.

B. La distinction avec les frais généraux de l’entreprise

La Cour prend soin de distinguer la situation d’espèce de celle des dépenses qui constituent des frais généraux. Elle admet que des services, comme ceux fournis par des commissaires aux comptes ou des conseils juridiques, ouvrent droit à déduction lorsqu’ils se rapportent à l’ensemble de l’activité économique de l’assujetti. Dans une telle hypothèse, le coût de ces services est considéré comme l’un des « éléments constitutifs du prix des produits » de l’entreprise. Ils sont alors réputés utilisés pour la réalisation des opérations taxées.

Cependant, dans le cas présent, les services de conseil n’ont pas été acquis pour l’ensemble de l’activité de la société, mais spécifiquement pour la réalisation d’une opération ponctuelle et distincte : la cession de titres. Le lien avec cette opération exonérée étant exclusif, la Cour considère qu’il ne peut s’agir de frais généraux de l’activité taxée. Le coût de ces services n’est donc pas incorporé dans le prix des opérations taxées de l’assujetti, mais dans le produit de la cession elle-même, qui est une opération hors du champ d’application de la déduction. Cette distinction est fondamentale car elle trace une frontière claire entre les dépenses directement attribuables à une opération spécifique et celles qui participent au fonctionnement global de l’entreprise.

Cette interprétation stricte du lien d’affectation emporte des conséquences importantes quant à la portée du principe de neutralité.

II. La portée de la solution au regard du principe de neutralité fiscale

La décision de la Cour clarifie le champ d’application du principe de neutralité de la taxe sur la valeur ajoutée (A) et réaffirme la primauté de la qualification juridique de l’opération sur l’intention de l’opérateur économique (B).

A. Une interprétation stricte du principe de neutralité

L’assujetti invoquait le principe de neutralité fiscale, arguant qu’il n’aurait pas dû être pénalisé fiscalement pour avoir choisi de se financer par une cession de titres plutôt que par un emprunt bancaire. Dans le cas d’un emprunt, les frais de conseil associés auraient été déductibles en tant que frais généraux. La Cour reconnaît cette différence de traitement mais en tire une conséquence différente. Elle rappelle que le principe de neutralité, bien qu’essentiel au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, a une portée définie.

En effet, la Cour énonce que « si le système commun de la TVA garantit la parfaite neutralité quant à la charge fiscale de toutes les activités économiques, quels que soient les buts ou les résultats de ces activités, c’est à la condition que lesdites activités soient elles-mêmes soumises à la TVA ». Ce faisant, elle signifie que la neutralité ne vise pas à effacer les disparités fiscales entre une opération taxée et une opération exonérée. Le choix d’un opérateur économique pour une opération exonérée, même motivé par des considérations économiques rationnelles liées à son activité taxée, le place hors du bénéfice de la déduction pour les coûts directement liés à cette opération exonérée.

B. La primauté de la nature de l’opération sur l’intention de l’opérateur

En définitive, cet arrêt établit fermement que c’est la nature objective de l’opération pour laquelle les services sont utilisés qui détermine le droit à déduction, et non l’objectif économique ultérieur. Les services ont été consommés pour réaliser la cession de parts, une opération exonérée. Le fait que cette cession ait été un moyen de financer l’activité taxée est une motivation économique qui ne peut altérer la qualification fiscale de l’opération en amont. Cette solution renforce la sécurité juridique en se fondant sur des critères objectifs et facilement vérifiables.

La portée de cette décision est considérable. Elle confirme que le système de déduction de la taxe sur la valeur ajoutée est un mécanisme transactionnel, où chaque opération doit être analysée pour elle-même. Une dépense engagée pour une opération exonérée ne peut ouvrir droit à déduction, peu importe que cette dernière soit une condition de la poursuite d’une activité taxée. Cette jurisprudence est devenue une référence fondamentale, constamment réaffirmée, pour délimiter le périmètre du droit à déduction en présence d’opérations en chaîne.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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