Par un arrêt en date du 7 mai 1998, la Cour de justice des Communautés européennes a statué sur les conséquences d’une irrégularité procédurale affectant les actes de la Commission. En l’espèce, une entreprise s’était vu infliger une amende par une décision de la Commission pour abus de position dominante. Cette décision lui fut notifiée le 1er mars 1991. L’entreprise a saisi le Tribunal de première instance d’un recours en annulation contre cette décision. En cours d’instance, elle a soulevé un moyen nouveau, faisant valoir que l’acte notifié n’avait pas été préalablement authentifié par les signatures du président et du secrétaire exécutif de la Commission, comme l’exigeait l’article 12 du règlement intérieur de cette institution.
Le Tribunal de première instance a accueilli ce moyen. Il a jugé que l’authentification constituait une formalité substantielle qui devait impérativement précéder la notification de l’acte. Ayant constaté que la décision avait été authentifiée à une date postérieure à sa notification, il a annulé la décision pour violation des formes substantielles, sans examiner si cette irrégularité avait causé un préjudice à la requérante ou si le texte notifié différait du texte adopté. La Commission a alors formé un pourvoi devant la Cour de justice, soutenant que le Tribunal avait commis une erreur de droit en considérant l’absence d’authentification préalable comme une violation substantielle justifiant à elle seule l’annulation.
Il était donc demandé à la Cour de justice de déterminer si le défaut d’authentification d’une décision avant sa notification constitue la violation d’une forme substantielle entraînant de plein droit la nullité de l’acte. La Cour de justice a rejeté le pourvoi de la Commission. Elle a confirmé que l’authentification est une forme substantielle dont le non-respect avant la notification vicie la procédure et justifie l’annulation de l’acte, indépendamment de toute autre considération relative à l’existence d’un préjudice ou d’une divergence de textes. La Cour consacre ainsi la nature substantielle de la formalité d’authentification (I), tout en affirmant le rôle du juge en tant que gardien de la sécurité juridique (II).
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I. La consécration du caractère substantiel de la formalité d’authentification
La Cour de justice établit que l’authentification n’est pas une simple formalité administrative mais une exigence procédurale fondamentale. Elle en fait une condition de validité autonome (A) dont le respect s’inscrit dans une chronologie impérative (B).
A. Une exigence formelle autonome
La Cour de justice rejette l’argument selon lequel l’irrégularité de la procédure d’authentification ne serait pertinente qu’en présence d’un autre vice ou d’un préjudice. Elle affirme que la violation de cette règle se suffit à elle-même pour justifier l’annulation. Le raisonnement des juges est sans équivoque lorsqu’ils énoncent que « la violation d’une forme substantielle est constituée par le seul défaut d’authentification d’un acte, sans qu’il soit nécessaire d’établir, en outre, que l’acte est affecté d’un autre vice ou que l’absence d’authentification a causé un préjudice à celui qui l’invoque ». L’authentification est ainsi érigée en condition de validité intrinsèque de l’acte.
Cette approche rigoriste détache la formalité de ses conséquences matérielles éventuelles. Peu importe que le texte notifié soit parfaitement identique à celui qui a été délibéré par le collège des commissaires. La seule inobservation de la règle procédurale suffit à vicier l’acte dans sa totalité. La Cour signale par là que la légalité externe d’un acte administratif communautaire est une condition essentielle de son existence juridique, et que sa vérification précède logiquement tout examen de sa légalité interne.
B. La chronologie impérative de l’adoption des actes
Au-delà du principe de l’authentification, la Cour se prononce sur le moment où celle-ci doit intervenir. Elle valide l’analyse du Tribunal de première instance en confirmant que la procédure doit suivre un ordre strict : adoption, authentification, puis notification. Le juge le formule clairement en relevant qu’« il résulte d’une interprétation littérale et systématique de cette disposition que l’authentification d’un acte doit forcément précéder sa notification, ce que confirme la finalité de la disposition relative à l’authentification ». Cette séquence temporelle n’est pas fortuite mais fonctionnelle.
L’authentification a pour objet de figer le texte adopté par l’organe délibérant, garantissant ainsi qu’il ne subira aucune modification ultérieure avant sa communication à ses destinataires. En exigeant que cette formalité précède la notification, la Cour s’assure que l’acte qui sort de la sphère de son auteur pour produire des effets de droit est bien celui qui exprime sa volonté. Une authentification postérieure à la notification serait dépourvue de toute utilité, car elle ne permettrait pas de garantir l’intégrité du texte au moment où il est devenu opposable. En sanctuarisant cette procédure, la Cour ne se limite pas à un formalisme procédural ; elle réaffirme un principe fondamental de l’ordre juridique communautaire.
II. L’affirmation du rôle du juge en tant que gardien de la sécurité juridique
La décision commentée dépasse la seule question de la procédure d’adoption des actes pour réaffirmer le principe de sécurité juridique comme un pilier de l’ordre juridique de l’Union (A). Elle précise par ailleurs l’étendue de l’office du juge communautaire face à une telle irrégularité (B).
A. Le principe de sécurité juridique comme fondement de la solution
L’ensemble de l’argumentaire de la Cour repose sur la nécessité de garantir la sécurité juridique. Cette dernière exige que les actes des institutions produisant des effets juridiques soient certains et vérifiables. L’authentification est le mécanisme qui permet d’atteindre cet objectif. La Cour le rappelle en des termes généraux : « le principe de sécurité juridique, qui fait partie de l’ordre juridique communautaire, exige que tout acte de l’administration produisant des effets juridiques soit certain notamment quant à son auteur et à son contenu ». La formalité de l’authentification n’est donc pas une fin en soi, mais le moyen de réaliser une exigence supérieure.
En figeant le texte de l’acte dans la ou les langues faisant foi, l’authentification permet de s’assurer de la parfaite correspondance entre la volonté de l’institution et le texte qui sera notifié et publié. Elle constitue le point de référence incontestable en cas de contestation ultérieure. Sans cette ancre formelle, l’acte juridique serait exposé à une incertitude permanente quant à son contenu exact, ce qui est incompatible avec les exigences d’un État de droit. La solution retenue témoigne donc de l’importance cardinale de ce principe dans la jurisprudence de la Cour.
B. La portée de la sanction et l’office du juge communautaire
La Cour tire toutes les conséquences de la qualification de l’authentification comme forme substantielle en ce qui concerne le rôle du juge. Non seulement la sanction est l’annulation de l’acte, mais le juge est tenu de soulever lui-même ce moyen. C’est ce que la Cour exprime en jugeant que « si le juge communautaire constate, à l’examen de l’acte produit devant lui, que ce dernier n’a pas été régulièrement authentifié, il lui appartient de soulever d’office le moyen tiré de la violation d’une forme substantielle ».
Cette obligation de soulever d’office le moyen transforme la règle procédurale en une question d’ordre public. Le respect des formes substantielles n’est plus laissé à la seule diligence des parties, mais devient une condition de la légalité que le juge doit faire respecter en toutes circonstances. Une telle solution renforce considérablement la protection des justiciables. Elle signifie que la validité formelle des actes de l’Union est si fondamentale qu’aucune renonciation, expresse ou tacite, ne peut couvrir son non-respect. Le juge se positionne ainsi comme l’ultime garant de la régularité du processus normatif communautaire.