Arrêt de la Cour (cinquième chambre) du 6 avril 2000. – Commission des Communautés européennes contre République française. – Manquement d’Etat – Directive 92/43/CEE – Conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages. – Affaire C-256/98.

Par un arrêt du 6 juillet 2000, la Cour de justice des Communautés européennes, réunie en sa cinquième chambre, s’est prononcée sur les obligations de transposition incombant à un État membre au titre de la directive 92/43/CEE concernant la conservation des habitats naturels. Cette décision a été l’occasion pour la Cour de clarifier à la fois des règles de procédure contentieuse et des exigences matérielles tenant au régime de protection des zones spéciales de conservation.

Un recours en manquement fut introduit par la Commission à l’encontre d’un État membre, au motif que ce dernier n’avait pas pris l’ensemble des dispositions nécessaires pour se conformer à l’article 6 de la directive précitée dans le délai imparti. La procédure précontentieuse, initiée par une lettre de mise en demeure, fut suivie d’un avis motivé puis d’un avis motivé complémentaire, la requérante estimant que la transposition de la directive demeurait incomplète, notamment quant au régime de protection des sites et à l’évaluation des incidences des projets susceptibles de les affecter. Devant la Cour, l’État membre défendeur a soutenu que son arsenal législatif et réglementaire existant suffisait à satisfaire aux obligations des paragraphes 1 et 2 de l’article 6, tout en admettant des lacunes concernant les paragraphes 3 et 4. En cours d’instance, la Commission a modifié son argumentation initiale relative aux paragraphes 1 et 2, reprochant non plus une absence de cadre juridique, mais l’absence d’une disposition expresse imposant l’application des instruments de protection existants.

Deux questions de droit principales étaient ainsi soulevées. D’une part, il s’agissait de déterminer si une partie requérante peut modifier l’objet de ses griefs en cours d’instance. D’autre part, la Cour était appelée à préciser l’étendue des obligations de transposition de l’article 6, paragraphes 3 et 4, de la directive, en particulier quant à la portée du mécanisme d’évaluation des incidences environnementales.

La Cour de justice a déclaré irrecevables les griefs relatifs aux paragraphes 1 et 2 de l’article 6, considérant que la modification des conclusions initiales par la Commission contrevenait à son règlement de procédure. En revanche, elle a constaté le manquement de l’État membre s’agissant des paragraphes 3 et 4 du même article, jugeant la transposition de ces dispositions ni suffisamment claire ni suffisamment précise pour garantir la pleine application de la directive.

La décision révèle une dualité d’approche de la Cour, qui sanctionne d’abord fermement un manquement procédural (I), avant de procéder à un contrôle matériel rigoureux des mesures de transposition de l’État membre (II).

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I. La sanction procédurale d’une modification de l’objet du litige

La Cour rappelle avec fermeté le principe de l’immutabilité du litige, ce qui conduit d’abord à déclarer irrecevables les griefs nouveaux présentés en cours d’instance (A), puis à considérer que cette modification emporte un abandon des prétentions initiales (B).

A. L’irrecevabilité des conclusions nouvelles

La Cour de justice fonde sa décision d’irrecevabilité sur les dispositions de son règlement de procédure, qui imposent aux parties de définir l’objet du litige dans la requête introductive d’instance. En l’espèce, la Commission avait initialement reproché à l’État membre l’absence d’un cadre juridique adéquat pour la mise en œuvre des mesures de conservation. Dans sa réplique, elle a substitué à ce grief celui de l’absence d’une disposition expresse obligeant les autorités nationales à utiliser les instruments existants. La Cour estime que cette reformulation ne constitue pas une simple précision, mais une véritable modification de l’objet du litige.

Elle affirme ainsi que « le bien-fondé d’un recours doit être examiné uniquement au regard des conclusions contenues dans la requête introductive d’instance ». Cette position orthodoxe garantit le respect du principe du contradictoire et de la sécurité juridique. Le défendeur doit être en mesure de connaître dès l’introduction de l’instance l’ensemble des reproches qui lui sont adressés afin de pouvoir organiser pleinement sa défense. Permettre une modification substantielle des griefs en cours de procédure créerait un déséquilibre entre les parties et porterait atteinte à la bonne administration de la justice. La solution est donc une application stricte mais nécessaire des règles qui encadrent le contentieux de l’Union.

B. La requalification de la modification en renonciation

Au-delà de l’irrecevabilité, la Cour tire une conséquence radicale de la stratégie contentieuse de la Commission. Elle considère que, en modifiant ses griefs, « la Commission devant être regardée comme ayant renoncé à ses griefs relatifs à l’article 6, paragraphes 1 et 2, de la directive, tels que formulés initialement ». Ainsi, non seulement le nouveau grief est écarté, mais l’ancien est également considéré comme abandonné, conduisant à un rejet total de cette branche du recours.

Cette analyse, bien que sévère, est logique. La Cour ne peut statuer ni sur les conclusions initiales, que la requérante n’a pas maintenues, ni sur les conclusions nouvelles, jugées irrecevables. La portée de cette solution est significative : elle constitue un avertissement pour les parties, et singulièrement pour la Commission dans le cadre du recours en manquement, sur le risque inhérent à toute tentative de réorientation d’un litige. La rigueur procédurale l’emporte, soulignant que la phase précontentieuse doit permettre de cristalliser définitivement les griefs qui seront soumis au juge. Toute imprécision ou changement de cap ultérieur se fait au péril de la cause.

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II. Le contrôle matériel des obligations de transposition de la directive

Ayant tranché la question de procédure, la Cour examine au fond les manquements relatifs à l’évaluation environnementale. Elle censure la prétention de l’État membre à créer des exemptions générales à l’obligation d’évaluation (A) et lui reproche l’absence de finalisation de cette évaluation au regard des objectifs spécifiques de conservation du site (B).

A. Le rejet des exclusions générales à l’obligation d’évaluation

La Cour se penche sur la transposition de l’article 6, paragraphe 3, qui impose une évaluation appropriée de tout plan ou projet susceptible d’affecter un site de manière significative. L’État membre défendeur soutenait que des règles nationales excluant de cette évaluation certains projets en raison de leur faible coût ou de leur nature ne violaient pas la directive. La Cour rejette cette argumentation de manière catégorique.

Elle juge que la marge d’appréciation laissée aux États membres par les termes « susceptible d’affecter ce site d’une manière significative » ne leur permet pas de vider l’obligation de sa substance. À cet égard, elle précise que cette disposition « ne saurait autoriser un État membre à édicter des règles nationales qui feraient échapper, de manière générale, à l’obligation d’évaluation des incidences sur le site des projets d’aménagement en raison soit du faible montant des dépenses envisagées, soit des domaines d’activité spécifiques concernés ». Cette interprétation téléologique assure l’effet utile de la directive. Elle empêche les États membres de créer des brèches dans le système de protection en instaurant des critères d’exemption automatiques qui ignorent le seul critère pertinent : l’impact écologique potentiel du projet.

B. L’exigence d’un lien avec les objectifs spécifiques de conservation

Le second manquement retenu par la Cour au titre de l’article 6, paragraphe 3, est l’absence, en droit interne, d’un lien explicite entre l’évaluation des incidences et les objectifs de conservation propres au site concerné. La législation nationale prévoyait une étude d’impact environnementale de portée générale, mais n’imposait pas que cette dernière soit spécifiquement orientée vers l’analyse des conséquences du projet sur les habitats et les espèces pour lesquels le site avait été désigné.

La Cour constate qu’« aucune des dispositions auxquelles le gouvernement français fait référence dans ses mémoires n’impose que l’évaluation examine les incidences environnementales des plans d’aménagement au regard des objectifs de conservation du site en particulier ». Ce faisant, elle souligne qu’une transposition correcte exige plus qu’une simple reprise formelle des termes de la directive. Les mesures nationales doivent garantir de manière claire et précise que l’évaluation environnementale n’est pas un exercice abstrait, mais un outil concret et finalisé, permettant de vérifier la compatibilité d’un projet avec les raisons écologiques précises qui justifient le statut de protection du site. La décision réaffirme ainsi l’exigence d’une transposition non seulement complète, mais également opérationnelle.

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Hassan KOHEN
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