Arrêt de la Cour (cinquième chambre) du 6 juillet 1993. – Commission des Communautés européennes contre Alessandro Albani et autres. – Pourvoi – Recrutement – Concours sur titres et épreuves – Irrégularité de correction – Annulation. – Affaire C-242/90 P.

L’arrêt rendu par la Cour de justice des Communautés européennes dans l’affaire C-242/90 P se prononce sur les conséquences d’une irrégularité affectant une épreuve d’un concours administratif. La portée de l’annulation contentieuse constitue le cœur de cette décision, qui arbitre entre la sanction de l’illégalité et la préservation de la sécurité juridique.

En l’espèce, un concours général pour le recrutement d’administrateurs fut organisé par une institution communautaire. Les instructions de la deuxième épreuve écrite imposaient aux candidats une limite de 800 mots. Postérieurement au déroulement de cette épreuve, le jury a toutefois modifié cette règle, en donnant pour consigne aux correcteurs de n’accepter que les copies ne dépassant pas 1 200 mots. Des candidats ayant échoué à cette épreuve, et n’ayant par conséquent pas été admis à l’épreuve orale, ont saisi la juridiction de première instance.

Par un arrêt du 12 juillet 1990, le Tribunal de première instance a fait droit à leur demande. Il a constaté la rupture d’égalité entre les candidats et annulé non seulement la correction de l’épreuve litigieuse, mais également tous les actes subséquents de la procédure de concours. L’institution communautaire a alors formé un pourvoi devant la Cour de justice, considérant que les effets de cette annulation étaient disproportionnés et auraient dû se limiter au rétablissement des droits des requérants évincés.

Le problème de droit soulevé devant la Cour de justice était donc de savoir si l’annulation d’une épreuve de concours pour irrégularité doit nécessairement entraîner l’annulation de l’ensemble de la procédure qui a suivi, ou si le juge peut, et doit, en limiter les effets pour concilier les différents intérêts en présence.

La Cour de justice répond en consacrant une obligation de mise en balance. Elle juge que le Tribunal a commis une erreur de droit en ne limitant pas la portée de son annulation. Selon la haute juridiction, « les droits d’un requérant ayant échoué à cette épreuve sont adéquatement protégés si le jury et l’autorité investie du pouvoir de nomination reconsidèrent leurs décisions et cherchent une solution équitable à son cas, sans qu’il y ait lieu de mettre en cause l’ensemble du résultat du concours ». L’arrêt du Tribunal est donc cassé en ce qu’il étendait l’annulation au-delà de ce qui était nécessaire pour protéger les requérants.

Cette solution conduit à privilégier une approche pragmatique de l’annulation contentieuse, ce qui justifie d’examiner la prévalence de la sécurité juridique sur le principe de légalité (I), avant d’analyser la portée concrète de la protection accordée aux droits des différentes parties (II).

I. La limitation des effets de l’annulation au nom de la sécurité juridique

La Cour de justice ne remet pas en cause l’illégalité initiale mais en module les conséquences de manière significative. Elle confirme la nécessité de sanctionner la rupture d’égalité (A) tout en faisant prévaloir la confiance légitime des autres candidats sur une application rigoriste du principe de légalité (B).

A. La consécration d’une annulation de principe pour rupture d’égalité

L’irrégularité commise par le jury du concours n’est pas contestée dans son existence. En modifiant les règles de l’épreuve après son déroulement, le jury a porté atteinte au principe d’égalité de traitement des candidats, qui suppose que tous soient évalués selon des critères identiques et connus à l’avance. Le Tribunal de première instance avait donc logiquement sanctionné cette défaillance.

L’institution à l’origine du pourvoi ne conteste d’ailleurs pas ce point, précisant que son recours ne vise pas l’annulation de la correction de l’épreuve elle-même. La reconnaissance de l’illégalité demeure le fondement de l’intervention du juge. Le débat se déplace du constat de l’illégalité vers la détermination de l’étendue de sa sanction. La Cour valide ainsi le raisonnement initial sur l’existence d’une faute dans l’organisation du concours, mais elle en circonscrit la portée.

B. La mise en balance du principe de légalité et de la confiance légitime

La principale innovation de l’arrêt réside dans le refus d’une annulation en cascade. Alors que le Tribunal de première instance avait appliqué une logique d’annulation automatique des actes subséquents, la Cour de justice impose une mise en balance des intérêts. Elle considère que le juge doit « concilier les intérêts des candidats désavantagés par une irrégularité commise dans le cadre du concours et ceux des autres candidats ».

Ce faisant, la Cour élève la confiance légitime des lauréats du concours au rang d’intérêt fondamental. Elle estime qu’il est impératif de prendre en considération « non seulement la nécessité de rétablir dans leurs droits les candidats lésés mais également la confiance légitime des lauréats du concours ». Le principe de sécurité juridique l’emporte ainsi sur une application purement formelle du principe de légalité, qui aurait commandé de priver d’effet l’ensemble d’une procédure fondée sur un acte initial vicié.

II. La portée différenciée de la protection des intérêts en présence

En décidant de limiter les effets de l’annulation, la Cour opère une distinction claire entre la situation des lauréats et celle des candidats évincés. Elle assure ainsi la sanctuarisation des résultats du concours pour les premiers (A), tout en définissant une réparation spécifique mais plus incertaine pour les seconds (B).

A. La sanctuarisation des résultats du concours pour les lauréats

La conséquence directe de l’arrêt est la préservation de la liste d’aptitude et des nominations qui en ont découlé. En censurant le Tribunal pour ne pas avoir limité son annulation, la Cour protège les droits acquis par les candidats ayant réussi le concours. Anéantir l’ensemble de la procédure aurait eu des conséquences jugées disproportionnées, en remettant en cause des situations juridiques consolidées.

La Cour souligne qu’il n’y a pas « lieu de mettre en cause l’ensemble du résultat du concours ou d’annuler les nominations intervenues à la suite de celui-ci ». Cette position vise à garantir la stabilité des recrutements opérés par l’administration. La confiance des lauréats dans la validité de leur succès est ainsi jugée digne d’une protection supérieure à celle qui résulterait d’une application mécanique de la théorie des annulations en cascade.

B. La définition d’une réparation adéquate mais limitée pour les candidats évincés

Pour les requérants à l’origine du litige, la Cour définit ce qu’elle considère être une protection « adéquate ». Cette protection consiste en une obligation pour l’administration de « reconsidérer » leur situation et de « chercher une solution équitable ». La réparation n’est donc pas une réintégration de droit dans le processus de sélection, ni une annulation qui leur profiterait directement en invalidant la réussite des autres.

Cette solution, si elle reconnaît le préjudice subi, laisse une marge d’appréciation considérable à l’administration. La recherche d’une « solution équitable » est une notion souple qui n’offre aucune garantie de résultat aux candidats lésés. Leur droit à réparation est ainsi affirmé dans son principe mais potentiellement affaibli dans ses modalités pratiques, marquant une forme de compromis où la réparation individuelle cède le pas devant l’intérêt général de la stabilité administrative.

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