Arrêt de la Cour (cinquième chambre) du 6 juillet 1993. – CT Control (Rotterdam) BV et JCT Benelux BV contre Commission des Communautés européennes. – Recours en annulation – Décision de la Commission refusant la remise des droits à l’importation. – Affaires jointes C-121/91 et C-122/91.

Par un arrêt en date du 13 mai 1993, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé les conditions d’application de la clause d’équité en matière de droits de douane, ainsi que le régime procédural encadrant les demandes de remise. Cette décision offre un éclairage sur l’articulation entre les règles de fond et de procédure dans le temps, tout en réaffirmant les principes régissant la motivation des actes de la Commission et l’étendue des droits de la défense des opérateurs économiques.

En l’espèce, deux sociétés agissant en qualité de commissionnaires en douane aux Pays-Bas avaient procédé, entre 1982 et 1984, à l’importation de plusieurs lots de miel en provenance d’un État d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique. Pour ce faire, elles avaient présenté des certificats de circulation des marchandises EUR.1, ce qui leur permit de bénéficier d’une exonération des droits de douane en vertu de la convention de Lomé. Une enquête menée par la Commission en 1984 révéla cependant que ces certificats avaient été indûment délivrés par les autorités de l’État d’exportation. Sur la base de cette information, les autorités douanières néerlandaises décidèrent en 1985 de procéder au recouvrement a posteriori des droits non perçus, notifiant aux deux sociétés des avis de recouvrement pour des montants importants.

Les commissionnaires en douane introduisirent alors des demandes de remise des droits à l’importation auprès des autorités nationales, sur le fondement de l’article 13 du règlement n° 1430/79, qui prévoit une telle possibilité en présence de « circonstances particulières » et en l’absence de négligence ou de manœuvre de l’opérateur. Ces demandes furent initialement rejetées par l’administration néerlandaise sans être transmises à la Commission. Saisie d’un recours, la Tariefcommissie d’Amsterdam annula ces rejets en 1989 et ordonna la transmission des dossiers à la Commission. Celle-ci, saisie en 1990, adopta trois décisions distinctes concluant que la remise des droits n’était pas justifiée. Les sociétés requérantes formèrent alors un recours en annulation de ces décisions devant la Cour de justice, assorti d’une demande visant à faire constater que leurs demandes de remise devaient être agréées. Elles soutenaient notamment que la Commission avait méconnu les règles de procédure relatives aux délais de décision, que sa motivation était insuffisante, que la procédure de contrôle des certificats était irrégulière et que leurs droits de la défense avaient été violés.

Il était ainsi demandé à la Cour de déterminer si la Commission pouvait légalement refuser la remise de droits à l’importation en se fondant sur une jurisprudence antérieure, et ce, dans le respect des règles procédurales applicables tant en ce qui concerne les délais de décision que les droits de la défense des opérateurs. Plus précisément, la Cour devait se prononcer sur l’application dans le temps des règlements d’application, sur la portée de l’obligation de motivation d’une décision de refus, et sur la séparation entre la procédure de remise et la contestation de la dette douanière elle-même.

La Cour rejette le recours en se fondant sur une interprétation stricte des règles procédurales et des conditions de fond de la remise. Si la clarification du régime temporel des règles de procédure et le rappel des garanties procédurales offertes aux opérateurs apparaissent conformes à une application rigoureuse du droit, la décision réaffirme avec force la portée limitée de la clause d’équité et l’autonomie des voies de droit nationales et communautaires.

I. La confirmation d’une application rigoureuse des garanties procédurales II. La réaffirmation d’une conception restrictive de la remise des droits

I. La confirmation d’une application rigoureuse des garanties procédurales

La Cour, pour rejeter le recours, s’attache en premier lieu à valider la procédure suivie par la Commission. Elle confirme l’application immédiate des nouvelles règles de procédure (A) tout en considérant que le standard établi des droits de la défense a été respecté (B).

A. La soumission de la procédure à l’empire du droit nouveau

Les sociétés requérantes soutenaient que le délai de décision applicable était celui de quatre mois, prévu par le règlement d’application de 1980 en vigueur au moment de l’introduction de leur demande initiale auprès des autorités nationales en 1985. L’expiration de ce délai aurait dû, selon elles, entraîner une acceptation implicite de leurs demandes. La Cour écarte ce raisonnement en rappelant un principe fondamental de l’application de la loi dans le temps.

Elle énonce ainsi, conformément à une jurisprudence constante, que « les règles de procédure sont généralement censées s’appliquer à tous les litiges pendants au moment où elles entrent en vigueur, à la différence des règles de fond qui sont habituellement interprétées comme ne visant pas des situations acquises antérieurement à leur entrée en vigueur ». En l’espèce, les demandes de remise ont été transmises à la Commission en 1990, soit après l’entrée en vigueur du règlement d’application de 1986, qui avait abrogé le précédent et portait le délai de décision à six mois. C’est donc ce nouveau délai qui devait s’appliquer. La Cour précise que les sociétés n’avaient acquis aucun droit au bénéfice des anciennes dispositions procédurales avant la saisine effective de la Commission. Cette solution assure une sécurité juridique en imposant à l’institution d’appliquer les seules règles en vigueur au moment où elle agit, évitant ainsi la complexité liée à la gestion de régimes procéduraux multiples en fonction de la date de naissance des litiges au niveau national.

B. Le maintien d’un standard établi des droits de la défense

Les requérantes arguaient également d’une violation de leurs droits de la défense, au motif qu’elles n’avaient pu faire valoir leur point de vue directement auprès de la Commission. La Cour rejette cet argument en se référant à sa jurisprudence antérieure, notamment les arrêts *Control Data* et *Van Gend & Loos et Bosman*. Elle rappelle que la procédure de remise, qui se déroule en plusieurs étapes nationales puis communautaires, offre des garanties suffisantes.

La Cour souligne que cette procédure « a permis aux requérantes d’exposer tous leurs arguments auprès des autorités néerlandaises ; leur dossier a été à la disposition tant du comité des franchises que de la Commission ». Le principe du contradictoire est jugé respecté dès lors que l’opérateur a pu, au stade national, constituer un dossier complet et présenter l’ensemble de son argumentation, dossier qui est ensuite transmis à la Commission pour décision. La Cour distingue cette situation des procédures en matière de concurrence ou d’antidumping, où les institutions engagent des procédures pouvant aboutir à des sanctions, ce qui justifie des droits de la défense plus stricts. Dans le cadre d’une demande de remise initiée par l’opérateur lui-même, la Cour estime que le standard de protection est adéquat, confirmant une vision pragmatique des garanties procédurales adaptées à la nature de la procédure concernée.

II. La réaffirmation d’une conception restrictive de la remise des droits

Au-delà des aspects procéduraux, l’arrêt se prononce sur le fond de la demande de remise. La Cour valide la motivation de la Commission en la situant dans un contexte jurisprudentiel bien établi (A) et en profite pour rappeler l’étanchéité stricte entre la procédure de remise et la contestation de la dette douanière elle-même (B).

A. L’appréciation de la motivation au regard du contexte jurisprudentiel

Les sociétés requérantes reprochaient à la Commission une motivation insuffisante, celle-ci s’étant largement bornée à citer l’arrêt *Van Gend & Loos et Bosman* pour justifier son refus. La Cour considère au contraire que la motivation était adéquate, car la référence à cette jurisprudence était pertinente et éclairante.

La Cour rappelle que la motivation doit permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure et à la Cour d’exercer son contrôle. Or, les décisions litigieuses expliquaient clairement que, selon la jurisprudence, « le fait de recevoir des certificats ou des documents invalidés, par la suite, par les autorités compétentes ne peut être considéré comme circonstances particulières au sens de l’article 13 du règlement (cee) n 1430/79 ». La Cour confirme ainsi l’interprétation selon laquelle un commissionnaire en douane, en raison de la nature de ses fonctions, assume un risque professionnel. La présentation de documents qui se révèlent a posteriori invalides fait partie de ce risque et ne constitue pas une circonstance exceptionnelle justifiant une remise des droits, même si l’opérateur était de bonne foi. En validant cette motivation par référence, la Cour réaffirme avec force une interprétation restrictive de la notion de « circonstances particulières », limitant la clause d’équité à des situations véritablement inhabituelles et extérieures à la sphère de risque de l’opérateur professionnel.

B. L’étanchéité de la procédure de remise face à la contestation de la dette douanière

Enfin, l’arrêt se distingue par la clarté avec laquelle il sépare deux voies de droit qui ne doivent pas être confondues. Les requérantes tentaient de contester la légalité même du recouvrement a posteriori en arguant d’un non-respect de la procédure de contrôle des certificats EUR.1. La Cour déclare ce moyen inopérant dans le cadre d’une demande de remise.

Elle énonce que les dispositions de l’article 13 « ont pour seul objet de permettre, lorsque certaines circonstances particulières sont réunies et en l’absence de négligence ou de manœuvre, d’exonérer des opérateurs économiques du paiement de droits dont ils sont redevables, et non de contester le principe même de l’exigibilité de la dette ». La contestation de la validité de la créance douanière relève de la compétence exclusive des juridictions nationales, saisies d’un recours contre l’avis de recouvrement. La procédure de remise, quant à elle, présuppose que la dette est due et vise seulement à en exonérer le débiteur pour des raisons d’équité. Cette distinction est fondamentale car elle clarifie la répartition des compétences entre les ordres juridiques nationaux et communautaire et empêche que la procédure de remise ne devienne une voie de recours déguisée contre les décisions des autorités douanières nationales.

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