Par un arrêt rendu sur renvoi préjudiciel du Bundesfinanzhof, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé les modalités de ventilation de la base d’imposition à la taxe sur la valeur ajoutée pour les prestations de transport international de personnes. La décision clarifie l’interprétation d’une disposition centrale de la sixième directive TVA, visant à harmoniser la localisation des prestations de services au sein du marché commun. Elle apporte une réponse univoque à une question pratique essentielle pour les opérateurs économiques du secteur des transports.
En l’espèce, une entreprise organisant des voyages internationaux en autocar à forfait contestait le refus de l’administration fiscale de prendre en compte, pour la détermination de la part de la prestation imposable sur le territoire national, des critères autres que les seules distances parcourues. Le prestataire de services soutenait que la durée des arrêts et des séjours devait également être intégrée dans le calcul de la ventilation territoriale, arguant que ces éléments représentaient une part significative des coûts supportés.
Saisie d’un recours contre la décision de l’administration, la juridiction de renvoi a interrogé la Cour sur l’interprétation de l’article 9, paragraphe 2, sous b), de la sixième directive TVA. Le litige opposait la thèse du prestataire de services, soutenu par la Commission, qui défendait une interprétation souple de la disposition, à celle du gouvernement allemand, qui prônait une application stricte de ce texte. Il s’agissait donc de déterminer si cette disposition, qui fixe le lieu des prestations de transport « en fonction des distances parcourues », se limite à une règle de conflit de lois désignant l’État compétent pour l’imposition, ou si elle impose également une méthode exclusive de répartition de la contrepartie financière de la prestation entre les États membres concernés.
À cette question, la Cour de justice a jugé que cette disposition « doit être interprété en ce sens que, dans le cas d’une prestation de transport international de personnes à forfait, la contrepartie globale de cette prestation doit, pour la détermination de la partie du transport imposable dans chacun des États membres concernés, être ventilée au prorata des distances qui y ont été parcourues ».
Cette solution consacre un critère de rattachement exclusif (I), dont la portée pragmatique et unificatrice doit être soulignée (II).
I. La consécration d’un critère de rattachement exclusif
La Cour opère une lecture rigoureuse de la directive en retenant une interprétation littérale de la disposition (A), ce qui la conduit à rejeter catégoriquement toute méthode alternative de ventilation de la base d’imposition (B).
A. Une interprétation littérale au service de l’uniformité
La Cour de justice rappelle que l’article 9 de la sixième directive a pour objectif « d’éviter des conflits de compétence entre États membres, susceptibles de conduire à des doubles impositions ». Pour les prestations de transport, le paragraphe 2, sous b), de cet article établit une règle de rattachement spécifique dérogeant au principe général du lieu d’établissement du prestataire. Ce régime particulier se justifie par la nature même de ces prestations, qui s’exécutent souvent sur le territoire de plusieurs États. Le critère des distances parcourues permet ainsi d’assurer que « chaque État membre impose ces prestations pour les parties de trajet accomplies sur son territoire ».
En liant de manière indissociable la détermination du lieu de la prestation et la méthode de ventilation de sa contrepartie, la Cour confère à ce critère une portée absolue. Le raisonnement suivi s’inscrit dans une logique de cohérence systémique du régime de la TVA. La règle de rattachement n’est pas une simple indication géographique, mais le fondement même de la répartition de la matière imposable. Toute autre interprétation affaiblirait la rationalité du système commun et introduirait une complexité contraire aux objectifs de la directive.
B. Le rejet de toute méthode alternative de ventilation
En conséquence de cette lecture stricte, la Cour écarte les arguments avancés par le prestataire et la Commission, qui suggéraient de prendre en compte la durée des séjours ou d’autres éléments liés aux coûts. Bien que de tels critères puissent paraître pertinents d’un point de vue économique, la Cour estime que leur adoption créerait une incertitude juridique. Elle relève que permettre aux États membres de choisir leur propre méthode de ventilation de la base d’imposition globale conduirait à une application non uniforme de la directive.
Cette approche reviendrait à « priver ledit critère de toute portée réelle » et exposerait les assujettis à des règles variables d’un État à l’autre pour une seule et même prestation. Une telle situation serait préjudiciable à la sécurité juridique et pourrait encourager les opérateurs à choisir les méthodes de calcul les plus avantageuses, au détriment d’une répartition objective et simple de l’impôt. La Cour privilégie ainsi la simplicité et l’objectivité du critère de la distance sur toute autre considération, même si celle-ci pouvait sembler plus proche de la réalité économique de la prestation fournie.
II. La portée d’une solution pragmatique et unificatrice
La décision de la Cour renforce la sécurité juridique pour les opérateurs économiques du secteur des transports (A) et affirme la vocation de principe d’une solution qui dépasse le cas d’espèce (B).
A. Le renforcement de la sécurité juridique en matière de TVA
La valeur principale de cet arrêt réside dans le pragmatisme de la solution retenue. En imposant un critère unique et facilement quantifiable, la Cour fournit une règle claire et prévisible pour tous les acteurs concernés. La ventilation au prorata des distances parcourues est une méthode simple à mettre en œuvre, qui ne nécessite pas d’évaluations complexes ou subjectives, contrairement à des critères fondés sur la durée ou la valeur des prestations annexes durant les arrêts. Cette simplicité est un gage d’efficacité pour les entreprises comme pour les administrations fiscales.
En prévenant les divergences d’interprétation, la Cour remplit pleinement son rôle de gardienne de l’application uniforme du droit de l’Union. La solution garantit une répartition cohérente du pouvoir d’imposer entre les États membres et limite les risques de contentieux. Elle assure que des prestations identiques soient traitées de manière identique sur l’ensemble du territoire de l’Union, conformément à l’objectif d’harmonisation poursuivi par le système commun de TVA. La prévisibilité ainsi assurée est essentielle au bon fonctionnement du marché intérieur.
B. Une solution d’espèce à vocation de principe
Bien que rendue dans le contexte spécifique d’un voyage à forfait en autocar, la portée de la décision est générale. Le principe qu’elle énonce s’applique à l’ensemble des prestations de transport international de personnes. L’arrêt ne constitue donc pas une simple décision d’espèce mais bien un arrêt de principe qui vient solidifier l’interprétation de l’article 9, paragraphe 2, sous b), de la sixième directive. Il fournit une ligne directrice claire pour les juridictions nationales et les administrations fiscales confrontées à des situations similaires.
En choisissant la voie de la rigueur et de l’uniformité, la Cour de justice confirme que l’objectif d’une répartition rationnelle des compétences fiscales prime sur une approche qui, bien que potentiellement plus fine économiquement, serait source de complexité et d’insécurité. La décision illustre la méthode d’interprétation téléologique de la Cour, qui privilégie les finalités du texte, à savoir l’établissement d’un système fiscal harmonisé, simple et cohérent. Elle réaffirme ainsi l’importance d’une application stricte des règles de localisation pour garantir l’intégrité du marché unique.