Par un arrêt du 29 septembre 1993, la Cour de justice des Communautés européennes, statuant sur renvoi préjudiciel du Verwaltungsgericht Frankfurt am Main, s’est prononcée sur la validité de certaines dispositions du droit communautaire agricole au regard du principe de proportionnalité. En l’espèce, une société spécialisée dans la transformation de graines oléagineuses avait demandé la fixation à l’avance du montant d’une aide communautaire, constituant à cet effet une caution. Le certificat obtenu imposait que les graines soient mises sous contrôle avant une date déterminée, mais la société a omis d’effectuer cette démarche dans le délai imparti en raison d’une négligence interne. L’autorité nationale compétente a par conséquent déclaré la caution acquise en totalité. La société a contesté cette décision devant la juridiction administrative allemande, qui a alors interrogé la Cour sur la compatibilité du mécanisme de perte de la caution avec le principe de proportionnalité, considérant que des mesures moins contraignantes, telle une simple réduction de l’aide, pourraient suffire. Il s’agissait donc de déterminer si la perte totale d’une caution, sanctionnant le non-respect d’un délai procédural dans le cadre d’un régime d’aide facultatif, constituait une mesure excessive au regard de l’objectif poursuivi par la réglementation. La Cour de justice a répondu que l’examen de la question n’avait révélé aucun élément de nature à affecter la validité des dispositions litigieuses.
Le raisonnement de la Cour s’articule autour de la finalité préventive du système de cautionnement, dont elle valide la rigueur comme un instrument nécessaire et proportionné à la gestion du marché agricole. Ainsi, elle consacre la légitimité d’une sanction automatique destinée à prévenir les manœuvres spéculatives (I), avant de confirmer la conformité de ses modalités d’application avec les exigences du principe de proportionnalité (II).
I. La consécration de la finalité anti-spéculative du régime de cautionnement
La Cour justifie la sanction de la perte de la caution par sa capacité à décourager les comportements opportunistes des opérateurs économiques. Cette justification repose sur l’efficacité dissuasive de la mesure (A) et sur le rejet pragmatique d’une analyse individualisée des intentions de l’opérateur défaillant (B).
A. La légitimation de la sanction par son effet dissuasif
Le régime de fixation à l’avance de l’aide pour les graines oléagineuses vise à offrir une sécurité économique aux transformateurs face à la volatilité des marchés. Cependant, ce mécanisme peut être détourné à des fins spéculatives. La Cour relève qu’« en cas de baisse des prix sur le marché, l’aide est plus élevée que lors de la fixation à l’avance, ce qui, en l’absence de toute sanction, pourrait inciter l’intéressé à laisser expirer le délai et à renoncer ainsi à la fixation à l’avance, de manière à obtenir une aide plus élevée ». Le système de cautionnement et la sanction de sa perte en cas de non-respect de l’engagement d’identification des graines dans le délai prévu ont donc pour objectif de neutraliser cette tentation. La mesure est jugée apte à atteindre cet objectif, car elle rend économiquement non rentable le renoncement à un certificat de préfixation dans le but de profiter d’une conjoncture plus favorable. La perte de la caution constitue un contrepoids financier suffisamment important pour garantir que l’opérateur honore son engagement, assurant ainsi la prévisibilité et la stabilité du système d’aide.
B. Le refus d’une appréciation du comportement subjectif de l’opérateur
La société requérante au principal soutenait que le manquement résultait d’une simple erreur et non d’une intention spéculative, ce qui aurait dû, selon elle, modérer la sanction. La Cour écarte cet argument en soulignant les contraintes de gestion administrative d’un régime de masse. Elle considère qu’« un système fondé sur l’analyse du comportement des intéressés impliquerait des difficultés administratives et d’appréciation des éléments de preuve, liées aux contrôles nécessaires à l’individualisation de la sanction ». En validant un mécanisme fondé sur une obligation de résultat plutôt que sur une analyse des intentions, la Cour privilégie l’efficacité et la simplicité. Le système retenu par le législateur communautaire présente « le double avantage de la simplicité et de l’efficacité » en évitant une gestion au cas par cas qui serait lourde, coûteuse et source d’insécurité juridique. La sanction s’applique donc objectivement dès que le manquement est constaté, indépendamment de la cause de la défaillance, sauf cas de force majeure.
II. La validation de la proportionnalité des modalités de la sanction
Après avoir établi la légitimité de son objectif, la Cour examine si la sanction ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l’atteindre. Elle conclut à la proportionnalité de la mesure en écartant les alternatives jugées moins efficaces (A) et en soulignant les éléments de modulation existants au sein même du dispositif (B).
A. Le caractère nécessaire de la perte de la caution
La juridiction de renvoi suggérait qu’une simple réduction de l’aide aurait pu être une sanction suffisante et moins onéreuse. La Cour réfute cette hypothèse en se plaçant du point de vue d’un opérateur qui aurait agi dans une intention spéculative. Elle estime qu’un tel opérateur « ne saurait légitimement s’attendre à une réduction de la sanction lorsque, contrairement à ses prévisions, le prix sur le marché mondial a augmenté au moment de l’identification de ces graines ». Une sanction moindre, comme une simple réduction de l’aide, ne serait pas assez dissuasive, car elle ne ferait que limiter le gain potentiel de la spéculation en cas d’évolution favorable du marché, ou limiter la perte en cas d’évolution défavorable. La perte totale de la caution est donc considérée comme la seule mesure véritablement à même de décourager la prise de risque spéculatif, en créant une conséquence financière certaine et significative attachée au non-respect de l’engagement. Le caractère volontaire du régime de préfixation renforce cette analyse, l’opérateur choisissant librement de s’y soumettre en contrepartie d’une protection contre les risques du marché.
B. L’existence d’une modulation suffisante de la sanction
Enfin, la Cour met en évidence que la sanction de la perte de la caution n’est pas aussi rigide qu’il y paraît. Elle observe que « la perte de la caution est suffisamment modulée par l’article 23, paragraphe 2, du règlement n° 2681/83, la caution étant acquise proportionnellement à la quantité des graines oléagineuses non identifiées ». La sanction n’est donc pas un mécanisme de « tout ou rien » mais s’adapte à l’ampleur du manquement de l’opérateur. La perte n’est totale que si l’inexécution est quasi totale, c’est-à-dire si la quantité identifiée est inférieure à un seuil très bas. De plus, la Cour rappelle que le règlement prévoit explicitement une exception en cas de force majeure, ce qui permet de ne pas pénaliser un opérateur qui n’a pu respecter ses obligations pour des raisons échappant à son contrôle. Cette double modulation, quantitative et circonstancielle, achève de convaincre la Cour que le système ne méconnaît pas le principe de proportionnalité, en ce qu’il établit un équilibre entre la nécessité de faire respecter les obligations et la prise en compte de la situation concrète de l’opérateur.