Par un arrêt rendu le 15 juillet 1993, la Cour de justice des Communautés européennes, statuant en sa cinquième chambre, s’est prononcée sur l’interprétation des règles d’origine prévues par l’accord de libre-échange conclu entre la Communauté économique européenne et la République d’Autriche. En l’espèce, une société belge avait importé une machine d’occasion depuis l’Autriche en 1985, en présentant un certificat d’origine EUR.1 qui attestait d’une origine ouest-allemande et permettait de bénéficier d’une exonération des droits de douane. Saisies d’un doute, les autorités douanières belges ont sollicité une vérification a posteriori auprès de leurs homologues autrichiennes. Celles-ci ont répondu ne plus pouvoir fournir la preuve concrète de l’origine, concluant que la marchandise devait être considérée comme d’origine indéterminée et que le certificat n’aurait pas dû être maintenu. En conséquence, l’administration belge a réclamé le paiement des droits de douane et des poursuites pénales ont été engagées contre le gérant de la société importatrice et ses employés. Saisies du litige, les juridictions belges du fond ont relaxé les prévenus, retenant que l’échec du contrôle était imputable à la négligence manifeste des autorités autrichiennes, ce qui constituait un cas de force majeure pour l’importateur. La plus haute juridiction belge, saisie d’un pourvoi de l’État, a alors sursis à statuer pour interroger la Cour sur les conséquences juridiques d’un contrôle a posteriori non concluant et sur la possibilité pour un importateur d’invoquer la force majeure en cas de négligence de l’autorité douanière de l’État d’exportation. Le problème de droit soumis à la Cour portait donc sur la valeur probante d’un contrôle d’origine négatif et sur les moyens d’exonération dont dispose l’importateur face à une défaillance administrative dans le cadre de la coopération douanière. La Cour répond en posant un principe strict quant aux conséquences d’une vérification infructueuse, tout en l’assortissant de deux tempéraments majeurs tenant, d’une part, à la prise en compte d’autres éléments de preuve et, d’autre part, à la reconnaissance possible d’un cas de force majeure.
I. La conséquence principielle de l’échec du contrôle a posteriori
La Cour de justice établit une application rigoureuse du mécanisme de coopération administrative prévu par le protocole n°3, en liant l’échec de la vérification à l’invalidation du certificat d’origine (A), ce qui déclenche en principe le recouvrement des droits de douane (B).
A. L’invalidation du certificat d’origine comme sanction de l’incertitude
Le système de l’accord de libre-échange repose sur la confiance mutuelle entre les administrations douanières pour garantir l’application correcte du régime préférentiel. Le certificat EUR.1 constitue le titre justificatif de l’origine préférentielle d’une marchandise. La procédure de contrôle a posteriori est précisément destinée à lever les doutes sur l’authenticité ou l’exactitude de ce document. La Cour en tire une conclusion logique et ferme : si ce contrôle ne confirme pas l’origine déclarée, le fondement même du certificat disparaît. Elle juge ainsi que « lorsque l’État d’exportation, auquel il est demandé de contrôler le certificat d’origine EUR.1, ne parvient pas à établir l’origine exacte de la marchandise, il doit conclure qu’elle est d’origine inconnue et que, dès lors, le certificat EUR.1 et le tarif préférentiel ont été accordés à tort ». Cette solution consacre une présomption d’irrégularité en cas d’échec de la vérification. L’incapacité de l’État d’exportation à prouver l’origine équivaut à une absence de preuve, plaçant la marchandise en dehors du champ d’application du régime préférentiel. Cette approche rigoriste vise à préserver l’intégrité du système de libre-échange et à prévenir les abus, en faisant peser sur l’État qui délivre le certificat la responsabilité de pouvoir en justifier le bien-fondé.
B. Le recouvrement a posteriori des droits comme suite logique
La conséquence directe de l’invalidation du certificat EUR.1 est que la marchandise ne peut plus légalement bénéficier de l’exonération des droits de douane. L’importation doit donc être régularisée. La Cour confirme que « en principe, la réclamation par l’État d’importation du paiement des droits de douane non versés lors de l’importation est la conséquence normale du résultat négatif du contrôle a posteriori ». Le recouvrement des droits éludés apparaît ainsi comme une mesure automatique, découlant de la simple constatation que les conditions du régime préférentiel n’étaient pas, ou plus, remplies. Cette position est cohérente avec la jurisprudence de la Cour qui place l’importateur en situation de risque lorsqu’il déclare des marchandises sous un régime préférentiel. Il lui appartient, en dernier ressort, d’assumer les conséquences financières d’une déclaration qui se révélerait inexacte, même si celle-ci se fonde sur un document officiel émis par les autorités d’un autre État. Cependant, la Cour ne s’arrête pas à cette affirmation de principe et nuance considérablement sa portée en ouvrant la voie à des moyens de défense pour l’importateur.
La rigueur du principe affirmé par la Cour est ainsi fortement tempérée par la reconnaissance de circonstances particulières pouvant atténuer, voire neutraliser, la responsabilité de l’opérateur économique de bonne foi.
II. Les tempéraments à la responsabilité de l’importateur
Face à la défaillance avérée des mécanismes de coopération administrative, la Cour de justice introduit deux modérations substantielles. Elle autorise d’une part la prise en considération de preuves alternatives de l’origine (A) et admet, d’autre part, que la négligence d’une autorité puisse constituer un cas de force majeure pour l’importateur (B).
A. La recevabilité de preuves alternatives à l’origine
La Cour refuse d’enfermer l’État d’importation dans un formalisme excessif qui serait la conséquence de la défaillance de l’État d’exportation. Alors même que le contrôle a posteriori s’est soldé par un échec, la question de l’origine réelle de la marchandise n’est pas définitivement close. La Cour juge que « l’État d’importation n’est pas définitivement lié, aux fins de la réclamation du paiement des droits de douane non versés, par le résultat négatif du contrôle a posteriori, mais qu’il peut prendre en considération d’autres preuves de l’origine de la marchandise ». Cette ouverture probatoire est fondamentale. Elle signifie que le résultat négatif de la vérification officielle n’a pas une autorité de chose jugée irréfragable. D’autres éléments, tels que des factures ou des documents du fabricant, peuvent être produits pour établir l’origine communautaire qui avait été initialement déclarée. La Cour privilégie ainsi une approche matérielle de la vérité sur une approche purement procédurale. Si l’origine préférentielle peut être prouvée par d’autres moyens fiables, l’objectif de l’accord est atteint et il serait inéquitable de pénaliser l’opérateur pour une simple carence administrative dans la chaîne de vérification.
B. La reconnaissance possible de la force majeure
L’apport le plus notable de l’arrêt réside dans la reconnaissance que la négligence d’une administration peut exonérer l’importateur de sa responsabilité. La Cour analyse la question sous l’angle de la force majeure, qu’elle définit comme des circonstances « étrangères à l’opérateur concerné, anormales et imprévisibles, dont les conséquences n’auraient pu être évitées malgré toutes les diligences déployées ». Appliquant cette définition au cas d’espèce, elle considère que la défaillance des autorités de l’État d’exportation peut, en principe, constituer une telle circonstance. La Cour conclut qu' »un importateur peut, selon les circonstances, invoquer à titre de force majeure l’impossibilité dans laquelle se trouvent les autorités douanières de l’État d’exportation, en raison de leur propre négligence, d’établir l’exactitude de l’origine d’une marchandise dans le cadre d’un contrôle a posteriori ». Il appartiendra ensuite à la juridiction nationale d’apprécier si les faits de la cause remplissent ces conditions. Cette solution protège l’opérateur de bonne foi contre les dysfonctionnements d’un système de coopération internationale sur lequel il n’a aucune prise. Elle rappelle que si les opérateurs économiques ont des obligations de diligence, les administrations publiques ont également un devoir de fiabilité, dont la violation peut rompre le lien de causalité et justifier l’exonération de l’importateur.