Arrêt de la Cour (cinquième chambre) du 7 juillet 1987. – L’Étoile commerciale et Comptoir national technique agricole (CNTA) contre Commission des Communautés européennes. – Aide pour les graines oléagineuses – Recevabilité. – Affaires jointes 89 et 91/86.

Par un arrêt en date du 7 juillet 1987, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé les conditions de recevabilité des recours intentés par des particuliers à l’encontre des décisions de la Commission relatives à l’apurement des comptes du Fonds européen d’orientation et de garantie agricole.

En l’espèce, une société avait perçu des aides nationales pour la trituration de graines oléagineuses, en application de la réglementation communautaire. L’organisme national compétent, ayant des doutes sur la conformité de l’opération, a subordonné le versement des aides à la constitution d’une caution par une seconde société, garantissant leur remboursement si le Fonds européen d’orientation et de garantie agricole refusait de prendre en charge la dépense. Par une décision ultérieure adressée à l’État membre concerné, la Commission a effectivement refusé cette prise en charge dans le cadre de l’apurement des comptes de l’exercice financier concerné. En conséquence, l’organisme national a mis en demeure la société garante de payer la somme cautionnée. La société bénéficiaire de l’aide et la société garante ont alors saisi la Cour de justice de recours visant, d’une part, à l’annulation de la décision de la Commission et, d’autre part, à la réparation du préjudice subi du fait de la restitution des aides.

Il revenait ainsi à la Cour de déterminer si un opérateur économique, contraint par une autorité nationale au remboursement d’une aide à la suite d’une décision de la Commission refusant la prise en charge financière de celle-ci à l’État membre, est directement et individuellement concerné par cette décision au sens de l’article 173, alinéa 2, du traité CEE. Il lui appartenait également de se prononcer sur sa compétence pour connaître d’une demande d’indemnité lorsque le préjudice allégué découle d’une décision de répétition de l’indu prise par un organisme national.

À ces deux questions, la Cour a répondu par la négative, déclarant les recours irrecevables. Elle a considéré que la décision d’apurement des comptes, par sa nature, ne concerne que les rapports financiers entre la Commission et l’État membre et n’affecte donc pas directement la situation juridique des opérateurs. Elle a par ailleurs estimé que le préjudice invoqué trouvant son origine dans un acte d’une autorité nationale, sa réparation ne relevait pas de la compétence du juge communautaire.

Le raisonnement de la Cour conduit à distinguer clairement, d’une part, la portée de la décision d’apurement des comptes, qui rend irrecevable le recours en annulation (I), et, d’autre part, l’origine du dommage, qui fonde l’incompétence de la Cour pour statuer sur la demande d’indemnité (II).

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I. L’irrecevabilité du recours en annulation en l’absence d’une affectation directe

La Cour de justice rejette la recevabilité du recours en annulation en se fondant sur une analyse stricte de la nature de la décision d’apurement des comptes (A), ce qui l’amène à conclure à l’absence de lien de causalité direct avec la situation juridique de l’opérateur économique (B).

A. Une décision limitée aux rapports financiers entre la Commission et l’État membre

La décision contestée par les requérantes est une décision relative à l’apurement des comptes, prise en application du règlement n° 729/70. Cet acte a pour seul objet de régler les relations financières entre la Commission et l’État membre au titre des dépenses financées par le Fonds européen d’orientation et de garantie agricole. La Cour souligne que la décision « ne concerne que les rapports financiers entre la Commission et la république française ». Son destinataire unique est l’État membre, dont elle valide ou invalide les dépenses présentées au financement communautaire.

En conséquence, la décision ne crée par elle-même aucune obligation à l’égard des opérateurs économiques. Elle ne modifie pas leur patrimoine juridique, n’éteint aucun de leurs droits et ne leur impose aucune charge. Le refus de la Commission de prendre en charge une dépense signifie uniquement que le coût de cette dernière doit être supporté par le budget national de l’État membre, et non par le budget communautaire. La portée de l’acte est donc strictement interne aux relations institutionnelles et financières entre la Communauté et ses États membres.

B. L’absence de lien de causalité direct avec la situation juridique de l’opérateur

Pour qu’un recours en annulation formé par une personne physique ou morale contre une décision adressée à une autre personne soit recevable, l’article 173, alinéa 2, du traité exige que cette décision la concerne directement et individuellement. La condition de l’affectation directe suppose que la mesure communautaire produise par elle-même des effets sur la situation juridique du requérant. Or, en l’espèce, la Cour constate que la récupération des aides ne découle pas directement de la décision de la Commission.

L’acte qui cause un préjudice direct aux requérantes est la décision de l’organisme national de réclamer la restitution des sommes versées. Cette démarche est le fruit de la propre initiative de l’autorité nationale, qui avait d’ailleurs anticipé cette éventualité en exigeant la constitution d’une caution. La Cour énonce clairement que la récupération « n’est pas la conséquence directe de la décision attaquée elle-même, mais du fait que [l’organisme national] avait lié l’octroi definitif des aides à la condition que celles-ci soient mises, en fin de compte, à la charge du [FEOGA] ». L’acte national constitue ainsi un écran entre la décision de la Commission et la situation juridique des opérateurs, rompant le lien de causalité directe exigé pour la recevabilité du recours. La voie de droit appropriée pour les requérantes consiste à contester la décision de récupération devant les juridictions nationales, lesquelles peuvent, si nécessaire, saisir la Cour de justice d’une question préjudicielle.

II. Le rejet de l’action en indemnité en raison de l’origine nationale du préjudice

Après avoir écarté le recours en annulation, la Cour examine la demande en indemnité et la rejette également comme irrecevable. Elle fonde sa décision sur une délimitation claire des compétences juridictionnelles en matière de responsabilité (A), ce qui la conduit à imputer l’acte dommageable à l’autorité nationale (B).

A. La délimitation des responsabilités communautaire et nationale

La Cour rappelle le principe fondamental régissant le contentieux de la responsabilité extracontractuelle, tel qu’il découle des articles 178 et 215, alinéa 2, du traité. Sa compétence se limite à la réparation des dommages causés par les institutions communautaires ou par leurs agents dans l’exercice de leurs fonctions. Inversement, « les dommages causés par les institutions nationales ne sont susceptibles de mettre en jeu que la responsabilité de ces institutions et les juridictions nationales demeurent seules compétentes pour en assurer la réparation ».

Ce partage des compétences est une clé de voûte du système juridictionnel de l’Union. Il assure que le contentieux de la légalité et de la responsabilité des actes des administrations nationales, même lorsqu’elles agissent en exécution du droit communautaire, demeure de la compétence du juge national. La Cour de justice ne peut être saisie d’un litige que si le comportement illégal allégué est directement imputable à une institution communautaire.

B. L’imputation de l’acte dommageable à l’autorité nationale

Appliquant ce principe au cas d’espèce, la Cour examine si le préjudice invoqué par les requérantes trouve son origine dans un acte de la Commission. Les requérantes soutiennent que l’illégalité de la décision d’apurement des comptes est la cause de leur dommage. Toutefois, la Cour a déjà établi que cette décision ne visait pas à ordonner la récupération des aides. Elle n’a fait qu’inciter l’organisme national à agir.

La décision qui est à l’origine directe du préjudice, à savoir l’obligation de restituer les aides, a été prise par l’organisme national seul. Celui-ci a agi « en exécution de l’obligation générale que lui fait le règlement n° 729/70 de récupérer les aides indûment payées ». Par conséquent, le dommage allégué trouve exclusivement sa source dans un acte d’une autorité nationale. La Cour de justice n’est donc pas compétente pour en connaître sur le fondement des articles 178 et 215 du traité. Il appartient aux requérantes de rechercher la responsabilité de l’administration nationale devant les tribunaux nationaux compétents.

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