Arrêt de la Cour (cinquième chambre) du 8 mai 2003. – Commission des Communautés européennes contre République française. – Manquement d’État – Sixième directive TVA – Article 12, paragraphe 3, sous a) et b) – Fournitures de gaz et d’électricité par les réseaux publics – Abonnement aux réseaux de distribution – Taux réduit. – Affaire C-384/01.

Par un arrêt rendu par sa cinquième chambre, la Cour de justice des Communautés européennes s’est prononcée sur la légalité de l’application par un État membre d’un taux de taxe sur la valeur ajoutée réduit à la seule part fixe du prix des fournitures de gaz et d’électricité. En l’espèce, un État membre avait notifié à l’organe exécutif de l’Union son intention de soumettre la partie abonnement des factures d’énergie à un taux réduit, tout en maintenant le taux normal pour la consommation effective. Après un échange de correspondances, et sans attendre une décision finale de l’organe de l’Union qui tardait à se prononcer, l’État membre a adopté la législation instaurant cette différenciation de taux. Estimant que cette mesure violait les dispositions de la sixième directive en matière de TVA, notamment son article 12, l’organe exécutif a introduit un recours en manquement devant la Cour de justice. Il s’agissait pour la Cour de déterminer si la part fixe d’une facture d’énergie pouvait être qualifiée de « fourniture » au sens de la directive, si l’application d’un taux distinct ne contrevenait pas au principe de neutralité fiscale, et enfin, si l’État membre avait méconnu ses obligations procédurales. La Cour de justice a rejeté le recours dans son intégralité, validant ainsi la démarche de l’État membre. Elle a considéré que l’organe de l’Union n’avait pas suffisamment démontré que l’abonnement ne constituait pas une fourniture, que l’application sélective du taux réduit était permise par la directive et que, sur le plan procédural, l’inaction de l’organe dans le délai imparti autorisait l’État membre à mettre en œuvre sa législation.

Il convient d’analyser la solution retenue par la Cour en examinant d’une part la confirmation du bien-fondé de l’application d’un taux différencié (I), et d’autre part, la censure de la gestion procédurale du dossier par l’organe de l’Union (II).

I. La validation de l’application sélective d’un taux réduit

La Cour conforte la position de l’État membre en admettant que l’abonnement puisse être considéré comme une modalité de la fourniture d’énergie (A) et que la différenciation des taux de TVA appliqués à une même fourniture ne viole pas en soi le principe de neutralité (B).

A. La qualification de l’abonnement en tant que fourniture d’énergie

L’organe exécutif de l’Union doutait que l’abonnement aux réseaux de distribution, correspondant à la part fixe du prix, puisse être assimilé à une « fourniture de gaz naturel et d’électricité » au sens de la directive. Il suggérait qu’il pourrait plutôt s’agir d’une prestation de services distincte, rémunérant des coûts fixes comme l’accès au réseau ou l’entretien du compteur, et donc non éligible au taux réduit prévu spécifiquement pour la fourniture d’énergie. La Cour écarte ce grief en soulignant la faiblesse de l’argumentation présentée. Elle relève que l’organe de l’Union n’a pas fourni de preuves tangibles pour étayer son analyse et s’est contenté d’émettre des doutes. La Cour constate que, devant elle, cet organe « n’a apporté aucun argument permettant de conclure que l’abonnement ne saurait en aucun cas être considéré comme fourniture et devrait donc être considéré comme prestation de services ». En se limitant à formuler des « doutes, des hypothèses ou des interrogations », la partie demanderesse n’a pas satisfait à la charge de la preuve qui lui incombe dans le cadre d’un recours en manquement. Cette approche pragmatique valide l’analyse économique selon laquelle l’abonnement et la consommation forment un tout indissociable, la part fixe constituant une modalité de tarification de la fourniture globale d’énergie, et non un service autonome.

B. La conformité de la modulation des taux au principe de neutralité fiscale

Le second argument de fond soulevé par l’organe exécutif portait sur une potentielle violation du principe de neutralité fiscale. Selon lui, si l’abonnement et la consommation relevaient bien d’une unique fourniture d’énergie, leur appliquer deux taux de TVA différents créerait une rupture d’égalité de traitement. La Cour rejette cette interprétation en procédant à une analyse littérale et téléologique de l’article 12 de la sixième directive. Elle rappelle d’abord que si le principe est l’application d’un taux normal unique, les taux réduits constituent une dérogation. Or, rien dans le texte n’oblige un État membre à appliquer le taux réduit à l’intégralité d’une catégorie de biens ou services éligibles. La Cour note que « rien dans le texte de l’article 12, paragraphe 3, sous b), de la sixième directive n’impose que cette disposition soit interprétée comme exigeant que le taux réduit ne s’applique que s’il vise toutes les fournitures de gaz naturel et d’électricité ». Elle renforce son raisonnement en soulignant qu’une analyse comparée des versions linguistiques de la directive plaide en faveur d’une application potentiellement sélective. De plus, elle estime qu’une telle application est cohérente avec le principe d’interprétation stricte des dérogations. En limitant le bénéfice du taux réduit à un « aspect concret et spécifique » tel que l’abonnement, l’État membre respecte l’esprit de la loi. La Cour légitime ainsi l’utilisation du taux réduit comme un outil de politique économique et sociale ciblé, permettant par exemple d’alléger la charge fiscale sur la composante fixe de la dépense énergétique des ménages.

II. La sanction de la défaillance procédurale de l’organe de l’Union

Au-delà des questions de fond, la Cour se penche sur la procédure de notification préalable et en tire des conséquences sévères pour l’organe exécutif, en réaffirmant le caractère strict du délai d’examen (A), ce qui a pour effet de purger la mesure de tout vice lié à un risque de distorsion de concurrence (B).

A. Le caractère impératif du délai d’examen de trois mois

L’organe de l’Union reprochait à l’État membre d’avoir adopté sa législation avant la fin de la procédure d’examen prévue à l’article 12, paragraphe 3, sous b), de la directive. Cette disposition impose à l’État membre d’informer l’organe de son intention et octroie à ce dernier un délai de trois mois pour se prononcer sur l’existence d’un risque de distorsion de concurrence. La Cour constate que l’organe a tenté d’interrompre ce délai par des demandes d’informations, mais elle juge cette manœuvre inopérante. D’une part, elle souligne que le texte est clair et que « [c]ette disposition ne prévoit aucune possibilité d’extension ou de suspension du délai de trois mois ». D’autre part, et de manière encore plus critique, elle observe que la dernière demande d’information, envoyée deux jours avant l’expiration du délai, ne contenait « aucune question concrète » et ne sollicitait « aucune information particulière concernant un éventuel risque de distorsion de concurrence ». En agissant de la sorte, l’organe de l’Union a manqué à son devoir de diligence et ne peut se prévaloir de ses propres atermoiements pour paralyser l’action d’un État membre. La Cour consacre ici une interprétation stricte du délai, le concevant comme une garantie pour les États membres contre l’inertie administrative et un rempart pour la sécurité juridique.

B. L’absence de constatation d’un risque de distorsion de concurrence

La conséquence de cette interprétation rigoureuse du délai est décisive. L’article 12, paragraphe 3, sous b), de la directive établit une présomption : si l’organe exécutif ne se prononce pas dans les trois mois, « aucun risque de distorsion de concurrence n’est censé exister ». La Cour applique cette présomption de manière automatique. Puisque le délai n’a pas été valablement interrompu et qu’il est arrivé à expiration sans opposition formelle et motivée de l’organe de l’Union sur un risque concurrentiel, la condition posée par la directive est réputée remplie. La Cour en conclut que « la Commission n’ayant constaté, dans le délai de trois mois qui lui est imparti par l’article 12, paragraphe 3, sous b), de la sixième directive, aucun risque de distorsion de concurrence, l’application du taux réduit est réputée ne produire aucun risque de ce type ». Dès lors, l’État membre était parfaitement en droit de procéder à la mise en œuvre de sa mesure fiscale. Le manquement procédural n’est donc pas imputable à l’État membre, mais bien à l’organe de surveillance qui, par sa passivité et son imprécision, a perdu sa prérogative de contrôle. L’État membre se trouvait donc libéré de toute contrainte et ne pouvait se voir reprocher d’avoir adopté sa législation.

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