Par un arrêt rendu sur renvoi préjudiciel du Bundesverwaltungsgericht en date du 16 septembre 1997, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé les conditions d’octroi de la prime spéciale en faveur des producteurs de viande bovine dans le contexte d’une cession d’exploitation. En l’espèce, un exploitant agricole avait sollicité le bénéfice de cette prime pour un certain nombre de bovins. Au cours de la période d’engagement durant laquelle il était tenu de maintenir les animaux sur son exploitation, l’agriculteur a cédé celle-ci à son fils par la voie d’une succession anticipée entre vifs. Le cessionnaire a poursuivi l’élevage et l’engraissement du cheptel conformément aux obligations initialement souscrites par son père. L’autorité administrative nationale compétente a toutefois rejeté la demande de prime au motif que le demandeur initial n’avait pas personnellement respecté son engagement de maintien des animaux sur son exploitation durant toute la période requise. Saisi du litige, le Verwaltungsgericht a confirmé cette décision, estimant que le droit à la prime était attaché à la personne du demandeur et non à l’exploitation. Cependant, le Niedersächsische Oberverwaltungsgericht, statuant en appel, a infirmé ce jugement, considérant qu’une transmission des droits et obligations découlant de la demande de prime était possible au profit du successeur. Face à cette divergence d’interprétation, le Bundesverwaltungsgericht a saisi la Cour de justice d’une question préjudicielle. Il s’agissait de déterminer si, en vertu de la réglementation communautaire, le droit à une prime spéciale est transmis au nouveau propriétaire d’une exploitation lorsque celle-ci est cédée en cours d’engagement et que le cessionnaire remplit les conditions matérielles d’octroi. La Cour répond par la négative, jugeant que le droit à la prime n’est pas transmis au cessionnaire de l’exploitation.
Cette solution, fondée sur une interprétation stricte des textes, réaffirme le caractère personnel et non transmissible des engagements souscrits par les producteurs (I), ce qui conduit logiquement à écarter toute transmission du droit à la prime en cas de cession volontaire de l’exploitation (II).
I. Le caractère strictement personnel de l’engagement du demandeur
La Cour de justice fonde sa décision sur la nature des obligations qui incombent au demandeur de la prime. Le système réglementaire institue un lien direct entre le producteur et l’aide, ce qui rend son engagement personnel (A) et essentiel au mécanisme de contrôle des primes (B).
A. La prééminence de l’engagement personnel du producteur
La réglementation communautaire, notamment l’article 4 bis du règlement n° 805/68, énonce clairement que la prime spéciale est octroyée aux « producteurs de viande bovine » qui en font la demande. La Cour souligne que le bénéfice de l’aide n’est pas lié à l’exploitation en tant qu’unité de production, mais bien à la personne de l’exploitant qui s’engage formellement. Cet engagement, matérialisé par une déclaration écrite, atteste que le producteur « a procédé à l’engraissement des bovins » et s’engage à les « maintenir sur son exploitation pendant une période minimale ». Le raisonnement de la Cour repose sur le fait que ces déclarations et engagements constituent un « élément essentiel du système ». En l’absence d’une demande formulée par le nouvel exploitant, celui-ci reste un tiers par rapport à l’engagement initial. Le fait qu’il ait matériellement respecté les conditions d’élevage ne suffit pas à le substituer dans une relation juridique qu’il n’a pas personnellement établie avec l’autorité administrative.
B. La fonction de l’engagement personnel dans le système de contrôle
L’insistance sur le caractère personnel de l’engagement s’explique également par sa fonction dans l’architecture du régime de contrôle. La Cour relève que le système de sanctions prévu par la réglementation, notamment l’exclusion du bénéfice du régime en cas de fausse déclaration, ne pourrait être appliqué efficacement si les obligations pouvaient être transférées implicitement. En effet, sanctionner un nouvel exploitant pour un manquement à une déclaration qu’il n’a pas lui-même souscrite serait juridiquement fragile. La Cour observe qu’à « défaut d’un tel engagement formel de la part du nouvel exploitant, la sanction de l’exclusion du bénéfice du régime de la prime […] ne pourrait pas trouver à s’appliquer ». Cette approche garantit la cohérence et l’effectivité du contrôle en s’assurant que la personne responsable des obligations est également celle qui peut être sanctionnée en cas de non-respect. Elle permet en outre d’assurer le respect du plafond de quatre-vingt-dix animaux par exploitation et par année civile, en évitant qu’un cessionnaire ne cumule ses propres droits à prime avec ceux de l’exploitation qu’il a acquise.
Le caractère personnel de l’engagement ainsi établi, la Cour en déduit logiquement l’impossibilité de transmettre le droit à la prime lors de la cession de l’exploitation.
II. L’intransmissibilité du droit à la prime en l’absence de disposition expresse
La Cour tire les conséquences de son analyse en rejetant la thèse d’une transmission automatique du droit à la prime (A) et en écartant la qualification de force majeure pour la cession volontaire de l’exploitation (B).
A. L’exclusion de la transmission du droit à la prime
La décision affirme qu’en l’état actuel de la réglementation, aucune disposition ne prévoit la transmission du droit à la prime en cas de cession de l’exploitation. En l’absence de texte organisant une telle succession dans les droits et obligations, le demandeur initial qui cède son exploitation perd son droit à la prime, car il ne peut plus respecter son engagement personnel de maintien du cheptel. Le nouvel exploitant, quant à lui, ne peut prétendre à cette même prime sans avoir déposé sa propre demande. La seule solution pour le cessionnaire est donc d’introduire une nouvelle demande en son nom propre, accompagnée de tous les engagements requis. Le simple fait d’avoir rempli les conditions matérielles quant au maintien et à l’engraissement du cheptel n’est pas suffisant pour lui conférer un droit qui trouve sa source dans un acte juridique personnel initié par un autre. Cette interprétation assure une sécurité juridique en clarifiant que le droit à la prime ne constitue pas un accessoire de l’exploitation agricole transmissible avec celle-ci.
B. Le rejet de la qualification de force majeure
L’arrêt examine également si la cession de l’exploitation pourrait constituer un cas de force majeure justifiant le maintien du droit à la prime, conformément à l’article 9, paragraphe 3, du règlement n° 714/89. La Cour rejette fermement cette hypothèse. Elle rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle la force majeure vise des circonstances « étrangère à celui qui l’invoque, anormale et imprévisible, dont les conséquences n’auraient pu être évitées malgré toutes les diligences déployées ». Or, une cession d’exploitation par succession anticipée est un acte volontaire et planifié du producteur. Elle ne présente ni le caractère d’extériorité, ni celui d’anormalité ou d’imprévisibilité requis pour la qualification de force majeure. La Cour distingue ainsi clairement la cession volontaire de situations comme le décès ou l’incapacité professionnelle de longue durée du bénéficiaire, qui sont expressément visées comme des cas de force majeure par renvoi à d’autres textes. Cette position confirme une conception stricte de la force majeure, empêchant qu’elle ne soit invoquée pour contourner les conséquences d’une décision de gestion de l’exploitant.