Par un arrêt du 8 juin 1995, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé les conditions d’éligibilité à l’exonération de taxe sur la valeur ajoutée pour les prestations liées à l’assistance sociale. En l’espèce, une personne physique exploitant un service de garderie d’enfants avait sollicité le bénéfice d’une exonération de TVA au titre des services à caractère social. L’administration fiscale nationale lui avait opposé un refus, estimant que l’activité poursuivait un but lucratif, condition proscrite par la législation nationale transposant la directive communautaire. Saisie du litige, la juridiction de renvoi a interrogé la Cour sur l’interprétation de la notion de « recherche systématique du profit » au sens de l’article 13 de la sixième directive 77/388/CEE. La question soulevée visait à déterminer si un entrepreneur individuel qui réalise un excédent d’exploitation inférieur à une rémunération normale pour son travail pouvait être considéré comme ne poursuivant pas un tel but. La Cour, avant de répondre à cette question, a examiné si un entrepreneur personne physique pouvait être qualifié d’ « organisme » au sens de la disposition d’exonération pertinente. Elle juge qu’un entrepreneur, personne physique, ne peut prétendre au bénéfice d’une exonération sur le fondement de l’article 13, partie A, paragraphe 1, sous g), de la directive, cette disposition réservant expressément le bénéfice de l’exonération aux organismes de droit public ou à d’autres organismes reconnus comme ayant un caractère social.
La solution retenue par la Cour se fonde sur une interprétation littérale des dispositions de la directive (I), dont la rigueur trouve sa justification dans la nature même des exonérations fiscales (II).
I. L’affirmation d’une interprétation littérale de la notion d’organisme
La Cour de justice, pour écarter l’application de l’exonération, s’appuie sur le principe d’interprétation stricte des dérogations au système commun de TVA (A), ce qui la conduit à opérer une distinction nette entre les personnes physiques et les entités visées par le texte (B).
A. Le rappel du principe d’interprétation stricte des exonérations
La Cour rappelle avec constance que les exonérations prévues à l’article 13 de la sixième directive constituent des dérogations au principe général de taxation de toutes les prestations de services effectuées à titre onéreux par un assujetti. En conséquence, « les termes employés pour désigner les exonérations visées par l’article 13 de la sixième directive sont d’interprétation stricte ». Cette approche méthodologique impose au juge de s’en tenir au sens usuel et clair des termes employés par le législateur communautaire, sans en étendre la portée au-delà de ce que le texte prévoit explicitement. Le raisonnement suivi s’inscrit ainsi dans une logique de sécurité juridique, visant à garantir une application uniforme du droit fiscal européen et à limiter les exceptions au champ d’application de la TVA.
B. L’exclusion des personnes physiques du champ de l’exonération
Appliquant ce principe à l’espèce, la Cour analyse la lettre de la disposition litigieuse, qui vise « les prestations de services […] effectuées par des organismes de droit public ou par d’autres organismes reconnus comme ayant un caractère social ». Elle observe que le législateur a délibérément employé le terme « organisme » pour cette exonération, alors que d’autres dispositions du même article n’incluent pas une telle précision. De cette différence de rédaction, la Cour déduit une intention claire : « le bénéfice de l’exonération peut uniquement être invoqué par des personnes morales, alors que, dans le second, il peut également l’être par des personnes physiques, dont les entrepreneurs ». Par conséquent, un entrepreneur individuel, qui agit en tant que personne physique, ne saurait être qualifié d’ « organisme ». Cette distinction formelle, fondée sur le statut juridique du prestataire, suffit à exclure l’opérateur du bénéfice de l’exonération.
II. La portée d’une solution fondée sur la nature des exonérations
Cette interprétation stricte a pour effet de rendre sans objet la question initialement posée par la juridiction nationale (A) et vient confirmer la logique structurante du système commun de TVA (B).
A. La neutralisation de la question préjudicielle initiale
En se prononçant sur la qualité de l’opérateur, la Cour choisit de répondre à une question préliminaire qui n’était pas explicitement formulée mais qui était dirimante. Cette démarche lui permet de ne pas se prononcer sur la notion délicate de « recherche systématique du profit ». Définir ce critère aurait engagé la Cour dans une analyse économique complexe, susceptible de varier considérablement selon les circonstances de chaque espèce et d’introduire une insécurité juridique. En retenant un critère organique simple, celui de la personnalité morale, la Cour fournit une réponse claire et facile à mettre en œuvre pour les administrations et les juridictions nationales. Elle déclare ainsi qu' »il devient sans intérêt pour la solution du litige au principal de savoir si » l’activité de l’entrepreneur constitue une recherche systématique du profit.
B. La confirmation de la logique du système commun de TVA
La décision commentée renforce la cohérence du système commun de TVA, qui repose sur des notions autonomes du droit communautaire. En refusant qu’un État membre puisse étendre une exonération, via sa législation de transposition, à une catégorie d’opérateurs non visée par la directive, la Cour préserve l’effet utile de l’harmonisation fiscale. La portée de cet arrêt est donc de rappeler que les conditions d’exonération, y compris celles tenant à la nature juridique du prestataire, doivent être appliquées de manière uniforme dans toute l’Union. La solution, bien que restrictive pour les entrepreneurs individuels du secteur social, garantit que les distorsions de concurrence entre les opérateurs économiques ne soient pas aggravées par des interprétations divergentes des conditions d’exonération de la taxe sur la valeur ajoutée.