Par un arrêt rendu dans des affaires jointes, la Cour de justice des Communautés européennes se prononce sur la possibilité pour les agents d’une association de droit privé, étroitement liée à la Commission, de se voir reconnaître la qualité de fonctionnaire communautaire.
En l’espèce, plusieurs agents avaient été engagés par une association internationale sans but lucratif de droit belge, créée en 1964 pour assurer des tâches de coopération pour le compte des Communautés européennes. Financée en grande partie par le Fonds européen de développement et la Commission, et dirigée par des fonctionnaires de cette dernière, cette association fonctionnait en pratique sous le contrôle étroit de l’institution. Les agents, employés sous contrat de droit privé belge, estimaient que leur situation de fait était assimilable à celle des fonctionnaires et agents communautaires. Ils ont introduit plusieurs recours visant, d’une part, à faire constater leur qualité de fonctionnaire ou d’agent temporaire de la Commission depuis la date de leur engagement et, d’autre part, à contester la légalité de divers actes subséquents. En particulier, ils contestaient un règlement du Conseil de 1982 qui organisait leur intégration en tant que fonctionnaires, mais sans effet rétroactif à la date de leur recrutement initial par l’association.
La question de droit soumise à la Cour était donc de déterminer si des agents, recrutés formellement par une entité de droit privé distincte mais agissant en réalité comme un service externalisé d’une institution communautaire, pouvaient se voir reconnaître la qualité de fonctionnaire de cette institution depuis la date de leur engagement. En d’autres termes, la réalité des liens fonctionnels et hiérarchiques pouvait-elle prévaloir sur le cadre juridique formel de leur emploi pour leur conférer un statut de droit public communautaire ? La Cour de justice répond par la négative, en s’attachant à une application rigoureuse des conditions statutaires. Elle précise que la qualité de fonctionnaire ne peut découler que d’un acte de nomination formel par l’autorité compétente, conformément au statut.
La solution retenue par la Cour repose sur une distinction nette entre le statut juridique formel des agents et la réalité de leurs conditions de travail, la première primant nécessairement sur la seconde. Cette approche conduit au rejet de la thèse d’une appartenance de fait à la fonction publique communautaire (I), tout en validant la solution tardive et non-rétroactive apportée par le législateur communautaire (II).
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**I. Le rejet de la reconnaissance d’un statut de fonctionnaire de fait**
La Cour de justice fonde sa décision sur une interprétation stricte des textes régissant la fonction publique communautaire, ce qui la conduit à écarter l’idée que les requérants puissent être considérés comme des fonctionnaires en raison de leur seule situation de fait. Elle s’appuie pour cela sur une analyse rigoureuse des conditions d’acquisition de la qualité de fonctionnaire (A) et sur le maintien de l’autonomie juridique de l’association employeuse (B).
**A. L’application stricte des conditions statutaires d’acquisition de la qualité de fonctionnaire**
La Cour rappelle avec force le principe fondamental régissant l’accès à la fonction publique communautaire. Elle se réfère à l’article 1er du statut des fonctionnaires, lequel dispose qu’« est fonctionnaire des communautes … Toute personne qui a ete nommee dans les conditions prevues a ce statut dans un emploi permanent D ‘ une des institutions des communautes par un acte ecrit de L ‘ autorite investie du pouvoir de nomination de cette institution ». Cette définition pose des conditions cumulatives et formelles qui n’étaient pas remplies en l’espèce.
Les requérants n’ont jamais fait l’objet d’un tel acte de nomination émanant de l’autorité investie du pouvoir de nomination de la Commission. Ils ont au contraire été engagés sur la base de contrats de travail de droit privé belge conclus avec l’association. La Cour refuse ainsi de considérer les nombreuses similitudes factuelles entre leurs conditions de travail et celles des agents de la Commission comme suffisantes pour pallier l’absence de l’acte juridique fondateur de la relation de fonction publique. Le fait que la Commission ait approuvé leur recrutement ou que leurs conditions de rémunération aient été alignées sur celles des fonctionnaires ne saurait se substituer à la procédure de nomination prévue par le statut.
**B. L’autonomie juridique de l’association, obstacle à l’assimilation à une unité administrative**
Pour contourner l’absence d’acte de nomination formel, les requérants soutenaient que leur employeur, l’association, n’était en réalité qu’une fiction juridique, une simple unité administrative intégrée à la Commission. La Cour rejette également cet argument en se fondant sur la personnalité juridique distincte de l’association. Celle-ci a été valablement constituée conformément au droit belge et disposait, en dépit de sa dépendance financière, d’un patrimoine et d’organes propres.
La Cour souligne que les liens étroits unissant l’association à la Commission, tels que le financement quasi-exclusif ou la présence de fonctionnaires au sein de son conseil d’administration, « ne sont pas de nature a assimiler L ‘ aec a une institution des communautes ». Ces éléments démontrent un souci de rapprochement et de contrôle, mais ne suffisent pas à effacer l’existence de deux personnes juridiques distinctes. En refusant de faire prévaloir la substance économique et fonctionnelle sur la forme juridique, la Cour préserve la sécurité juridique et la portée des règles statutaires. L’assimilation de l’association à un service de la Commission aurait en effet constitué une remise en cause de sa propre existence légale, une question qui relève de la compétence du juge national belge.
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**II. La validation des mesures spécifiques d’intégration à la fonction publique communautaire**
Après avoir écarté la reconnaissance d’un statut de fonctionnaire de fait, la Cour examine la légalité du règlement adopté par le Conseil pour régulariser la situation des agents en les intégrant comme fonctionnaires. Elle valide ce mécanisme dérogatoire (A) tout en rejetant l’idée que les agents pouvaient légitimement s’attendre à une titularisation rétroactive (B).
**A. La légalité du règlement d’intégration dérogatoire et non-rétroactif**
Le règlement n° 3332/82 a permis de nommer les agents de l’association en tant que fonctionnaires stagiaires de la Commission, en dérogeant à plusieurs dispositions du statut, notamment celles relatives aux concours. Les requérants contestaient ce règlement au motif qu’il ne prévoyait pas une titularisation rétroactive à la date de leur engagement par l’association. La Cour juge cependant que le Conseil n’a commis aucune illégalité.
En effet, le Conseil, en tant qu’autorité législative, était compétent pour adopter des mesures particulières et transitoires afin de résoudre la situation de ces agents. L’absence de rétroactivité relève de son pouvoir d’appréciation et ne saurait vicier le règlement, dès lors qu’aucune règle de droit supérieur n’imposait une telle mesure. La Cour écarte l’argument des requérants selon lequel des commentaires inscrits au budget général pour 1982 auraient créé une obligation pour le Conseil. Elle rappelle à cet égard que « ni le budget ni encore moins un commentaire explicatif … ne peuvent se substituer aux dispositions statutaires » et qu’ils ne revêtent pas de caractère contraignant pour l’autorité législative.
**B. L’absence de confiance légitime en une titularisation rétroactive**
Les requérants invoquaient enfin le principe de protection de la confiance légitime, arguant qu’ils pouvaient s’attendre à une intégration rétroactive sur la base d’une résolution du Parlement européen et de déclarations de la Commission. La Cour rejette ce moyen en rappelant la portée limitée de tels actes dans la hiérarchie des normes communautaires. Une résolution parlementaire ou des assurances données par des fonctionnaires ne sont pas juridiquement contraignantes pour les institutions.
La Cour affirme ainsi clairement qu’« une resolution du parlement ne revet pas un caractere contraignant et ne peut pas faire naitre une confiance legitime a ce que les institutions S ‘ alignent sur celle-ci ». De même, un commentaire inscrit au budget « ne peut ni creer des droits individuels pour les requerants ni susciter une confiance legitime ». Par cette position, la Cour renforce la prévisibilité du droit et la sécurité juridique, en refusant de conférer une valeur normative à des actes de nature politique ou préparatoire. Elle confirme que seules les dispositions formellement adoptées par les autorités compétentes sont susceptibles de créer des droits et des obligations pour les justiciables.