Arrêt de la Cour (deuxième chambre) du 14 juillet 1981. – Benoît Suss contre Commission des Communautés européennes. – Commission médicale – Taux d’invalidité. – Affaire 186/80.

Un fonctionnaire, victime d’une agression, a engagé une procédure afin de faire reconnaître l’étendue de son invalidité permanente. Suite à un premier examen médical diligenté par l’institution pour laquelle il travaillait, un taux d’invalidité fut proposé. L’intéressé, contestant ce taux, a sollicité la constitution d’une commission médicale tripartite, comme le prévoit la réglementation applicable. L’institution a alors désigné, pour la représenter au sein de cette commission, le même médecin qui avait procédé à l’évaluation initiale. Le fonctionnaire a contesté cette désignation, arguant d’un manque d’impartialité, et a également réclamé le paiement d’intérêts moratoires en raison des délais de la procédure.

Saisi du litige, le fonctionnaire a introduit un recours devant la Cour de justice des Communautés européennes visant, d’une part, à obtenir la récusation du médecin désigné par l’administration et, d’autre part, à voir l’institution condamnée au paiement de dommages-intérêts pour le retard apporté à la liquidation de son indemnité. Par son arrêt, la Cour rejette l’ensemble des prétentions du requérant. Elle juge que la composition de la commission médicale était régulière et que la demande en paiement d’intérêts n’était pas fondée.

La question de droit soumise à la Cour était double. Il s’agissait premièrement de déterminer si la désignation, par une institution, d’un médecin ayant déjà instruit le dossier en phase initiale pour siéger au sein de la commission médicale de recours, portait atteinte au principe d’impartialité. Secondement, il était demandé si le caractère nécessairement long de la procédure de détermination du taux d’invalidité ouvrait droit, pour le fonctionnaire, au versement d’intérêts sur l’indemnité finalement allouée.

La Cour de justice répond négativement à ces deux interrogations. Elle considère que la garantie d’impartialité de la commission médicale ne réside pas dans un droit de récusation, non prévu par les textes, mais dans sa composition paritaire et dans la désignation du troisième expert par accord mutuel. Elle affirme ensuite que l’indemnité d’invalidité a un caractère forfaitaire, dont le droit au paiement ne naît qu’à la date de consolidation de l’ensemble des lésions, excluant ainsi tout intérêt moratoire sauf à prouver un retard fautif de l’administration. La solution adoptée par la Cour confirme ainsi la prééminence des garanties procédurales structurelles sur les contestations individuelles (I), avant de consacrer une conception stricte du préjudice indemnisable en matière d’invalidité (II).

I. La confirmation d’un dispositif procédural jugé équilibré

La Cour valide la composition de la commission médicale en écartant l’existence d’un droit de récusation implicite au profit d’une lecture stricte des garanties offertes par le statut (A), rendant par là même indifférent le rôle antérieur joué par le médecin désigné par l’administration (B).

A. Le rejet d’un droit de récusation non expressément prévu

Le juge communautaire fonde sa décision sur une interprétation littérale de la réglementation, qui ne mentionne aucune faculté de récusation pour les parties. Comme il le souligne, « Aucun droit de recusation N’est prevu par la reglementation ». L’absence de cette procédure est justifiée par l’économie générale du système mis en place. La protection des intérêts du fonctionnaire est en effet assurée par d’autres mécanismes considérés comme suffisants. Le caractère contradictoire de la procédure est garanti par la structure même de la commission, qui repose sur la présence d’un médecin choisi par le fonctionnaire et d’un troisième membre désigné « d’un commun accord des deux medecins ainsi designes ».

Cette approche révèle une vision pragmatique où l’équilibre est présumé atteint par la composition de l’organe collégial plutôt que par la possibilité de contester ses membres individuellement. La Cour considère que la confiance, élément essentiel de l’expertise médicale, est assurée dès lors que chaque partie dispose de son propre représentant technique. Le mécanisme de désignation du troisième expert, qui agit en tant qu’arbitre, constitue la clef de voûte du système et la garantie ultime de son impartialité. En se concentrant sur l’architecture de la commission, l’arrêt privilégie la solidité du cadre procédural sur les suspicions pouvant peser sur l’un de ses acteurs.

B. L’indifférence du double rôle du médecin désigné par l’institution

Conséquence logique de ce raisonnement, la Cour écarte l’argument tiré du rôle antérieur du médecin désigné par l’institution. Elle estime qu’il n’est pas interdit à l’administration de choisir le praticien qui a mené la première expertise, celui-ci connaissant déjà le dossier de l’agent. Par une symétrie éclairante, elle précise que « rien ne S’oppose a ce que le fonctionnaire designe un medecin qui a deja delivre, a sa demande, des certificats concernant L’invalidite en cause ». L’intervention préalable n’est donc pas perçue comme une source de partialité, mais potentiellement comme un gage d’efficacité.

De plus, l’arrêt neutralise l’argument selon lequel le médecin serait également agréé par la compagnie d’assurances de l’institution. La Cour juge que ce fait, « tout en etant utile dans les relations entre cette derniere et la commission, ne peut en rien porter prejudice aux interets du fonctionnaire ». Cette affirmation sépare nettement la relation contractuelle entre l’institution et son assureur du processus d’évaluation médicale mené au bénéfice du fonctionnaire. La Cour refuse ainsi de voir un conflit d’intérêts dans une situation qui relève, selon elle, d’une simple organisation administrative. La décision ancre ainsi solidement la légitimité de la procédure dans sa structure tripartite, reléguant au second plan les critiques portant sur le profil des experts choisis.

II. La définition stricte du droit à l’indemnisation

Après avoir validé la procédure, la Cour se penche sur la demande financière et précise la nature du droit à l’indemnité d’invalidité. Elle conditionne le paiement à un fait générateur unique (A), ce qui la conduit à définir le caractère forfaitaire de l’allocation, excluant par principe les intérêts moratoires (B).

A. La consolidation de l’ensemble des lésions comme fait générateur du droit

Le requérant prétendait à des intérêts calculés à partir de la consolidation de chacune de ses lésions. La Cour rejette cette analyse en s’appuyant sur l’article 20 de la réglementation. Elle énonce clairement que « le droit au versement de L’indemnite D’invalidite ne nait pas au fur et a mesure de la consolidation de chacune des lesions mais seulement lors de la consolidation de L’ensemble des lesions ». Cette interprétation unitaire du fait générateur de la créance est déterminante. Elle signifie que tant que l’état de santé du fonctionnaire n’est pas stabilisé dans sa globalité, le droit à l’indemnité définitive n’existe pas encore.

Cette solution est justifiée par la logique même du système d’indemnisation, qui vise à réparer une incapacité permanente et donc consolidée. Le processus d’évaluation peut être long et complexe, ce que les textes ont anticipé en prévoyant explicitement la possibilité d’une réévaluation et, surtout, en ouvrant « un droit a L’allocation D’une indemnite provisionnelle ». L’existence de cette avance de trésorerie vient, aux yeux de la Cour, pallier les inconvénients liés à la durée de la procédure, privant de fondement une demande d’intérêts qui viendrait compenser un retard qui n’est en réalité qu’une conséquence normale du processus médical.

B. Le caractère forfaitaire de l’indemnité, exclusif d’intérêts de plein droit

En se fondant sur la nature de l’indemnité, la Cour parachève son raisonnement. Elle rappelle qu’en vertu de l’assurance statutaire, « L’indemnisation due en cas D’invalidite a le caractere D’une allocation forfaitaire, mesuree D’apres les consequences durables D’un accident ». Ce caractère forfaitaire s’oppose à l’idée d’une créance de somme d’argent produisant des intérêts de plein droit dès son exigibilité. La Cour en déduit une conséquence majeure pour le requérant : la charge de la preuve d’une faute de l’administration.

Des intérêts ne deviennent exigibles qu’à une condition très restrictive. Ils ne le sont que « dans L’hypothese ou L’ayant droit serait en mesure D’etablir que le versement de cette indemnite aurait ete retarde indument par L’administration ». Il ne suffit donc pas de constater une longue durée de procédure ; il faut démontrer qu’elle est anormale et imputable à une négligence ou à une obstruction de la part de l’institution. En l’espèce, la Cour estime qu’une telle preuve n’est pas rapportée, les difficultés du dossier justifiant les délais observés. L’arrêt établit ainsi une distinction claire entre le temps nécessaire à une juste évaluation du dommage et le retard fautif, seul susceptible d’ouvrir droit à une compensation financière supplémentaire.

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Hassan KOHEN
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