Dans un arrêt rendu dans l’affaire 10/82, la Cour de justice des Communautés européennes a clarifié l’étendue du pouvoir d’appréciation de l’autorité investie du pouvoir de nomination (AIPN) dans le cadre des procédures de recrutement. En l’espèce, plusieurs fonctionnaires d’une institution communautaire s’étaient portés candidats à un poste de réviseur vacant. Bien qu’ils remplissent les conditions formelles de l’avis de vacance, leurs candidatures furent écartées au profit d’un fonctionnaire d’une autre institution, recruté par la voie du transfert. Saisis d’un recours en annulation, les candidats évincés soutenaient que l’AIPN avait violé l’article 29 du statut des fonctionnaires, lequel établit un ordre de priorité dans les procédures de recrutement, en ne donnant pas la préférence à la promotion interne. Ils alléguaient également un détournement de pouvoir, arguant que le poste avait été réservé à l’avance au candidat externe. La question de droit soumise à la Cour était donc de savoir si l’AIPN est tenue de pourvoir un poste par promotion interne dès lors que des candidats internes qualifiés existent, ou si elle conserve une marge d’appréciation pour choisir un candidat externe jugé plus apte au regard de l’intérêt du service. La Cour a rejeté le recours, affirmant que l’article 29 n’impose pas une obligation absolue de promouvoir, mais seulement d’examiner les « possibilités » de promotion. Elle a jugé que l’AIPN dispose d’un large pouvoir d’appréciation pour recruter le fonctionnaire possédant les plus hautes qualités, son contrôle se limitant à l’erreur manifeste.
Cette décision consacre le large pouvoir d’appréciation de l’administration dans le choix des candidats (I), tout en le soumettant à un contrôle juridictionnel restreint mais effectif (II).
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I. La consécration du pouvoir d’appréciation de l’administration dans le choix des candidats
La Cour affirme la prééminence de l’intérêt du service, qui guide l’interprétation des procédures de recrutement (A), et rejette par conséquent l’idée d’une priorité inconditionnelle accordée à la promotion interne (B).
A. La finalité du recrutement : la recherche du meilleur candidat
L’arrêt met en lumière la tension entre l’article 29 du statut, qui organise les étapes du recrutement, et l’article 27, qui en fixe l’objectif fondamental. Pour les requérants, l’ordre procédural de l’article 29 primait, imposant de pourvoir le poste en interne avant d’envisager d’autres voies. La Cour adopte une approche téléologique inverse. Elle rappelle que toute procédure de recrutement doit « viser a assurer a L ‘ institution le concours de fonctionnaires possedant les plus hautes qualites de competence , de rendement et D ‘ integrite ». Cette exigence, posée par l’article 27, constitue le principe directeur qui éclaire l’ensemble du processus. L’AIPN n’est donc pas simplement l’exécutante d’une procédure mécanique ; elle est investie de la mission de sélectionner le profil le plus adapté aux besoins du service. En conséquence, l’examen des candidatures internes ne peut se faire en vase clos, mais doit être mené en gardant à l’esprit cet objectif supérieur.
B. La portée limitée de l’examen des « possibilités » de promotion
La Cour fonde son raisonnement sur une analyse littérale de l’article 29, paragraphe 1, lettre a). Elle souligne que cette disposition n’enjoint à l’AIPN que « D ‘ examiner les ‘ possibilites ‘ de promotion au sein de L ‘ institution ». Le choix de ce terme n’est pas anodin et exprime, selon la Cour, « clairement que ladite autorite N ‘ est pas tenue D ‘ une maniere absolue , de proceder par voie de promotion ». L’obligation de l’administration se limite ainsi à une phase d’examen sérieux et loyal des candidatures internes. Toutefois, cette étape n’interdit pas à l’AIPN, durant cet examen même, « de prendre egalement en consideration la possibilite D ‘ obtenir de meilleures candidatures par les autres procedures indiquees dans ce paragraphe ». Ainsi, la hiérarchie des procédures n’instaure pas des cloisons étanches, mais un ordre d’examen. Si l’examen des candidatures internes ne permet pas de conclure qu’une promotion répondrait de manière optimale à l’intérêt du service, l’AIPN a toute liberté de passer aux étapes suivantes, comme le transfert ou le concours.
La reconnaissance de cette liberté de choix au profit de l’administration conduit logiquement la Cour à définir les limites de son propre contrôle sur l’exercice de cette prérogative.
II. Un contrôle juridictionnel restreint sur l’exercice de ce pouvoir d’appréciation
La Cour rappelle que son contrôle se limite à la censure de l’erreur manifeste d’appréciation (A), ce qui l’amène en l’espèce à valider l’évaluation comparative des mérites effectuée par l’administration (B).
A. Le standard du contrôle : l’erreur manifeste d’appréciation
Face à l’argument d’un poste réservé à l’avance, la Cour ne nie pas que l’administration ait eu connaissance de l’existence d’un candidat externe de valeur avant même la publication de l’avis de vacance. Cependant, elle refuse de voir dans cette seule circonstance la preuve d’une irrégularité. Elle établit clairement le périmètre de son office : « la cour doit , pour apprecier la regularite de L ‘ examen des candidatures internes a L ‘ institution , se limiter a la question de savoir si L ‘ administration S ‘ est tenue dans des limites non critiquables et N ‘ a pas use de son pouvoir de maniere manifestement erronee ». Ce standard de contrôle est exigeant pour les requérants. Il ne suffit pas de démontrer que l’un des candidats internes était qualifié pour le poste. Il faut prouver que la décision de l’administration de lui préférer un autre candidat est entachée d’une erreur si grossière qu’aucun administrateur diligent n’aurait pu la commettre. En l’absence d’éléments probants en ce sens, la préférence affichée pour un candidat externe n’est pas, en soi, constitutive d’une faute.
B. L’application concrète : la justification objective de la préférence accordée
La Cour procède ensuite à une vérification concrète des faits pour s’assurer que l’AIPN n’a pas commis une telle erreur manifeste. Elle relève que « aucun element du dossier ne permet D ‘ affirmer que L ‘ aipn N ‘ a pas effectivement examine les qualifications et merites des candidats internes ». Au contraire, elle constate des éléments objectifs justifiant la décision de l’administration. D’une part, certains candidats internes avaient une ancienneté jugée insuffisante pour le poste. D’autre part, et surtout, le candidat finalement retenu possédait une expérience spécifique et bien supérieure à celle des requérants pour les fonctions de réviseur. Le fonctionnaire nommé justifiait de six ans d’ancienneté dans le poste à pourvoir, alors que les candidats internes, bien que méritants, étaient principalement des traducteurs n’effectuant des tâches de révision qu’à titre accessoire. Dans ces conditions, la Cour conclut que l’administration pouvait légitimement « considerer que le fonctionnaire nomme repondait davantage que les requerants aux qualifications requises » et que sa nomination était conforme à l’intérêt du service. Le choix n’apparaissant pas manifestement erroné, le recours ne pouvait que prospérer.