Par un arrêt en date du 8 mars 1988, la Cour de justice des Communautés européennes se prononce sur la recevabilité d’un recours intenté par des fonctionnaires contre une décision de non-admission à un concours. En l’espèce, deux fonctionnaires s’étaient portés candidats à un concours interne organisé par la Cour des comptes. Le jury avait rejeté leurs candidatures en 1985, motifs pris pour l’un de l’inadéquation de son expérience professionnelle et pour l’autre de l’insuffisance de son diplôme pour accéder à la catégorie concernée. Ces décisions initiales, bien que communiquées aux intéressés, n’avaient pas fait l’objet d’un recours contentieux dans les délais statutaires.
Plusieurs années après, à la suite de l’annulation par la Cour des décisions de rejet concernant d’autres candidats dans des affaires distinctes, la procédure de concours a été reprise. Cette reprise fut toutefois limitée aux seuls candidats ayant obtenu gain de cause. Les deux fonctionnaires initialement écartés ont alors présenté, le 31 mars 1987, une nouvelle demande de réexamen de leur situation auprès de l’autorité investie du pouvoir de nomination, arguant de circonstances nouvelles. Cette demande fut rejetée le 29 avril 1987. C’est contre ce dernier refus qu’ils ont formé un recours, après l’épuisement de la voie de la réclamation préalable. Les requérants soutenaient que des faits nouveaux justifiaient la réouverture des délais, tandis que l’institution défenderesse opposait l’irrecevabilité du recours pour tardiveté, la décision initiale de 1985 étant devenue définitive.
La question de droit soumise à la Cour était donc de savoir si des arrêts d’annulation prononcés au bénéfice d’autres candidats et une modification dans la composition du jury de concours constituent des faits nouveaux substantiels. De tels faits seraient-ils de nature à justifier le réexamen d’une décision administrative devenue définitive, et ainsi à rouvrir les délais de recours pour des fonctionnaires n’ayant pas contesté cette décision en temps utile ?
La Cour de justice rejette le recours comme irrecevable. Elle juge que ni l’issue favorable des recours d’autres candidats, ni le remplacement de membres du jury ne sauraient être qualifiés de faits nouveaux substantiels. En conséquence, la demande de réexamen présentée sur le fondement de l’article 90, paragraphe 1, du statut ne pouvait faire échec à la forclusion acquise, les décisions initiales de 1985 n’ayant pas été contestées dans les délais prévus par les articles 90 et 91 du statut.
Il convient dès lors d’analyser la rigueur avec laquelle la Cour applique le principe de forclusion, garant de la sécurité juridique (I), avant d’examiner l’interprétation restrictive qu’elle retient de la notion de fait nouveau comme seule voie de réexamen d’une décision définitive (II).
I. Le rappel rigoureux du principe de forclusion
La décision de la Cour réaffirme avec force le caractère impératif des délais de recours, lesquels conditionnent la stabilité des situations juridiques. Elle considère ainsi que les décisions administratives non contestées acquièrent un caractère intangible (A) et qu’une contestation tardive par une voie détournée ne saurait prospérer (B).
A. L’intangibilité des décisions administratives non contestées
La Cour rappelle une jurisprudence constante selon laquelle la faculté offerte à tout fonctionnaire de solliciter une décision de l’autorité investie du pouvoir de nomination ne peut servir à contourner les règles de procédure contentieuse. Le respect des délais de recours prévus par le statut des fonctionnaires constitue un principe fondamental pour la sécurité juridique au sein de l’ordre juridique communautaire. Une fois le délai de réclamation et de recours expiré, une décision individuelle, même si elle pouvait être considérée comme illégale, devient définitive à l’égard de son destinataire.
Dans le cas présent, les décisions du jury refusant l’admission des requérants aux épreuves du concours dataient de 1985. En l’absence de contestation en temps utile, ces actes administratifs ont purgé tout vice potentiel et ont créé une situation juridique stable pour les intéressés. La Cour souligne que la faculté offerte par le statut « ne permet pas au fonctionnaire d’écarter les délais prévus par les articles 90 et 91 pour l’introduction d’une réclamation et d’un recours, en mettant indirectement en cause, par le biais d’une demande, une décision antérieure qui n’avait pas été contestée dans les délais ». Le principe de forclusion fait donc obstacle à toute remise en cause ultérieure, sauf circonstances exceptionnelles.
B. L’inefficacité d’une contestation indirecte
Les requérants tentaient de contester non pas directement les décisions de 1985, mais la décision de 1987 refusant de réexaminer leur situation. La Cour analyse cette démarche comme une tentative de contournement des délais. Elle précise que la décision de reprendre la procédure de concours en mars 1987 ne constituait pas une décision nouvelle à l’égard des requérants. En effet, cette reprise ne faisait qu’exécuter les arrêts rendus au profit des quatre candidats qui, eux, avaient agi en justice.
Pour la Cour, cet acte « ne concerne aucunement les requérants et ne constitue pas une décision nouvelle quant à leur situation juridique ». Par conséquent, il ne pouvait créer un nouveau droit de recours en leur faveur. Le rejet de leur demande de réexamen n’était que la conséquence logique du caractère définitif des décisions initiales de 1985. La fermeté de cette position démontre que la seule voie de salut pour les requérants aurait été de prouver l’existence de faits nouveaux et substantiels, une notion que la Cour interprète de manière très stricte.
II. L’interprétation restrictive de la notion de fait nouveau
La seule exception au principe de forclusion réside dans la survenance de faits nouveaux substantiels, susceptibles de justifier une demande de réexamen. La Cour examine les deux arguments avancés par les requérants et les rejette en adoptant une définition stricte de cette notion, excluant tant l’autorité relative de la chose jugée (A) que les simples modifications administratives (B).
A. L’absence de portée générale d’un arrêt d’annulation individuel
Les requérants invoquaient comme fait nouveau un arrêt rendu par la Cour le 4 février 1987 annulant le refus d’admission d’un autre candidat. La Cour écarte cet argument en se fondant sur l’autorité relative de la chose jugée. Un arrêt d’annulation ne profite en principe qu’aux parties à l’instance. De plus, elle relève une différence factuelle et juridique déterminante. L’annulation prononcée dans l’affaire antérieure était due au fait que « le jury n’avait pas pris en considération des documents complémentaires produits par le requérant ».
Or, dans le cas des présents requérants, les motifs de rejet étaient liés à une appréciation de fond sur leurs qualifications initiales, et non à une question de production de documents. Le litige ne portait donc pas sur le même objet. La solution d’un litige, même similaire, ne constitue pas un fait nouveau pour un tiers dont la situation juridique est différente. Cette analyse confirme que la jurisprudence, si elle peut éclairer le droit, ne modifie pas par elle-même les situations juridiques individuelles devenues définitives.
B. Le rejet de la modification du jury comme circonstance pertinente
Le second argument des requérants, tiré de la modification de la composition du jury de concours, est également rejeté sans ambiguïté. La Cour considère qu’un tel changement n’est pas un fait nouveau de nature à justifier un réexamen des décisions. Il s’agissait d’un simple remplacement de membres démissionnaires, une mesure d’administration interne qui n’altère en rien la nature ou la continuité de la procédure de concours.
La Cour précise que « une telle modification ne signifie pas qu’il y a eu désignation d’un nouveau jury dans le cadre d’une nouvelle procédure de concours ». Cet événement ne pouvait donc avoir aucune incidence sur l’appréciation des candidatures effectuée par le jury dans sa composition initiale. En qualifiant cette modification de non substantielle, la Cour ferme définitivement la porte à un recours qui, dès l’origine, se heurtait à l’obstacle insurmontable de la forclusion. La décision illustre ainsi le fragile équilibre entre la protection des droits individuels et l’impératif de sécurité juridique qui gouverne le contentieux de la fonction publique européenne.