Par un arrêt rendu sur renvoi préjudiciel du tribunal des finances de Berlin, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé l’interprétation d’une position du tarif douanier commun relative aux œuvres d’art.
En l’espèce, un négociant en objets d’art a importé une œuvre tridimensionnelle créée par un artiste. Cette composition était constituée d’un assemblage de carton, de polystyrène, de peinture, d’huile, de fil de fer et de résine, le tout monté sur un panneau de bois. L’importateur a déclaré cette création sous la position tarifaire 99.03, correspondant aux « productions originales de l’art statuaire et de la sculpture, en toutes matières », et bénéficiant d’une exemption de droits de douane.
L’administration douanière nationale a contesté cette classification. Elle a estimé que l’œuvre devait être rangée sous la position tarifaire 39.07, visant les ouvrages en matières plastiques, et l’a soumise à un taux de douane de 14,2 %. Selon l’administration, la notion de sculpture ne viserait que les œuvres fabriquées selon des techniques traditionnelles, par opposition aux assemblages de matériaux modernes. L’importateur a formé un recours contre cette décision, soutenant une interprétation large des catégories artistiques du tarif douanier. Le tribunal national, saisi du litige, a décidé de surseoir à statuer et de poser une question préjudicielle à la Cour de justice.
La question de droit soumise à la Cour était de savoir si une création tridimensionnelle, reconnue comme une œuvre d’art mais composée de matériaux non traditionnels assemblés, devait être classée comme une « production originale de l’art statuaire et de la sculpture » au sens de la position 99.03, ou si sa nature matérielle imposait une classification sous la position 39.07 du tarif douanier commun.
La Cour de justice répond que l’expression « productions originales de l’art statuaire et de la sculpture, en toutes matières » doit être interprétée comme désignant toutes les productions tridimensionnelles de l’art, quels que soient les techniques et les matériaux utilisés. Elle en conclut que l’œuvre litigieuse relève bien de la position 99.03 et doit être exemptée de droits de douane.
Cette solution consacre une interprétation extensive de la notion d’œuvre sculpturale (I), affirmant ainsi la primauté de la nature artistique de l’objet sur sa composition matérielle pour sa classification douanière (II).
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I. L’interprétation extensive de la catégorie douanière de la sculpture
La Cour de justice adopte un raisonnement téléologique pour définir la notion de sculpture, en l’affranchissant des contraintes techniques traditionnelles (A) et en s’appuyant sur une lecture cohérente des dispositions du tarif douanier (B).
A. Le dépassement des techniques sculpturales traditionnelles
L’administration douanière soutenait une conception restrictive de la sculpture, limitée aux techniques de taille de matériaux durs ou de modelage de matériaux tendres. Cette approche aurait pour conséquence d’exclure du régime favorable du chapitre 99 de nombreuses œuvres d’art contemporaines, qui emploient des méthodes d’assemblage, de collage ou de construction à partir de matériaux divers. La Cour écarte cette vision historiciste. Elle affirme que l’expression litigieuse « doit être comprise comme designant toutes les productions tridimensionnelles de l’art ».
En faisant du caractère tridimensionnel le critère déterminant, la juridiction européenne adapte la qualification juridique à l’évolution des pratiques artistiques. Elle reconnaît que la création artistique n’est pas figée et que le droit douanier ne saurait ignorer les nouvelles formes d’expression. Le choix de ne pas définir la sculpture par un procédé de fabrication mais par son résultat plastique en trois dimensions permet d’englober des œuvres composites et conceptuelles, qui n’auraient pu être anticipées lors de l’élaboration du tarif. Cette interprétation dynamique garantit une application neutre et équitable du droit douanier, sans porter de jugement de valeur sur les techniques employées par les artistes.
B. La confirmation par l’économie générale du tarif douanier
Le raisonnement de la Cour ne repose pas seulement sur une appréciation de l’évolution de l’art, mais également sur des arguments textuels solides tirés du tarif douanier lui-même. D’une part, elle relève que le libellé de la position 99.03 spécifie que les productions de la sculpture sont visées « en toutes matières ». Cette précision textuelle constitue un indice puissant de la volonté du législateur de ne pas limiter la notion de sculpture à l’emploi de matériaux nobles ou traditionnels comme le marbre, le bronze ou le bois. L’inclusion de cette formule vient directement contredire la thèse de l’administration, qui cherchait précisément à fonder la classification sur la nature de la matière employée.
D’autre part, la Cour s’appuie sur la note 4, qui précède le chapitre 99. Cette note prévoit qu’en cas de conflit de classification, les articles susceptibles de relever à la fois de ce chapitre et d’autres chapitres du tarif doivent être classés au chapitre 99. Il s’agit d’une règle d’arbitrage qui instaure une présomption en faveur de la qualification artistique. En présence d’un doute sur la nature d’un objet, le tarif lui-même impose de privilégier son caractère d’œuvre d’art, de collection ou d’antiquité. Cette disposition structurelle conforte l’interprétation large des différentes positions du chapitre 99, et justifie de ranger l’œuvre litigieuse dans la catégorie des sculptures plutôt que dans celle, plus commune, des ouvrages en plastique.
II. La consécration de la valeur artistique comme critère de classification
Au-delà de la simple définition d’une catégorie tarifaire, l’arrêt emporte des conséquences importantes en ce qu’il rejette une approche purement matérialiste de la classification douanière (A) et établit un principe durable pour l’appréhension de l’art contemporain par le droit (B).
A. Le rejet d’une logique de taxation matérialiste
La Cour met en évidence l’incohérence économique de la position défendue par l’administration douanière. Elle valide l’observation de la Commission selon laquelle « l’application du taux de douane prévu pour le matériau utilisé, à une valeur en douane fixée en fonction du caractère artistique d’un ouvrage, aboutit à une imposition sans commune mesure avec le coût de ce matériau ». Ce faisant, elle souligne une absurdité fondamentale : taxer un objet dont la valeur est presque entièrement immatérielle, car liée au geste créatif, sur la base de la valeur de ses composants matériels, souvent insignifiante.
Cette approche pragmatique reconnaît que la valeur économique d’une œuvre d’art ne réside pas dans sa substance, mais dans son statut d’objet unique et de témoignage culturel. Appliquer le régime douanier des matières plastiques à une œuvre d’art de grande valeur reviendrait à ignorer la nature même de l’objet importé. La Cour refuse ainsi que le droit douanier devienne un instrument fiscalement punitif pour la circulation des biens culturels, en veillant à ce que la taxation soit économiquement cohérente avec l’objet qu’elle frappe. La valeur artistique est donc consacrée comme le facteur déterminant pour l’application du tarif.
B. La portée du principe d’adaptation du droit à l’art contemporain
En statuant de la sorte, la Cour ne rend pas une simple décision d’espèce. Elle établit une solution de principe quant à la manière dont le droit douanier européen doit appréhender les créations artistiques. L’arrêt garantit que les définitions tarifaires ne deviennent pas obsolètes face à l’innovation artistique. Il assure que les artistes utilisant des matériaux et des techniques modernes ne soient pas pénalisés par une application rigide et anachronique de la loi. Cette jurisprudence a une portée considérable pour le marché de l’art, en sécurisant juridiquement l’importation d’œuvres qui sortent des cadres traditionnels de la peinture ou de la sculpture.
La solution retenue est un gage de neutralité du droit douanier à l’égard des courants artistiques. Elle empêche que le tarif ne devienne, involontairement, un censeur ou un frein à la diffusion de l’art contemporain. En privilégiant une interprétation ouverte et évolutive, la Cour assure que le chapitre 99 puisse continuer à jouer son rôle de protection et de promotion des échanges culturels, conformément à l’esprit qui a présidé à sa création. La décision s’inscrit ainsi dans une logique de libéralisme culturel, essentielle au bon fonctionnement d’un marché de l’art intégré au niveau européen.