Arrêt de la Cour (deuxième chambre) du 16 mai 2002. – Palais am Stadtpark Hotelbetriebsgesellschaft mbH & Co. KG contre Finanzlandesdirektion für Wien, Niederösterreich und Burgenland. – Demande de décision préjudicielle: Verwaltungsgerichtshof – Autriche. – Rassemblement de capitaux – Directive 69/335/CEE – Champ d’application – Société en commandite simple – Cession de la participation du commandité à une société à responsabilité limitée – Apport soumis, avant la cession et l’entrée en vigueur de la directive, au paiement d’un droit directement proportionnel à son montant. – Affaire C-508/99.

Par un arrêt en date du 10 janvier 2002, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé la portée temporelle et matérielle de la directive 69/335/CEE relative aux impôts indirects frappant les rassemblements de capitaux. En l’espèce, une société en commandite de droit autrichien, constituée en 1982, avait acquitté un droit sur les actes de société conformément à la législation nationale alors en vigueur. En 1996, soit après l’adhésion de la République d’Autriche à l’Union européenne et l’entrée en vigueur de la directive sur son territoire, cette société a connu une modification structurelle par l’entrée d’une société à responsabilité limitée en qualité d’associé commandité. Cette opération a eu pour effet, en vertu du droit autrichien modifié, de la transformer en une société de capitaux au sens de la directive. L’administration fiscale a par conséquent procédé à la liquidation du droit d’apport prévu par le texte communautaire.

La société a contesté cette imposition, arguant qu’elle constituait une double taxation prohibée par les principes de la directive, l’apport initial ayant déjà été fiscalisé. Le recours a été rejeté par les autorités fiscales nationales successives, au motif que le premier prélèvement n’était pas assimilable au droit d’apport communautaire et qu’il était intervenu avant que la directive ne soit applicable. Saisi du litige, le Verwaltungsgerichtshof a adressé une question préjudicielle à la Cour de justice. Il s’agissait de déterminer si les dispositions de la directive 69/335/CEE s’opposent à la perception du droit d’apport lors de la transformation d’une société de personnes en société de capitaux, lorsque les apports à la société de personnes ont déjà été soumis à une imposition nationale avant l’entrée en vigueur de ladite directive dans l’État membre concerné.

La Cour répond par la négative, considérant que le champ d’application de la directive est strictement défini et ne couvre que les sociétés de capitaux. Elle juge que l’interdiction de percevoir d’autres impôts présentant les mêmes caractéristiques que le droit d’apport ne vise pas les prélèvements effectués sur des entités qui, au moment de l’imposition, ne répondaient pas à la qualification de société de capitaux au sens de la directive.

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**I. La délimitation rigoureuse du champ d’application de la directive**

La Cour de justice fonde sa décision sur une interprétation stricte du champ d’application de la directive 69/335, tant sur le plan matériel que temporel. Cette approche conduit à considérer que seule la qualité de société de capitaux au moment du fait générateur de l’impôt peut déclencher l’application du régime harmonisé (A), rendant ainsi inopérante toute fiscalité antérieure ayant frappé une entité de nature différente (B).

**A. La notion de société de capitaux, clé de voûte du régime d’imposition**

Le raisonnement de la Cour s’articule autour de la définition même des entités assujetties au droit d’apport. La directive vise à harmoniser la fiscalité des rassemblements de capitaux au sein des « sociétés de capitaux ». L’arrêt souligne que le texte communautaire ne prétend pas régir la fiscalité de toutes les formes de sociétés. La Cour énonce ainsi que « force est de constater qu’il ressort de la lecture combinée des articles 1er et 3, paragraphes 1 et 2, de la directive 69/335 que cette dernière n’a vocation à s’appliquer qu’aux sociétés de capitaux, telles que définies par cette même directive ». Cette affirmation établit le critère organique comme étant déterminant.

En l’espèce, au moment de sa constitution et du premier prélèvement fiscal en 1982, la société requérante était une société de personnes selon le droit autrichien. Elle n’entrait donc pas dans le champ matériel de la directive, laquelle n’était de surcroît pas encore en vigueur en Autriche. C’est uniquement la modification de sa structure en 1996 qui l’a fait entrer dans la catégorie des sociétés de capitaux, déclenchant ainsi l’application du régime harmonisé. La solution de la Cour est donc d’une grande rigueur juridique : le fait générateur du droit d’apport est la transformation elle-même, une opération visée à l’article 4, paragraphe 1, sous b), de la directive.

**B. L’indifférence de la taxation antérieure des apports à une entité hors champ**

Découlant logiquement de cette première constatation, la Cour écarte l’argument de la double imposition en neutralisant les effets de la taxation initiale. Elle juge que l’interdiction de percevoir d’autres impositions, prévue à l’article 10 de la directive, ne concerne que les opérations visées par celle-ci et les entités qui y sont assujetties. Par conséquent, un impôt national perçu sur les apports à une société de personnes, avant même que la directive ne soit applicable, ne peut être analysé comme une perception prohibée.

La Cour le formule sans équivoque : « l’interdiction, posée à l’article 10 de la directive 69/335 […] ne saurait s’appliquer à un droit ou impôt qui, quelles que soient ses caractéristiques, frappe les apports à des sociétés qui ne sont pas des sociétés de capitaux au sens de ladite directive ». Cette approche consacre une séparation étanche entre les situations juridiques et fiscales nées sous l’empire de législations nationales non harmonisées et celles qui relèvent du droit communautaire. La Cour refuse ainsi de donner une portée rétroactive aux interdictions posées par la directive, protégeant par là même la sécurité juridique des situations consolidées avant son entrée en vigueur.

**II. La validation d’une double imposition économique au nom de la sécurité juridique**

Si la solution retenue est juridiquement orthodoxe, elle aboutit à une double charge fiscale sur un même patrimoine d’un point de vue économique. La Cour valide cette conséquence en écartant une interprétation extensive du principe de non-double imposition (A) et en faisant prévaloir la qualification juridique de l’entité sur la continuité économique des actifs (B).

**A. Le rejet d’une interprétation finaliste de l’interdiction du double assujettissement**

La requérante au principal invoquait une forme de double imposition contraire à l’esprit de la directive, qui vise, selon son sixième considérant, à remplacer les impôts indirects existants par un impôt perçu « une seule fois dans le marché commun ». Toutefois, la Cour se refuse à une interprétation finaliste qui viendrait contredire le texte. Elle rappelle que le principe de non-double imposition, tel qu’il se déduit de la jurisprudence, ne joue qu’à l’intérieur du système de la directive.

La Cour prend soin de distinguer la présente affaire de l’arrêt *Viessmann* du 18 mars 1993, dans lequel un double assujettissement avait été condamné. Elle relève que, dans cette précédente affaire, la société concernée était déjà une société de capitaux au sens de la directive lors de la première imposition. Le principe ne s’applique donc pas lorsque le premier impôt a frappé une entité qui, par sa nature juridique, se situait hors du champ du droit communautaire. La Cour privilégie ainsi une application littérale et systémique, où chaque fait générateur d’impôt doit être analysé au regard de la qualification juridique de l’entité à la date où il survient.

**B. La primauté du critère organique sur la réalité économique de l’apport**

La portée de cet arrêt réside dans la confirmation de la prévalence du critère juridique sur la réalité économique. Bien que ce soient les mêmes actifs qui, apportés en 1982, constituent le capital de la société transformée en 1996, la Cour considère qu’il y a eu deux événements juridiques distincts donnant lieu à deux taxations distinctes. Le premier est la constitution d’une société de personnes, le second est sa transformation en société de capitaux. Cette transformation est analysée non comme la continuation d’une opération antérieure, mais comme une opération nouvelle, spécifiquement soumise au droit d’apport par la directive.

Cette solution, si elle peut paraître sévère sur le plan économique, renforce la prévisibilité et la sécurité juridique. Elle établit une règle claire : la protection contre les doubles impositions qu’offre la directive 69/335 ne bénéficie qu’aux opérations concernant des entités qualifiées de sociétés de capitaux au sens de ses propres dispositions. La Cour refuse de créer une exemption non prévue par le texte au nom d’une équité économique, s’en tenant à la lettre de la loi et à la logique interne du système d’harmonisation qu’elle a pour mission d’interpréter. La décision confirme ainsi que l’harmonisation fiscale ne vaut que pour l’avenir et dans les limites strictes que lui fixe le législateur de l’Union.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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