Arrêt de la Cour (deuxième chambre) du 17 mai 1984. – Estel NV contre Commission des Communautés européennes. – CECA – Dépassement des quotas de production pour l’acier – Amendes. – Affaire 83/83.

L’arrêt rendu par la Cour de justice des Communautés européennes dans l’affaire 83/83 se prononce sur la légalité d’une sanction pécuniaire infligée dans le cadre du régime des quotas de production d’acier. Il aborde la question de la responsabilité d’une entreprise en cas de divergence d’interprétation des règles de calcul avec l’autorité de régulation.

Une société sidérurgique a fait l’objet d’une décision de la Commission lui imposant une amende pour avoir dépassé, au cours du quatrième trimestre de l’année 1981, les quantités de produits de certaines catégories qu’elle était autorisée à livrer sur le marché commun. Ce dépassement résultait d’une divergence de vues sur la méthode de calcul des adaptations de quotas prévues par la réglementation applicable. L’entreprise avait sollicité un ajustement de son quota pour une catégorie de produits, mais la Commission n’avait accédé que partiellement à sa demande, appliquant une méthode de calcul que l’entreprise contestait. Si la méthode de l’entreprise avait été retenue, la part non utilisée de son quota dans cette catégorie aurait été plus importante, ce qui aurait permis de compenser plus largement les dépassements constatés dans d’autres catégories et, par conséquent, de réduire le montant de l’infraction.

Saisie d’un recours en annulation de la décision fixant l’amende, la Cour de justice a dû se prononcer sur la question de savoir si une entreprise pouvait se prévaloir de sa bonne foi ou d’une incertitude quant à la méthode de calcul applicable pour échapper à une sanction pour dépassement de ses quotas. Plus précisément, le litige posait la question de la portée d’une éventuelle erreur d’interprétation commise par un opérateur économique face à une réglementation technique et à la position exprimée par l’autorité compétente. La Cour de justice a rejeté le recours, considérant que l’entreprise ne pouvait invoquer une incertitude pour justifier le dépassement, dès lors qu’elle avait été informée de la méthode de la Commission et avait sciemment pris le risque de ne pas s’y conformer.

Cette décision conduit à examiner la rigueur avec laquelle le juge communautaire apprécie les obligations pesant sur les entreprises soumises à un régime de quotas (I), avant d’analyser la conception stricte de la faute et de la sanction qui en découle (II).

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I. La consolidation du régime des quotas face à l’incertitude alléguée

La Cour affirme la primauté du système de quotas en écartant l’argument de l’entreprise fondé sur l’incertitude de la norme. Pour ce faire, elle établit d’abord que l’opérateur économique avait une connaissance suffisante de la méthode de calcul (A), ce qui l’amène à conclure que le risque lié à une interprétation divergente doit être supporté par l’entreprise elle-même (B).

A. L’inopposabilité d’une interprétation unilatérale de la règle

Le moyen principal de la société requérante reposait sur une prétendue violation du principe de légalité, selon lequel nulle peine ne peut être infligée sans loi. L’entreprise soutenait qu’au cours de la période concernée, la méthode de calcul pour l’adaptation des quotas n’était pas clairement établie, ce qui l’empêchait de prévoir les conséquences de ses livraisons. Elle arguait de sa bonne foi, estimant que sa propre méthode de calcul était « raisonnable et défendable ».

La Cour rejette cette argumentation en se fondant sur une analyse factuelle des échanges entre les parties. Elle constate que, si une incertitude avait pu exister pour le trimestre précédent, la situation était différente pour le quatrième trimestre 1981. Elle relève que « plusieurs échanges de vues ont eu lieu entre estel et eurofer, d’une part, et la commission, d’autre part ». La Cour s’appuie notamment sur une lettre de la Commission du 10 novembre 1981 et un télex du 1er décembre 1981 pour établir que l’entreprise « devait connaître la méthode jugée correcte par la commission ». Par conséquent, la prétendue ambiguïté de la règle n’est pas retenue. La Cour considère que l’entreprise ne pouvait ignorer la position de l’autorité de régulation et tenter d’imposer sa propre lecture des textes.

B. L’imputation du risque à l’opérateur économique

Ayant établi que l’entreprise était informée de la position de la Commission, la Cour en déduit une conséquence logique quant à la répartition des risques. Elle estime que même si l’entreprise « n’avait pas bien compris la méthode de calcul de la commission, elle savait au moins que la commission suivrait une méthode différente de celle adoptée par elle-même ». Face à cette divergence, l’opérateur économique se devait d’agir avec prudence. Il ne pouvait, de sa propre initiative, substituer son interprétation à celle de l’institution chargée de la mise en œuvre du régime.

En maintenant son programme de production et de livraison sans obtenir de clarification ou sans se conformer à la position connue de la Commission, l’entreprise a fait un choix délibéré. La Cour conclut qu' »estel a pris sciemment le risque de dépasser ses quotas pour le quatrième trimestre 1981″. Cette prise de risque consciente exclut toute possibilité de se prévaloir ultérieurement d’une prétendue bonne foi ou d’une incertitude. La responsabilité de l’infraction est ainsi entièrement imputée à l’opérateur, qui doit assumer les conséquences de ses choix stratégiques dans un contexte réglementaire contraignant.

Le rejet de l’incertitude comme fait justificatif conduit logiquement la Cour à une appréciation sévère de la faute de l’entreprise et des conditions d’application de la sanction.

II. L’appréciation stricte de la faute et de la sanction par la Cour

La décision illustre une conception rigoureuse de la responsabilité de l’entreprise, refusant de qualifier l’erreur commise d’excusable (A) et limitant par la même occasion la prise en compte de circonstances atténuantes dans la fixation de l’amende (B).

A. Le rejet de la qualification d’erreur excusable

À titre subsidiaire, l’entreprise invoquait le principe selon lequel il ne peut y avoir de peine sans faute. Elle soutenait avoir commis une « erreur excusable » quant à la méthode de calcul, erreur qui ne pouvait lui être reprochée. Une telle erreur, si elle avait été reconnue, aurait dû faire obstacle au prononcé d’une amende.

La Cour écarte ce moyen en prolongeant son raisonnement antérieur. L’erreur ne peut être considérée comme excusable précisément parce que le risque a été accepté en connaissance de cause. La Cour affirme que l’entreprise « ne devait pas remplacer l’avis de la commission par sa propre interprétation ». De plus, elle ajoute un élément pratique en soulignant que l’entreprise « pouvait encore modifier son programme de production » après avoir eu connaissance de la position de la Commission au milieu du trimestre. Cette capacité d’adaptation démontre que le dépassement n’était pas une fatalité, mais le résultat d’une inaction ou d’un choix délibéré de poursuivre une stratégie de production risquée. L’erreur perd ainsi tout caractère invincible ou inévitable, conditions nécessaires à sa qualification d’excusable.

B. L’interprétation restrictive des circonstances atténuantes

Enfin, la société requérante demandait une réduction du montant de l’amende en invoquant des « circonstances particulières ». Elle soutenait que la Commission était tenue de moduler la sanction en fonction de la gravité de l’infraction et du degré de responsabilité de l’entreprise.

Tout en rappelant sa jurisprudence constante selon laquelle la Commission « a la faculté et même l’obligation, dans des cas exceptionnels, de graduer le montant des amendes », la Cour estime que de telles circonstances ne sont pas établies en l’espèce. Le raisonnement est cohérent avec l’ensemble de la décision : puisque l’entreprise ne peut se prévaloir ni de sa bonne foi, ni d’une incertitude, ni d’une erreur excusable, aucun élément ne vient modérer sa responsabilité. L’infraction est considérée comme pleinement constituée et imputable à l’opérateur. Cette approche confirme que le régime de sanctions prévu par le droit communautaire de l’époque, notamment dans le cadre de la gestion de crises sectorielles, est conçu comme un instrument dissuasif dont l’efficacité repose sur une application rigoureuse, les possibilités de clémence étant réservées à des situations véritablement exceptionnelles que l’opérateur doit démontrer « à suffisance de droit ».

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