Arrêt de la Cour (deuxième chambre) du 19 avril 1988. – M. Contre Conseil des Communautés européennes. – Fonctionnaires – Mesures disciplinaires. – Affaires jointes 175/86 et 209/86.

Par un arrêt de sa deuxième chambre, la Cour de justice des Communautés européennes s’est prononcée sur la légalité de la révocation d’un fonctionnaire. En l’espèce, un agent public avait fait l’objet d’une procédure disciplinaire pour avoir fourni des déclarations inexactes concernant sa situation familiale, lui permettant de percevoir indûment des allocations. Il lui était également reproché de ne pas avoir exécuté plusieurs décisions de justice le condamnant au paiement de dettes privées. Saisi par l’autorité investie du pouvoir de nomination, le conseil de discipline avait recommandé une sanction de rétrogradation. Estimant cette sanction insuffisante au regard de la gravité des faits, l’autorité investie du pouvoir de nomination a prononcé la révocation du fonctionnaire. Ce dernier a alors saisi la Cour d’un recours en annulation et en réformation de cette décision. Il soutenait que la procédure était entachée de vices, que la décision n’était pas suffisamment motivée et qu’elle reposait sur des erreurs manifestes d’appréciation. La question posée à la Cour était double : elle portait d’une part sur la marge de manœuvre de l’autorité de nomination par rapport à l’avis du conseil de discipline, et d’autre part sur la possibilité de sanctionner un fonctionnaire pour des faits relevant de sa vie privée. La Cour rejette le recours dans son intégralité. Elle juge que l’autorité de nomination n’est pas liée par l’avis du conseil de discipline et dispose d’un pouvoir propre pour choisir la sanction. Elle estime également que si la vie privée d’un fonctionnaire est en principe protégée, certains actes, comme le non-respect délibéré de décisions de justice, peuvent porter atteinte à la dignité de la fonction et justifier une sanction.

La décision de la Cour consacre ainsi le pouvoir discrétionnaire de l’autorité disciplinaire dans le choix de la sanction (I), tout en admettant que des manquements relevant de la sphère privée puissent être pris en compte dans l’appréciation du comportement du fonctionnaire (II).

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I. La consécration du pouvoir discrétionnaire de l’autorité disciplinaire

La Cour valide la procédure suivie en écartant les vices de forme soulevés par le requérant. Elle rappelle d’abord la portée limitée des délais procéduraux (A) avant de confirmer la primauté de la décision de l’autorité investie du pouvoir de nomination sur l’avis du conseil de discipline (B).

A. Le caractère non péremptoire des délais de la procédure disciplinaire

Le requérant invoquait le non-respect du délai d’un mois imparti au conseil de discipline pour rendre son avis, conformément à l’article 7 de l’annexe IX du statut. La Cour écarte cet argument en s’appuyant sur une jurisprudence établie. Elle rappelle en effet que les délais prévus par cette disposition ne sont pas prescrits à peine de nullité. La Cour affirme qu’« il resulte d’une jurisprudence constante de la cour que les delais prevus a l’article 7 de l’annexe ix ne sont pas peremptoires, mais qu’ils constituent des regles de bonne administration dont la non-observation peut engager la responsabilite de l’institution pour le prejudice eventuellement cause aux interesses ». Le dépassement du délai ne saurait donc affecter la validité de la décision finale. Cette solution pragmatique vise à ne pas paralyser l’action administrative pour de simples irrégularités procédurales n’ayant pas causé de grief à l’agent. Seule la preuve d’un préjudice direct, résultant de ce retard, pourrait ouvrir droit à une éventuelle indemnisation, mais non à l’annulation de la sanction.

B. La confirmation de la prééminence de l’autorité de nomination

Le requérant demandait à la Cour de réformer la décision de révocation, en la remplaçant par une sanction moins sévère. La Cour déclare cette demande irrecevable, marquant ainsi une distinction claire entre le contrôle de légalité et l’opportunité de la sanction. Elle énonce que « le choix de la sanction adequate appartient a l’aipn, la realite des faits retenus a charge du fonctionnaire etant etablie ». Par cette formule, la Cour confirme que l’avis du conseil de discipline n’est que consultatif. L’autorité de nomination reste seule maîtresse de la décision finale et peut légalement infliger une sanction plus lourde que celle préconisée, à la condition de motiver sa décision. Le contrôle du juge se limite alors à vérifier l’exactitude matérielle des faits, l’absence d’erreur de droit et l’absence d’erreur manifeste d’appréciation, sans se substituer à l’administration dans le choix de la peine.

L’autonomie de l’autorité de nomination étant ainsi affirmée, la Cour se penche ensuite sur le fondement matériel de la sanction, et notamment sur la prise en compte de faits relevant de la vie privée du fonctionnaire.

II. L’extension du contrôle disciplinaire à des faits de la vie privée

La Cour admet que le comportement privé d’un agent puisse, dans certaines circonstances, constituer un manquement à ses obligations professionnelles. Elle analyse d’abord les fausses déclarations comme une rupture du lien de confiance (A), puis elle considère le non-paiement des dettes privées comme une circonstance aggravante portant atteinte à la dignité de la fonction (B).

A. Les fausses déclarations comme manquement à l’obligation d’intégrité

Le requérant tentait de minimiser la gravité de ses fausses déclarations en arguant de sa méconnaissance de la finalisation de son divorce et du faible préjudice financier subi par l’administration. La Cour rejette cette argumentation en se plaçant sur le terrain des devoirs fondamentaux du fonctionnaire. Pour elle, l’intention frauduleuse est moins pertinente que le manquement objectif au devoir de loyauté. Elle juge qu’« il s’agissait de fausses declarations, contraires aux liens de loyaute et de confiance qui doivent regir les relations entre administration et fonctionnaires et inconciliables avec l’integrite exigee de tout fonctionnaire ». La Cour souligne ainsi que l’obligation d’intégrité dépasse la simple régularité comptable. Elle constitue le socle de la relation de travail dans la fonction publique. La dissimulation délibérée d’informations déterminantes pour l’octroi d’avantages financiers suffit, à elle seule, à caractériser une faute grave.

B. L’inexécution de décisions de justice comme atteinte à la dignité de la fonction

L’apport le plus significatif de l’arrêt réside dans l’appréciation des faits relatifs aux dettes privées du fonctionnaire. Le requérant soutenait que ces éléments relevaient de sa vie privée et ne pouvaient justifier une sanction disciplinaire. La Cour, tout en reconnaissant le principe de la protection de la vie privée, y apporte une nuance de taille. Elle précise que « s’il est vrai que les faits de la vie privee ne peuvent pas, en regle generale, justifier des sanctions disciplinaires, il convient cependant d’admettre que la non-execution volontaire de plusieurs decisions judiciaires totalisant une somme tres importante constitue un fait susceptible de porter atteinte a la dignite des fonctions du fonctionnaire ». Ce n’est donc pas le fait d’avoir des dettes qui est sanctionné, mais bien le mépris affiché envers des décisions de justice. Un tel comportement est jugé incompatible avec l’exemplarité attendue d’un agent public, qui se doit de respecter l’autorité judiciaire. La Cour admet que ces faits, bien que privés, peuvent être considérés comme une circonstance aggravante justifiant la sévérité de la sanction.

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