L’arrêt rendu par la Cour de justice des Communautés européennes aborde la question procédurale des délais de recours dans le contentieux de la fonction publique européenne. Un fonctionnaire, après avoir contesté son rapport de notation pour la période 1975-1977, a engagé une procédure de révision interne. Malgré l’obtention de modifications favorables à deux reprises, d’abord de son premier notateur puis du second, l’agent a persisté dans son mécontentement et a formé une réclamation formelle. Cette démarche a conduit à la saisine d’un comité des rapports, dont l’avis défavorable a été entériné par le secrétaire général de l’institution le 8 décembre 1978, la décision étant notifiée à l’intéressé le 18 décembre 1978. Parallèlement, le 30 novembre 1978, des décisions de promotion ont été prises au bénéfice d’autres fonctionnaires, excluant l’agent concerné. La liste des promus fut affichée le 6 décembre 1978. Le 25 mars 1979, le fonctionnaire a introduit deux réclamations distinctes, l’une visant les décisions de promotion, l’autre son rapport de notation. Face au silence de l’administration, deux recours ont été déposés devant la Cour le 3 août 1979. L’institution défenderesse a soulevé l’irrecevabilité des deux recours pour tardiveté. La Cour était ainsi amenée à se prononcer sur le point de départ des délais pour contester, d’une part, un rapport de notation ayant fait l’objet d’une procédure de révision spécifique et, d’autre part, des décisions de promotion à l’égard d’un tiers. Dans sa décision, la Cour de justice a jugé les deux recours irrecevables, considérant que les délais de procédure n’avaient pas été respectés. Elle a estimé que le délai pour attaquer le rapport de notation courait dès la clôture de la procédure de révision interne, rendant inutile et tardive toute réclamation ultérieure. Concernant les promotions, la Cour a retenu que le délai de réclamation débutait à la date de l’affichage de la liste des promus, et non de sa publication ultérieure dans un bulletin d’information.
Cette décision, en clarifiant les règles de computation des délais, met en lumière la distinction entre les procédures de réclamation spécifiques et le régime général, tout en affirmant une conception stricte de la publicité des actes administratifs. Il convient ainsi d’analyser la consolidation d’une voie de recours autonome pour le contentieux du rapport de notation (I), avant d’étudier la primauté de l’affichage sur la publication pour la détermination du point de départ du délai de recours (II).
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I – La consécration d’une voie de recours autonome pour le rapport de notation
La Cour établit que la procédure de révision propre aux rapports de notation constitue une phase précontentieuse suffisante qui, une fois achevée, ouvre directement la voie juridictionnelle. Cette solution affirme que l’achèvement de la procédure interne constitue le point de départ du recours contentieux (A), ce qui entraîne l’exclusion de la réclamation statutaire générale et sanctionne la tardiveté de l’action (B).
A – L’achèvement de la procédure interne comme point de départ du recours contentieux
L’arrêt précise le régime procédural applicable à la contestation des rapports de notation. La Cour s’appuie sur une décision interne de l’institution, datée du 18 octobre 1977, qui organise une procédure de dialogue et de révision en cas de désaccord du fonctionnaire avec son évaluation. Cette procédure, qui culmine avec l’arbitrage final de l’autorité investie du pouvoir de nomination, est conçue comme un mécanisme précontentieux complet. En l’espèce, le parcours suivi par l’agent, de la discussion avec ses supérieurs à la saisine du comité des rapports, a épuisé cette voie de recours interne. La notification de la décision finale du secrétaire général, le 18 décembre 1978, a rendu le rapport de notation définitif.
La Cour confirme alors une solution déjà dégagée dans une jurisprudence antérieure, en énonçant que « le recours contentieux contre un rapport de notation est ouvert a partir du moment ou ce rapport peut etre considere comme definitif, sans qu’on puisse exiger au surplus l’accomplissement de la formalite prealable de la reclamation au sens de l’article 90 ». Le caractère définitif de l’acte n’est donc pas suspendu à une éventuelle réclamation, mais est acquis dès la clôture de la procédure spécifique prévue par les textes régissant l’évaluation. Cette interprétation confère à cette procédure une nature quasi-juridictionnelle, suffisante pour garantir les droits de la défense et permettre ensuite une saisine directe du juge.
B – L’exclusion de la réclamation statutaire et la sanction de la tardiveté
La conséquence directe de cette analyse est que le fonctionnaire ne pouvait plus, après le 18 décembre 1978, utiliser la voie de la réclamation générale prévue par l’article 90 du statut. Ce mécanisme est subsidiaire et ne saurait se superposer à une procédure spéciale déjà menée à son terme. Le délai de trois mois pour saisir la Cour a donc commencé à courir dès cette date, expirant le 19 mars 1979. Le recours, introduit le 3 août 1979, était manifestement tardif.
La Cour se montre inflexible sur ce point, soulignant que même si la lettre du 25 mars 1979 était qualifiée de réclamation, elle aurait été elle-même tardive. Cette rigueur illustre le principe selon lequel les délais de recours sont d’ordre public et ne peuvent être laissés à la discrétion des parties ou du juge. En créant une voie de recours spécifique, l’institution a offert une garantie au fonctionnaire, mais cette garantie est assortie d’une exigence de célérité. L’erreur de l’agent sur la procédure à suivre ne saurait être excusable, car la clarté du système procédural vise précisément à assurer la sécurité juridique pour toutes les parties.
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II – La prééminence de l’affichage sur la publication pour la computation des délais
Concernant le second recours, la Cour tranche un débat classique sur la notion de publicité des actes en retenant une interprétation finaliste. Elle juge que l’affichage constitue l’acte de publicité pertinent pour faire courir le délai de recours (A), réaffirmant par là même l’impératif de sécurité juridique qui gouverne cette matière (B).
A – La finalité de l’affichage comme critère de la publicité légale
Le litige portait sur le point de savoir si le délai de réclamation contre des promotions devait courir à compter de l’affichage dans les locaux de l’institution ou de la publication, plusieurs semaines plus tard, au bulletin mensuel du personnel. L’agent soutenait que seule la publication conférait à la décision un caractère pleinement officiel, se fondant sur une lecture cumulative de l’article 25 du statut. La Cour rejette cette argumentation en se concentrant sur la finalité de chaque mesure d’information.
Elle énonce que « l’affichage immediat de ces decisions (…) repond parfaitement a la finalite de cette mesure qui est de porter ces decisions individuelles a la connaissance de la categorie limitee des personnes interessees ». L’affichage est ainsi considéré comme une publicité suffisante et adéquate pour les autres fonctionnaires susceptibles d’être lésés par les promotions en cause. En revanche, « la publication au bulletin mensuel a pour seul but d’assurer une information d’ordre general sans effet juridique particulier ». Cette distinction pragmatique entre une publicité à effet juridique et une information générale permet d’établir une règle claire et prévisible pour les justiciables.
B – La réaffirmation du principe de sécurité juridique en matière de délais de recours
En faisant prévaloir l’affichage, la Cour renforce le principe de sécurité juridique. Elle rappelle que les délais de recours, y compris les délais de réclamation qui les précèdent, sont d’ordre public. Admettre que le délai puisse courir à partir de la publication tardive au bulletin mensuel introduirait une « elasticite » contraire aux intérêts des bénéficiaires des promotions, dont la situation juridique doit être consolidée rapidement. Une telle solution serait également sans avantage réel pour les tiers, qui peuvent raisonnablement s’informer des décisions importantes affichées dans leur lieu de travail.
La Cour souligne ainsi la diligence attendue de la part d’un fonctionnaire s’agissant du suivi de sa carrière et de la gestion du personnel de son institution. Le choix de la date de l’affichage comme point de départ unique du délai garantit la stabilité des situations juridiques et prévient les recours tardifs qui pourraient paralyser l’administration. La condamnation finale du requérant aux dépens pour recours abusif, en raison de sa persévérance malgré les améliorations déjà obtenues pour son rapport, vient d’ailleurs sanctionner un comportement qui méconnaît tant les règles de procédure que l’économie générale du système de règlement des litiges.