Par un arrêt rendu dans l’affaire 785/79, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé les contours du droit à la réintégration d’un fonctionnaire à l’issue d’un congé de convenance personnelle. En l’espèce, un fonctionnaire scientifique, après avoir bénéficié d’un congé d’une année, n’a pas été réintégré à l’expiration de celui-ci. Il a donc saisi la Cour afin de faire reconnaître son droit à la réintégration, soit à la date de fin de son congé, soit dans l’un des emplois devenus vacants ultérieurement, et d’obtenir réparation du préjudice subi. L’administration opposait d’une part les difficultés budgétaires et la nécessité d’une gestion souple des effectifs pour justifier le non-pourvoi des postes, et d’autre part une nouvelle politique visant à ne recruter que des agents temporaires pour certains emplois. Se posait alors la question de savoir si l’autorité administrative, après avoir publié un avis de vacance, conserve la faculté de ne pas pourvoir l’emploi correspondant, et si une telle prérogative peut faire échec au droit à la réintégration d’un fonctionnaire. La Cour a répondu en distinguant deux situations : elle a d’abord affirmé que l’administration n’est pas tenue de donner suite à une procédure de recrutement, mais elle a ensuite jugé qu’une politique de recrutement d’agents temporaires ne pouvait paralyser le droit statutaire à la réintégration.
La solution de la Cour consacre ainsi le pouvoir discrétionnaire de l’administration dans la gestion de ses emplois (I), tout en posant des limites claires à son exercice afin de garantir l’effectivité des droits du fonctionnaire (II).
I. L’affirmation du pouvoir discrétionnaire de l’administration dans la gestion des emplois
La Cour reconnaît à l’administration une marge de manœuvre significative dans l’organisation de ses services, en confirmant l’absence d’une obligation de pourvoir à un emploi déclaré vacant (A) et en rappelant que le droit à la réintégration ne confère pas un droit sur un poste spécifique (B).
A. L’absence d’obligation de pourvoir à un emploi vacant
L’arrêt établit avec clarté que l’ouverture d’une procédure de recrutement ne crée aucune obligation pour l’administration de la mener à son terme. La juridiction énonce en effet qu’« aucune disposition du statut ne prevoit, en effet, qu’une fois entamee une procedure de recrutement, l’autorite investie du pouvoir de nomination est tenue d’y donner suite en pourvoyant a l’emploi declare vacant ». Cette solution permet à l’administration de s’adapter à l’évolution de ses besoins et de ses contraintes, notamment budgétaires. En l’espèce, la Commission avait expliqué que la publication de multiples avis de vacance visait à assurer une « gestion souple » face à des « difficultés d’ordre financier », une justification que la Cour a jugée légitime. Le lancement d’un recrutement n’est donc qu’une mesure préparatoire qui ne lie pas l’administration pour l’avenir, lui laissant la faculté de renoncer à une nomination si les circonstances l’exigent.
Cette souplesse de gestion se traduit logiquement par une limitation des droits que le fonctionnaire peut faire valoir sur un emploi déterminé.
B. L’inopposabilité du droit à la réintégration à un emploi spécifiquement visé
Le fonctionnaire en attente de réintégration ne peut contraindre l’administration à pourvoir un poste vacant précis pour satisfaire sa demande. Le droit à la réintégration, tel qu’organisé par l’article 40 du statut, est une obligation pour l’administration de proposer un emploi au fonctionnaire « à la première vacance », mais il ne s’agit pas d’un droit pour ce dernier d’exiger son affectation sur un poste de son choix. La Cour souligne que si l’administration « a, pour des raisons legitimes relevant, notamment, des besoins actuels de ses services et des priorites des taches qu’elle doit remplir, decide de ne pas pourvoir a un emploi qui a fait l’objet d’un avis de vacance, le fonctionnaire en conge de convenance personnelle ne peut se prevaloir d’un droit a reintegration dans cet emploi ». Le pouvoir d’appréciation de l’administration quant à l’opportunité de pourvoir un poste reste donc entier, même face à un fonctionnaire dont le droit à réintégration est ouvert.
Cependant, si l’administration dispose d’une marge d’appréciation certaine, la Cour en délimite rigoureusement la portée afin de préserver la substance même du droit statutaire du fonctionnaire.
II. La sauvegarde du droit à la réintégration face aux pratiques administratives
La Cour veille à ce que le pouvoir discrétionnaire de l’administration ne vide pas de sa substance le droit à la réintégration, en affirmant la primauté de ce droit sur les politiques internes de recrutement (A) et en assurant un contrôle juridictionnel effectif sur l’appréciation des aptitudes du fonctionnaire (B).
A. La primauté du droit statutaire sur la politique de recrutement temporaire
L’un des apports majeurs de la décision est de faire obstacle à ce qu’une pratique administrative, même justifiée par une nouvelle réglementation, ne neutralise un droit statutaire. L’administration soutenait que l’annulation d’un avis de vacance était justifiée par sa décision de ne recruter désormais que des agents temporaires pour les crédits de recherche. La Cour rejette fermement cette argumentation en jugeant que si une telle pratique pouvait être opposée à un fonctionnaire, « le droit a reintegration du fonctionnaire en conge de convenance personnelle, tel qu’il resulte de l’article 40, paragraphe 4, lettre d), du statut, deviendrait illusoire ». Le droit à la réintégration, en tant que garantie fondamentale de la carrière du fonctionnaire, ne saurait être mis en échec par un choix de gestion administrative consistant à privilégier des contrats précaires. Cette solution réaffirme la hiérarchie des normes et protège le fonctionnaire contre le risque d’une exclusion définitive du service par le biais d’un changement de politique interne.
Cette protection ne serait toutefois pas complète si l’administration conservait une appréciation souveraine des compétences du fonctionnaire.
B. Le contrôle juridictionnel de l’aptitude du fonctionnaire aux emplois vacants
Le droit à la réintégration est conditionné par la possession par le fonctionnaire des « aptitudes requises pour cet emploi ». Face à la contestation par l’administration des qualifications du requérant pour plusieurs postes, la Cour ne s’est pas contentée des affirmations de cette dernière. Constatant que le débat portait sur des « donnees de caractere hautement technique », elle a décidé d’ordonner une expertise pour « mettre la Cour en etat de trancher cet aspect du litige ». En recourant à une telle mesure d’instruction, la juridiction démontre qu’elle exerce un contrôle complet sur la décision de l’administration. L’appréciation des aptitudes d’un agent ne relève pas d’un pouvoir insusceptible de recours, mais doit au contraire reposer sur des éléments objectifs et vérifiables. Ce faisant, la Cour garantit que le refus de réintégrer un fonctionnaire pour inaptitude supposée ne puisse servir de prétexte pour se soustraire à une obligation statutaire.