Arrêt de la Cour (deuxième chambre) du 20 mars 1980. – Firma Gebrüder Knauf Westdeutsche Gipswerke contre Hauptzollamt Hamburg-Jonas. – Demande de décision préjudicielle: Bundesfinanzhof – Allemagne. – Prélèvements à l’exportation – Perfectionnement passif. – Affaire 118/79.

En matière de droit agricole communautaire, l’articulation entre les mécanismes de soutien internes et les flux commerciaux avec les pays tiers soulève des questions d’interprétation délicates. Par un arrêt du 19 juin 1979, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé la portée de la notion d’exportation dans le contexte de la perception d’un prélèvement institué pour réguler le marché des céréales.

En l’espèce, une entreprise allemande avait exporté de l’amidon de maïs vers l’Autriche, après avoir bénéficié d’une restitution à la production conformément au règlement n° 1132/74. Cette exportation fut réalisée sous le régime douanier du perfectionnement passif, avec l’intention de réimporter ultérieurement le produit transformé. Au moment de la sortie des marchandises du territoire communautaire, les autorités douanières nationales ont appliqué un prélèvement à l’exportation, dont la perception était prévue par le même règlement en cas de hausse des prix sur le marché mondial.

L’entreprise exportatrice a contesté cette perception, d’abord par une réclamation administrative puis par un recours devant le Finanzgericht de Hambourg, qui furent tous deux rejetés. Elle a alors formé un pourvoi devant le Bundesfinanzhof, soutenant que l’esprit du règlement ne justifiait pas l’application d’un prélèvement lorsque les produits n’étaient pas destinés à être écoulés sur les marchés extérieurs mais à être réimportés dans la Communauté. Saisie du litige, la juridiction de renvoi, doutant de la conformité de l’imposition avec les objectifs du texte, a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour de justice une question préjudicielle.

Il était ainsi demandé si la notion d’exportation, au sens de l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 1132/74, devait être interprétée comme incluant les opérations où des marchandises sont exportées sous un régime de perfectionnement passif en vue de leur réimportation ultérieure en tant que produits compensateurs, justifiant ainsi l’application du prélèvement prévu.

À cette question, la Cour de justice répond par l’affirmative. Elle juge que « la notion D ‘ exportation au sens de L ‘ article 7 , paragraphe 2 , du reglement N 1132/74 du conseil […] doit etre interpretee en ce sens qu ‘ un prelevement , eventuellement institue en application de cette disposition , doit egalement etre percu a L ‘ exportation des produits vises lorsqu ‘ ils sont exportes dans le cadre D ‘ un regime de perfectionnement passif et reimportes plus tard en tant que produits compensateurs ».

La Cour opte pour une interprétation large de la notion d’exportation, fondée sur les finalités du mécanisme de prélèvement (I), consacrant ainsi une approche pragmatique qui assure la pleine efficacité du droit communautaire (II).

I. Une interprétation extensive de la notion d’exportation commandée par les objectifs réglementaires

La Cour de justice ne s’est pas limitée à une analyse littérale du terme « exportation », mais a recherché l’intention du législateur communautaire. Elle a ainsi privilégié une interprétation téléologique (A) guidée par la nécessité d’éviter toute perturbation des marchés (B).

A. Le dépassement de l’interprétation littérale au profit d’une approche téléologique

La juridiction de renvoi admettait que le libellé des dispositions en cause semblait couvrir l’opération litigieuse. Toutefois, la Cour de justice relève qu’« il ne suffit pas de constater que le terme ‘ exportation ‘ comprend , D ‘ apres une interpretation purement textuelle , les cas ou les marchandises quittent le territoire geographique de la communaute sous le regime de perfectionnement passif ». Elle estime nécessaire de vérifier si une telle situation est également couverte par l’intention du législateur, qui vise, selon les considérants du règlement, à prévenir les perturbations sur les marchés des pays tiers.

Ce faisant, la Cour ancre son raisonnement dans la finalité même du système de restitutions et de prélèvements. Les restitutions à la production visent à garantir la compétitivité de l’amidonnerie communautaire face aux produits de substitution. Le prélèvement à l’exportation constitue le corollaire de ce système, destiné à neutraliser l’avantage conféré par la restitution lorsque les prix mondiaux sont élevés. L’analyse ne pouvait donc se contenter de la simple constatation du franchissement physique de la frontière, mais devait intégrer la logique économique de l’ensemble du dispositif.

B. La prévention des perturbations de marché comme principe directeur

La Cour identifie deux risques de perturbation justifiant l’application du prélèvement même dans le cadre d’un perfectionnement passif. Premièrement, elle souligne « L ‘ absence D ‘ un systeme de controle communautaire assurant la reimportation des produits exportes ». De ce fait, « la presence meme , sur les marches des pays tiers , de marchandises communautaires destinees au perfectionnement passif mais susceptibles D ‘ etre ecoulees sur ces marches a un prix inferieur a celui du marche , peut causer des pertubations ». Le simple risque de détournement des marchandises sur le marché du pays tiers suffit à caractériser la menace que le prélèvement a pour objet de conjurer.

Deuxièmement, la Cour considère que « L ‘ utilisation , par L ‘ industrie de transformation des pays tiers , de produits a prix reduit en provenance de la communaute pourrait porter atteinte a la transformation des produits indigenes dans ces pays tiers ». Cette analyse met en évidence une forme plus subtile de perturbation, où le bénéfice de la restitution communautaire est indirectement transféré à un opérateur économique d’un pays tiers, faussant ainsi les conditions de concurrence sur ce marché. Le prélèvement assure alors que les matières premières communautaires n’arrivent pas sur les marchés extérieurs à un prix artificiellement bas.

En fondant sa solution sur la prévention des distorsions économiques, la Cour ne se contente pas de clarifier un point technique ; elle affirme une conception du droit communautaire privilégiant son efficacité et son autonomie.

II. La consécration d’une approche pragmatique garantissant l’efficacité du droit communautaire

La solution retenue par la Cour de justice témoigne de la prééminence de la réalité économique sur les qualifications juridiques formelles (A) et renforce par là même la cohérence et l’intégrité de la politique agricole commune (B).

A. La prévalence de la réalité économique sur le régime douanier formel

En soumettant l’exportation temporaire au même traitement que l’exportation définitive, la Cour refuse de laisser la qualification douanière de « perfectionnement passif » faire échec aux objectifs de la politique agricole. Le régime douanier, qui organise les modalités de circulation et de taxation des marchandises, est ici considéré comme secondaire par rapport à l’impératif de régulation des marchés agricoles. L’intention de réimporter, formalisée par le placement sous ce régime, est jugée inopérante face au risque économique réel que la sortie du territoire fait naître.

Cette approche pragmatique est corroborée par un argument de cohérence économique. La Cour estime qu’il est « peu probable que le legislateur communautaire ait eu L ‘ intention de faire profiter L ‘ industrie de perfectionnement des pays tiers , qui est en concurrence avec L ‘ industrie communautaire , des restitutions communautaires ». Permettre à une entreprise d’un pays tiers de transformer des produits subventionnés par la Communauté sans contrepartie irait à l’encontre de l’objectif de soutien de l’industrie communautaire. La décision assure ainsi que les avantages financiers accordés par la Communauté bénéficient aux seuls acteurs auxquels ils sont destinés.

B. Le renforcement de l’intégrité de la politique agricole commune

Au-delà du cas d’espèce, cette décision a une portée significative pour l’application du droit agricole communautaire. Elle établit que la notion d’« exportation », dans ce contexte, est un concept autonome du droit communautaire, dont le contenu doit être défini à la lumière des objectifs de la réglementation concernée, et non par référence aux catégories du droit douanier ou du droit national. Une telle interprétation garantit une application uniforme du prélèvement sur l’ensemble du territoire de la Communauté et prévient les stratégies de contournement.

En fermant ce qui aurait pu devenir une brèche dans le système des prélèvements, la Cour renforce l’étanchéité et la cohérence de la politique agricole commune. Elle veille à ce que les instruments de régulation, conçus comme un ensemble interdépendant, ne puissent être paralysés par une application littérale et formaliste des textes. La solution assure la pleine effectivité des mécanismes de marché et la protection des intérêts financiers de la Communauté, principes cardinaux de l’ordre juridique communautaire.

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Hassan KOHEN
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