Arrêt de la Cour (deuxième chambre) du 20 septembre 1988. – John Friedr. Krohn (GmbH & Co.) KG et Van Es Douane-agenten BV contre Hoofproduktschap voor Akkerbouwprodukten. – Demande de décision préjudicielle: College van Beroep voor het Bedrijfsleven – Pays-Bas. – Conditions de délivrance de certificats d’importation dans le cadre d’un contingent tarifaire annuel. – Affaire 217/87.

Par un arrêt rendu dans le cadre d’une procédure préjudicielle initiée par une juridiction néerlandaise, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé les pouvoirs et les limites de l’action de la Commission dans la gestion des contingents tarifaires annuels. En l’espèce, un opérateur économique spécialisé dans le négoce de manioc avait, par l’intermédiaire de son agent en douane, sollicité auprès de l’autorité nationale compétente la délivrance de certificats d’importation pour des marchandises originaires d’un pays tiers non membre du GATT. Ces importations s’inscrivaient dans le cadre d’un contingent tarifaire communautaire dont le volume pour l’année en cours n’avait pas encore été formellement arrêté par le Conseil, bien qu’une proposition ait été formulée par la Commission. Face à un afflux de demandes dépassant le volume du contingent qu’elle avait proposé, la Commission a d’abord demandé aux autorités nationales de suspendre la délivrance de tout nouveau certificat. Une fois le contingent définitivement fixé par le Conseil, la Commission a ensuite autorisé la soumission de nouvelles demandes et a réparti le solde disponible au prorata de l’ensemble des demandes, qu’elles aient été déposées avant la suspension ou après la réouverture du processus.

Saisie par l’opérateur économique qui contestait le rejet initial de ses demandes puis le faible pourcentage obtenu lors de la répartition finale, l’autorité nationale a décidé de surseoir à statuer. Elle a interrogé la Cour de justice sur la validité des communications de la Commission au regard du droit communautaire, notamment du règlement d’application régissant la délivrance des certificats, ainsi que des principes de non-discrimination et de sécurité juridique. La question de droit posée à la Cour consistait donc à déterminer si la Commission, dans l’attente d’une décision du Conseil, pouvait légalement suspendre l’octroi de certificats d’importation puis, une fois le volume du contingent connu, décider de regrouper les demandes anciennes et nouvelles pour une distribution générale au prorata, ignorant ainsi l’antériorité des premières. La Cour a répondu en deux temps : elle a validé la mesure de suspension, la jugeant comme une action prudentielle nécessaire, mais a invalidé la méthode de répartition finale, estimant qu’elle portait atteinte aux droits des opérateurs ayant déposé leurs demandes en premier lieu.

L’analyse de cette décision conduit à examiner la légitimation par la Cour d’un pouvoir de gestion conservatoire reconnu à la Commission (I), avant d’étudier la censure subséquente d’une méthode de répartition jugée contraire au principe de priorité et à la sécurité juridique (II).

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I. La légitimation d’un pouvoir de gestion conservatoire reconnu à la Commission

La Cour de justice a d’abord validé la décision de la Commission de suspendre la délivrance des certificats d’importation, la considérant comme une mesure justifiée par les circonstances (A) et confirmant par là même le rôle de l’institution en tant que gardienne d’une saine administration des régimes communautaires (B).

A. Une suspension justifiée par l’incertitude et le risque d’épuisement du contingent

La première partie du raisonnement de la Cour se concentre sur la légalité de la communication suspendant le processus d’attribution. Elle relève que la Commission se trouvait dans une situation où le volume total des demandes déjà transmises par les États membres, ajouté aux certificats déjà octroyés, excédait le volume du contingent qu’elle avait elle-même proposé au Conseil. Dans ce contexte, la Cour estime que « la commission ne pouvait ni poursuivre l’attribution anticipée du contingent, dont le volume proposé au conseil avait été dépassé, ni appliquer la règle du prorata […] puisque le volume du contingent n’avait pas encore été définitivement fixé par le conseil ». Cette approche pragmatique reconnaît que la Commission était face à une impasse juridique et administrative.

En effet, poursuivre l’attribution aurait conduit à un dépassement quasi certain du futur contingent, tandis que l’application d’un prorata était mathématiquement impossible sans connaître le volume total à répartir. La suspension apparaît dès lors comme la seule mesure raisonnable et non préjudiciable pour l’avenir, une sorte de gel des procédures dans l’attente de la clarification par le législateur communautaire. La Cour admet ainsi implicitement que l’inaction du Conseil ne saurait paralyser l’action administrative de la Commission au point de la contraindre à prendre des décisions qui violeraient l’esprit même du régime contingentaire, dont le but est de limiter les quantités importées à un taux préférentiel.

B. La consécration du rôle de la Commission en tant que garante de la bonne administration

Au-delà de la justification factuelle, la validation de la suspension conforte le rôle de la Commission en tant qu’organe exécutif chargé de la gestion quotidienne des politiques communes. En autorisant une telle mesure conservatoire, non explicitement prévue par les textes, la Cour reconnaît à la Commission un pouvoir inhérent de bonne administration. Celui-ci lui impose de prendre les dispositions nécessaires pour préserver l’intégrité et l’efficacité des mécanismes qu’elle est chargée de mettre en œuvre. Agir autrement aurait été contraire à une gestion prudente des ressources douanières de la Communauté.

Cette solution illustre une application du principe de précaution administrative, où l’autorité de gestion doit pouvoir intervenir pour prévenir un désordre imminent, tel qu’une ruée sur les certificats qui aurait rendu le contingent inopérant dès son adoption formelle. En ne sanctionnant pas cette initiative, la Cour envoie un signal clair : la responsabilité de la Commission ne se limite pas à une application mécanique des textes, mais inclut une obligation de vigilance et d’intervention lorsque le silence du législateur risque d’engendrer des conséquences contraires aux objectifs de la réglementation. Cette suspension n’a d’ailleurs, selon la Cour, « aucunement préjugé de l’attribution finale du volume du contingent encore disponible ».

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Si la mesure conservatoire a été jugée valide, la Cour a porté une appréciation différente sur les modalités de la répartition finale du reliquat.

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II. La censure d’une répartition finale attentatoire aux droits des opérateurs

La Cour a invalidé les communications de la Commission organisant la répartition finale du contingent, jugeant la méthode choisie contraire à la réglementation applicable (A) et, par conséquent, aux principes de sécurité juridique et d’égalité de traitement qui en découlent (B).

A. La violation de la règle de priorité attachée à l’ordre de dépôt des demandes

Le cœur de la censure de la Cour réside dans l’interprétation de l’article 2 du règlement n° 3656/83. Après l’entrée en vigueur du règlement du Conseil fixant définitivement le contingent, la Commission avait décidé de traiter sur un pied d’égalité les demandes restées en instance et les nouvelles demandes déposées dans un délai supplémentaire. La Cour rejette fermement cette approche. Elle affirme que « la commission était dans l’obligation, après la fixation définitive du contingent par le conseil, de distribuer le reste du contingent disponible en faisant droit par priorité aux demandes en instance confirmées, moyennant, le cas échéant, l’application de la règle du prorata ».

Ce faisant, la Cour estime que les demandes initialement suspendues n’avaient pas perdu leur rang. Elles auraient dû être satisfaites prioritairement jusqu’à épuisement du solde disponible. Ce n’est qu’au cas où le volume de ces seules demandes en instance aurait excédé le solde qu’un prorata aurait dû être appliqué, mais uniquement entre elles. En autorisant de nouvelles demandes et en les agrégeant aux anciennes pour un calcul global du prorata, la Commission a violé l’ordre chronologique implicitement protégé par la procédure. La solution retenue par l’institution revenait à pénaliser les opérateurs diligents qui avaient respecté le calendrier initial, au profit de ceux qui n’avaient déposé leur demande qu’après la fixation du contingent.

B. La réaffirmation des principes de sécurité juridique et d’égalité de traitement

En sanctionnant la méthode de la Commission, la Cour réaffirme l’importance cardinale du principe de sécurité juridique. Les opérateurs économiques qui ont introduit leurs demandes conformément aux règles en vigueur doivent pouvoir compter sur le fait que leur rang de priorité sera préservé. Permettre à l’administration de modifier les règles du jeu en cours de procédure, au détriment de leurs expectatives légitimes, créerait une incertitude incompatible avec le bon déroulement des relations commerciales. Les opérateurs ne pourraient plus se fier aux dispositions réglementaires pour planifier leurs activités.

De plus, la décision protège le principe d’égalité de traitement, non pas en traitant tous les opérateurs de manière identique, mais en traitant de manière similaire les situations similaires. Les opérateurs ayant déposé leur demande avant la suspension se trouvaient dans une situation juridique différente de ceux ayant agi après la fixation du contingent. En les fusionnant dans un groupe unique pour la répartition, la Commission a méconnu cette différence et a donc violé ledit principe. La Cour conclut ainsi logiquement que la décision de répartition est invalide, sans qu’il soit besoin d’examiner plus avant les autres arguments, l’illégalité au regard du règlement d’application étant suffisante pour fonder sa décision.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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