Arrêt de la Cour (deuxième chambre) du 21 juin 2001. – SONAE – Tecnologia de Informação SA contre Direcção-Geral dos Registos e Notariado. – Demande de décision préjudicielle: Tribunal Tributário de Primeira Instância do Porto – Portugal. – Rassemblement de capitaux – Directive 69/335/CEE – Droits ayant un caractère rémunératoire – Droits d’inscription au registre du commerce. – Affaire C-206/99.

Par un arrêt rendu sur question préjudicielle, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé les conditions de compatibilité des droits d’enregistrement nationaux avec la directive 69/335/CEE du 17 juillet 1969 concernant les impôts indirects frappant les rassemblements de capitaux. En l’espèce, une société avait procédé à une augmentation de son capital social, opération soumise à une inscription obligatoire auprès du registre du commerce de l’État membre concerné. Les services administratifs de cet État avaient liquidé des droits d’enregistrement calculés sur une base proportionnelle à la valeur de l’augmentation de capital, sans plafond. La société a contesté le paiement de ces droits devant une juridiction nationale, soutenant qu’ils constituaient un impôt prohibé par la directive précitée. Saisie du litige, la juridiction de renvoi a interrogé la Cour de justice sur la qualification de tels droits au regard du droit de l’Union. Il était ainsi demandé à la Cour de justice de déterminer si des droits perçus lors de l’inscription d’une augmentation de capital, dont le montant est proportionnel à la valeur de cette augmentation, constituent un impôt prohibé par la directive ou s’ils peuvent être qualifiés de droits ayant un caractère rémunératoire, autorisés par son article 12. La Cour répond que de tels droits, calculés en proportion du capital et non sur la base du coût du service rendu, ne revêtent pas un caractère rémunératoire et sont, en principe, contraires à la directive. La Cour précise ainsi la notion de droit à caractère rémunératoire (I), consacrant une interprétation stricte dont la portée affecte substantiellement les prérogatives des États membres en la matière (II).

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**I. La consécration d’une définition stricte du droit à caractère rémunératoire**

La Cour de justice encadre rigoureusement la dérogation permettant aux États membres de percevoir des droits rémunératoires. Pour ce faire, elle exclut de cette catégorie les droits proportionnels au capital (A) et réaffirme que la seule base de calcul admissible est le coût du service effectivement rendu (B).

**A. L’incompatibilité des droits proportionnels avec la nature d’une rémunération**

La Cour établit une incompatibilité de principe entre un mode de calcul proportionnel au capital social et la qualification de droit rémunératoire. Elle énonce clairement qu’« un droit dont le montant augmente directement et sans limites en proportion du capital nominal souscrit ne saurait, par sa nature même, constituer un droit à caractère rémunératoire au sens de la directive 69/335 ». Ce faisant, elle considère qu’un tel mode de calcul est par nature étranger à la contrepartie d’un service. Le raisonnement de la Cour repose sur l’absence de corrélation logique entre la valeur d’une opération de capital et le coût de la formalité administrative qu’elle engendre. Si la complexité d’un enregistrement peut varier, cette variation n’est pas proportionnelle au montant du capital concerné. Un enregistrement pour une augmentation de capital de dix millions d’euros n’est pas nécessairement dix fois plus coûteux qu’un enregistrement pour une augmentation d’un million d’euros. En liant le montant du droit à la valeur de l’acte, la législation nationale ne rémunère plus un service, mais impose le capital lui-même, ce que la directive vise précisément à interdire afin de faciliter la libre circulation des capitaux. Cette solution confirme une jurisprudence antérieure et prive les États membres d’une source de revenus substantielle, en requalifiant ces perceptions en impôts prohibés par l’article 10 de la directive.

**B. La réaffirmation du coût du service comme critère exclusif de calcul**

En contrepoint de l’exclusion des droits proportionnels, la Cour réaffirme que la seule base de calcul légitime pour un droit rémunératoire est le coût du service rendu. Elle rappelle que la catégorie des droits rémunératoires dérogatoires « comprend les seules rétributions dont le montant est calculé sur la base du coût du service rendu ». Cette définition positive est essentielle, car elle fournit aux États et aux juges nationaux un critère d’appréciation concret. La Cour admet qu’une évaluation forfaitaire de ce coût est possible lorsque sa détermination précise s’avère difficile. Cependant, cette évaluation doit demeurer raisonnable et prendre en compte des éléments objectifs tels que les ressources humaines et matérielles mobilisées pour accomplir la formalité. De plus, la Cour précise que les avantages économiques ou juridiques que la société retire de l’enregistrement ne peuvent être intégrés dans la base de calcul. Ces avantages sont une conséquence de l’opération de capital elle-même et non du service administratif de l’enregistrement. En consacrant le coût du service comme critère unique et exclusif, la Cour assure que la dérogation prévue à l’article 12, paragraphe 1, sous e), de la directive ne vide pas de sa substance l’interdiction de principe posée à l’article 10.

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Cette définition rigoureuse du caractère rémunératoire emporte des conséquences notables quant à sa mise en œuvre par les législations nationales.

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**II. La portée de la solution : une limitation effective du pouvoir de taxation déguisé des États membres**

La clarification apportée par la Cour de justice a une portée considérable, car elle neutralise deux mécanismes par lesquels les États membres pourraient tenter de contourner l’interdiction des impôts sur les rassemblements de capitaux. Elle juge ainsi inopérants les plafonds qui ne sont pas fondés sur le coût réel du service (A) et rejette la possibilité de justifier la proportionnalité des droits par un prétendu principe de solidarité (B).

**A. L’inefficacité d’un plafonnement non corrélé au coût du service**

La Cour anticipe une éventuelle parade des États membres consistant à maintenir un calcul proportionnel tout en l’assortissant d’un montant maximal. Elle juge qu’une telle mesure n’est pas suffisante en soi pour conférer un caractère rémunératoire à un droit. En effet, « l’existence d’une limite maximale que ces droits ne peuvent dépasser n’est pas, à elle seule, de nature à leur conférer un tel caractère rémunératoire si ladite limite n’est pas établie de manière raisonnable par rapport au coût du service dont les droits constituent la contrepartie ». Cette précision est déterminante, car elle empêche qu’un plafond, même élevé, serve à légitimer un prélèvement qui demeure, dans son principe, un impôt déguisé. Pour que le droit soit conforme à la directive, ce n’est pas seulement son montant maximal qui doit être raisonnable, mais son mode de calcul intégral. Un plafond fixé de manière arbitraire, sans lien avec une estimation, même forfaitaire, du coût le plus élevé du service d’enregistrement, ne change rien à la nature fiscale du prélèvement pour toutes les opérations dont le montant se situe en deçà de ce plafond. La Cour impose donc une cohérence globale : la structure même du droit doit refléter une logique de rémunération, et non une logique de taxation simplement écrêtée.

**B. Le rejet du principe de solidarité comme justification de la proportionnalité**

La Cour se prononce également sur un argument avancé par un gouvernement, selon lequel un calcul proportionnel permettrait d’instaurer une forme de solidarité, les grandes sociétés finançant, par des droits plus élevés, le coût des services rendus aux plus petites. La Cour rejette fermement cette justification. Elle considère qu’un État membre ne peut, « sans faire perdre aux droits en cause leur caractère rémunératoire, introduire, dans le barème des droits à percevoir en contrepartie d’un service rendu, un élément de solidarité entre grandes et petites sociétés ». Un tel mécanisme, qui revient à moduler le prix d’un même service en fonction de la capacité contributive du demandeur, est étranger à la notion de rémunération. Il s’agit d’une technique de redistribution fiscale qui relève de la politique économique et sociale de l’État, mais qui ne peut trouver sa place dans le cadre strict de la dérogation prévue par la directive. En statuant de la sorte, la Cour réaffirme que l’objectif de la directive est d’éliminer les obstacles fiscaux à la constitution et à la croissance des entreprises. Permettre une taxation déguisée, même motivée par un objectif de solidarité, irait à l’encontre de cette finalité première. La solution garantit ainsi une application uniforme de la notion de droit rémunératoire dans toute l’Union, empêchant que des considérations de politique nationale ne viennent altérer la portée du droit européen.

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