Par un arrêt du 7 mai 1982, la Cour de justice des Communautés européennes s’est prononcée sur l’articulation entre le droit communautaire de la sécurité sociale et les législations nationales déterminant les conditions d’affiliation.
En l’espèce, un ressortissant néerlandais ayant travaillé successivement aux Pays-Bas et en République fédérale d’Allemagne s’est vu notifier, au moment de sa retraite, une réduction de sa pension de vieillesse par l’organisme néerlandais compétent. Cette réduction était doublement motivée : d’une part, en raison des années durant lesquelles il n’était pas assuré aux Pays-Bas, étant affilié au régime allemand du fait de son activité professionnelle ; d’autre part, en raison du fait que son épouse, bien que résidant et travaillant aux Pays-Bas durant cette même période, était considérée comme non-assurée par la législation néerlandaise, son affiliation étant conditionnée à celle de son mari au régime national.
L’intéressé a contesté cette décision devant les juridictions néerlandaises. Saisi du litige, le Centrale Raad van Beroep, confronté à l’argument selon lequel la législation nationale serait contraire aux règlements communautaires sur la sécurité sociale des travailleurs migrants, a décidé de surseoir à statuer. Il a posé à la Cour de justice une question préjudicielle visant à déterminer la compatibilité d’une telle disposition nationale avec le principe de la loi du lieu de travail.
Le problème de droit soumis à la Cour consistait à savoir si le principe selon lequel un travailleur est soumis à la législation de l’État membre où il exerce son activité, consacré par les règlements n° 3/58 et n° 1408/71, s’oppose à ce qu’une disposition nationale prive une femme mariée, résidente et salariée, du bénéfice de l’assurance vieillesse au seul motif que son époux n’est pas affilié au même régime national, étant lui-même assuré dans un autre État membre.
La Cour de justice a répondu par la négative. Elle juge qu’en l’état actuel du droit communautaire, une telle disposition nationale n’est pas incompatible avec les règlements en vigueur. La Cour estime qu’il revient aux États membres de définir les conditions d’affiliation à leurs régimes de sécurité sociale, et qu’aucune règle communautaire ne leur interdit de subordonner le droit d’un conjoint à l’affiliation de l’autre au même régime.
Cette décision réaffirme la compétence des États membres dans la détermination des conditions d’affiliation à la sécurité sociale (I), tout en révélant les limites de la protection offerte par le droit communautaire de l’époque face à certaines situations discriminatoires (II).
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I. La compétence maintenue des États membres dans la définition des conditions d’affiliation
La Cour rappelle que si le droit communautaire détermine la loi applicable, il ne régit pas exhaustivement les conditions d’assujettissement, laissant ainsi une marge de manœuvre aux législations nationales. Cette solution repose sur une distinction claire entre la désignation de la législation applicable (A) et la définition matérielle des règles d’affiliation (B).
A. Le principe directeur de la loi du lieu de travail
Le raisonnement de la Cour prend pour point de départ le principe fondamental de la *lex loci laboris*, établi par l’article 12 du règlement n° 3/58 et repris à l’article 13, paragraphe 2, sous a), du règlement n° 1408/71. Cette règle vise à éviter les conflits de lois, positifs ou négatifs, en garantissant qu’un travailleur migrant ne soit soumis qu’à un seul régime de sécurité sociale pour une même période d’activité. Son objectif premier est de faciliter la libre circulation des travailleurs en assurant une continuité dans leur protection sociale. L’application de ce principe au cas de l’époux, travailleur en Allemagne, justifiait logiquement son assujettissement exclusif à la législation allemande pour la période concernée. La Cour ne remet nullement en cause cette règle fondamentale, qui constitue la pierre angulaire de la coordination des systèmes de sécurité sociale en Europe.
B. La liberté résiduelle des États dans l’aménagement de leurs régimes
Cependant, la Cour opère une distinction essentielle : si le droit communautaire désigne la législation nationale compétente, il n’en définit pas le contenu matériel. La Cour souligne en effet qu’« il appartient a la legislation de chaque etat membre de determiner les conditions du droit ou de L ‘ obligation de S ‘ affilier a un regime de securite sociale ou a telle ou telle branche de pareil regime ». Par cette formule, elle confirme que la détermination des assurés, les conditions de résidence ou les liens familiaux pouvant influer sur l’affiliation relèvent de la compétence nationale. L’État membre reste donc libre de concevoir son système, y compris en créant des droits dérivés ou en liant le statut d’un conjoint à celui de l’autre. Le droit communautaire de coordination n’a pas pour objet d’harmoniser les régimes, mais seulement de les articuler, ce qui laisse subsister d’importantes disparités entre eux.
La Cour consacre ainsi une approche dualiste, où la compétence communautaire pour la coordination coexiste avec la compétence nationale pour l’organisation. Cette articulation, bien que logique, ouvre la voie à des situations où l’exercice du droit à la libre circulation peut avoir des conséquences financières défavorables, comme l’illustre la présente affaire.
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II. L’admission d’un droit d’affiliation dérivé et ses implications
En validant la disposition nationale litigieuse, la Cour admet implicitement la conformité des systèmes d’affiliation dérivés avec le droit communautaire de l’époque (A). Cette solution apparaît cependant datée, car elle ne prend que partiellement en compte l’évolution du principe d’égalité de traitement qui allait transformer ce domaine (B).
A. La non-prohibition des régimes d’affiliation conditionnels
La conséquence directe du raisonnement de la Cour est de valider un système où le droit propre d’une personne à l’assurance vieillesse est anéanti par la situation de son conjoint. Bien que l’épouse ait elle-même exercé une activité salariée sur le territoire néerlandais, elle se trouve privée de couverture sociale pour les années en question. La Cour constate sobrement qu’« il N ‘ existe aucune regle de droit communautaire qui S ‘ oppose a ce que les etats membres fassent dependre le droit D ‘ un des epoux a beneficier D ‘ un regime de securite sociale de L ‘ affiliation de L ‘ autre au meme regime ». Cette approche, strictement légaliste, met en lumière une lacune du droit communautaire de l’époque, qui ne contenait pas de prohibition générale et explicite des discriminations indirectes fondées sur le statut matrimonial dans ce contexte. La décision se limite à un constat de non-incompatibilité formelle, sans porter une appréciation sur le caractère équitable ou opportun de la législation nationale.
B. Une solution en décalage avec l’évolution du principe d’égalité
La portée de cet arrêt doit être appréciée au regard du contexte juridique de l’époque. La Cour mentionne elle-même, de manière prospective, la directive 79/7/CEE du 19 décembre 1978, relative à l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière de sécurité sociale. Elle prend soin de préciser que le délai de transposition de six ans accordé aux États membres n’était pas encore expiré au moment des faits. Ce faisant, elle suggère que la solution pourrait être différente à l’avenir. La directive 79/7 vise précisément à éliminer les discriminations fondées sur le sexe, notamment celles résultant de la dépendance des droits dérivés des femmes par rapport au statut de leur mari. La législation néerlandaise, qui faisait de l’épouse une assurée « par ricochet », était emblématique des systèmes que cette directive entendait réformer. L’arrêt apparaît donc comme une décision d’espèce, fortement conditionnée par l’état du droit positif à un instant T, mais dont la pérennité était déjà compromise par l’évolution législative en cours. Il témoigne d’une période de transition où la coordination des systèmes de sécurité sociale n’était pas encore pleinement irriguée par le principe d’égalité de traitement.