Dans un arrêt rendu sur renvoi préjudiciel d’une juridiction britannique, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé la portée de l’interdiction de toute discrimination fondée sur le sexe en matière de sécurité sociale. En l’espèce, une ressortissante d’un État membre s’était vu refuser le bénéfice d’une pension d’invalidité au motif qu’elle ne remplissait pas une condition relative à sa capacité à accomplir des tâches domestiques. Cette condition n’était exigée que pour les femmes mariées, et non pour les hommes se trouvant dans une situation identique. Par la suite, la législation nationale a remplacé cette prestation par une nouvelle allocation, exempte de conditions discriminatoires. Toutefois, des dispositions transitoires permettaient aux anciens bénéficiaires de l’ancienne pension de percevoir automatiquement la nouvelle, perpétuant ainsi l’inégalité de traitement au détriment des femmes qui avaient été initialement écartées sur un fondement discriminatoire. La requérante au principal a alors soutenu que la directive 79/7/CEE, dont le délai de transposition était expiré depuis le 23 décembre 1984, lui permettait de revendiquer le bénéfice de la prestation dans les mêmes conditions que celles applicables aux hommes. Saisie de cette question, la juridiction nationale a interrogé la Cour de justice sur le point de savoir si l’article 4, paragraphe 1, de la directive précitée avait un effet direct permettant à une femme de se prévaloir de l’égalité de traitement après l’expiration du délai de transposition, nonobstant des dispositions nationales, y compris transitoires, qui prolongeaient les effets d’une discrimination. La Cour répond par l’affirmative, en jugeant que la disposition en cause est suffisamment précise et inconditionnelle pour être invoquée par les particuliers afin d’écarter toute norme nationale contraire. Elle ajoute qu’en l’absence de mesures d’application correctes, les femmes ont le droit de se voir appliquer le même régime que celui des hommes se trouvant dans la même situation.
La solution de la Cour réaffirme avec force l’invocabilité du principe d’égalité de traitement pour neutraliser une discrimination persistante (I), tout en garantissant l’application concrète de ce principe par l’extension du régime le plus favorable (II).
I. L’affirmation de l’effet direct de la directive contre la persistance d’une discrimination
La Cour de justice consacre la primauté du droit de l’Union en reconnaissant à la disposition en cause un effet direct qui paralyse les normes nationales contraires. Cette solution repose d’une part sur le caractère clair et inconditionnel de l’obligation d’égalité de traitement (A), et d’autre part sur l’inefficacité des mesures nationales, même transitoires, qui maintiendraient une telle discrimination au-delà du délai imparti (B).
A. Le caractère inconditionnel de l’obligation d’égalité de traitement
La Cour rappelle tout d’abord que l’article 4, paragraphe 1, de la directive 79/7 est apte à produire un effet direct. Se fondant sur une jurisprudence constante, elle juge que cette disposition, « considéré en lui-même et compte tenu de la finalité de ladite directive et de son contenu, l’article 4, paragraphe 1, est suffisamment précis pour être invoqué par un justiciable et appliqué par le juge ». En effet, bien que l’article 5 de la même directive laisse aux États membres une marge d’appréciation quant aux moyens à mettre en œuvre, le résultat à atteindre, à savoir la suppression de toute discrimination, est impératif. Le caractère suffisamment précis et inconditionnel de l’objectif d’égalité de traitement permet donc aux particuliers de s’en prévaloir directement devant les juridictions nationales pour contester une norme interne non conforme. Cette reconnaissance d’un effet direct vertical constitue le préalable indispensable à la sanction du manquement de l’État.
B. La censure de la prolongation des effets de la discrimination
La Cour étend ensuite son raisonnement aux dispositions transitoires nationales qui, en l’espèce, perpétuaient l’inégalité. Elle souligne que la directive « ne prévoit aucune dérogation au principe de l’égalité de traitement prévu par l’article 4, paragraphe 1, de la directive pour autoriser la prolongation des effets discriminatoires de dispositions nationales antérieures ». Ainsi, un État membre ne peut maintenir après l’expiration du délai de transposition des inégalités de traitement, même si celles-ci découlent de conditions de droit nées antérieurement à cette date. Le fait que ces inégalités résultent de mesures transitoires, destinées à protéger des droits acquis, est jugé inopérant. La Cour écarte donc l’argument du gouvernement national relatif à la sauvegarde des espoirs légitimes, considérant que le respect du principe fondamental d’égalité de traitement prime. Cette position garantit que l’expiration du délai de transposition purge l’ordre juridique national de toute discrimination active, quelle qu’en soit la source ou la justification technique.
En neutralisant la norme nationale discriminatoire, la Cour assure la primauté et l’effectivité de la directive. Il lui restait alors à définir les conséquences concrètes de cette exclusion sur la situation juridique du particulier lésé.
II. La garantie de l’effectivité du principe d’égalité par l’extension du régime favorable
La Cour ne se contente pas d’écarter la norme nationale ; elle précise le régime juridique qui doit lui être substitué. Cette démarche assure une protection juridictionnelle effective au particulier en consacrant la seule référence valable pour rétablir l’égalité (A), ce qui confère à sa décision une portée considérable en tant que sanction du manquement de l’État membre (B).
A. L’application du régime masculin comme seule référence valable
Face à l’inertie du législateur national, la Cour dégage une solution pragmatique pour combler le vide juridique créé par l’éviction de la norme discriminatoire. Elle énonce qu’à partir de l’expiration du délai de transposition, « les femmes ont le droit d’être traitées de la même façon et de se voir appliquer le même régime que les hommes se trouvant dans la même situation, régime qui reste, à défaut d’exécution de ladite directive, le seul système de référence valable ». Cette solution, dite de l’assimilation, contraint le juge national à appliquer aux membres du groupe désavantagé les dispositions dont bénéficie le groupe privilégié. En l’espèce, cela implique qu’une femme se trouvant dans la même situation qu’un homme doit avoir accès automatiquement à la nouvelle prestation, sans qu’on puisse lui opposer la condition discriminatoire supplémentaire. Le régime applicable aux hommes devient ainsi le standard minimum d’égalité.
B. La portée de la solution en tant que sanction du manquement étatique
Au-delà du cas d’espèce, la portée de cet arrêt est fondamentale. Il confirme que l’effet direct d’une directive n’est pas seulement une arme d’exclusion mais aussi un instrument de construction d’un droit. En cas de transposition incorrecte ou d’absence de transposition, l’État membre se voit imposer l’extension d’un régime juridique qu’il n’a pas nécessairement souhaité étendre. Cette solution constitue une sanction efficace de son manquement, car il ne peut se prévaloir de sa propre défaillance pour refuser un droit à un particulier. De plus, elle renforce le rôle des justiciables en tant que gardiens de la légalité communautaire, leur action en justice permettant de corriger les manquements des États. L’arrêt s’inscrit ainsi fermement dans une lignée jurisprudentielle qui vise à assurer l’effet utile du droit de l’Union et à garantir une protection effective et uniforme des droits que les particuliers en tirent.