Par une décision rendue dans l’affaire 12/84, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé les contours du pouvoir d’appréciation reconnu au jury d’un concours de la fonction publique européenne. En l’espèce, un candidat à un concours de recrutement de dactylographes avait été déclaré admissible aux épreuves écrites puis orales. Toutefois, à l’issue de l’épreuve orale de langue, le jury a constaté une méconnaissance profonde de la langue seconde choisie par le candidat. En conséquence, celui-ci n’a pas été inscrit sur la liste d’aptitude, sans que le motif de cette décision ne lui soit initialement communiqué.
Le candidat a alors introduit un recours en annulation devant la Cour de justice, invoquant l’absence de motivation, le caractère prétendument erroné de l’appréciation du jury et l’existence d’un détournement de pouvoir à des fins politiques. En cours d’instance, l’institution défenderesse a notifié au requérant le motif de son éviction, à savoir son échec à l’épreuve linguistique, et le jury a confirmé sa décision après une nouvelle délibération. Le requérant a néanmoins maintenu son recours, contestant le bien-fondé de l’évaluation de ses compétences et le caractère obligatoire de l’épreuve. Il revenait donc à la Cour de déterminer l’étendue du pouvoir d’appréciation d’un jury de concours et, par conséquent, les limites du contrôle que le juge peut exercer sur les évaluations qui en découlent.
La Cour de justice rejette le recours dans son intégralité. Elle considère d’abord que le moyen tiré du défaut de motivation est devenu sans objet après les explications fournies en cours de procédure. Surtout, elle affirme avec force le principe de l’indépendance du jury dans son évaluation des aptitudes des candidats. Elle énonce ainsi qu’il « N ‘ appartient pas a la cour de controler les appreciations que le jury a portees a ce sujet, en toute independance, et qui revelent une inaptitude linguistique manifeste ». La Cour écarte enfin les allégations d’ordre politique comme étant dénuées de tout fondement.
Cette décision réaffirme la souveraineté du jury de concours dans l’exercice de sa mission d’évaluation (I), consacrant ainsi un contrôle juridictionnel nécessairement restreint sur le fond de ses appréciations (II).
I. La consécration du pouvoir souverain d’appréciation du jury
La solution retenue par la Cour de justice repose entièrement sur le principe de l’autonomie du jury de concours, dont elle confirme la compétence exclusive pour juger des aptitudes des candidats (A) et relativise la portée des vices de forme initiaux (B).
A. La compétence exclusive du jury dans l’évaluation des aptitudes
La Cour rappelle que l’évaluation des compétences des candidats relève de la prérogative essentielle du jury. L’avis de concours exigeait une « connaissance satisfaisante » d’une seconde langue, critère dont l’appréciation est, par nature, confiée au jury. En jugeant que le niveau du candidat était insuffisant, le jury n’a fait qu’exercer la mission qui lui était dévolue. Il est seul maître de la définition des exigences concrètes qui correspondent aux besoins du service et de la vérification de leur maîtrise par les candidats.
Cette position est justifiée par la nature même du jury, composé de personnes choisies pour leurs compétences techniques et leur capacité à porter un jugement de valeur sur des prestations spécifiques. La Cour reconnaît que substituer sa propre évaluation à celle du jury reviendrait à vider le concours de sa substance et à transformer le juge en administrateur. Le jury dispose ainsi d’un large pouvoir discrétionnaire pour déterminer si un candidat possède les qualifications requises, et la note attribuée est l’expression de ce jugement technique et comparatif.
B. La neutralisation de l’absence initiale de motivation
Le requérant soulevait initialement un vice de forme tenant à l’absence de motivation de la décision de rejet. La Cour écarte ce moyen en constatant qu’il est « devenu sans objet » suite à la communication des motifs par l’administration en cours d’instance. Cette approche pragmatique démontre que, pour le juge, l’obligation de motivation vise avant tout à permettre au candidat de comprendre la décision et, le cas échéant, d’en contester utilement le bien-fondé.
Dès lors que cette information a été fournie, même tardivement, et que le requérant a pu faire valoir ses arguments en connaissance de cause, le vice initial est considéré comme purgé. La Cour privilégie ainsi une approche matérielle des droits de la défense plutôt qu’une approche purement formelle. L’essentiel n’est pas que la motivation soit donnée dans l’acte initial, mais que le candidat ait pu bénéficier, à un stade de la procédure, d’explications suffisantes pour assurer la protection de ses droits, ce qui fut le cas en l’espèce.
Cette affirmation de la souveraineté du jury dans son appréciation conditionne logiquement l’intensité du contrôle que le juge accepte d’exercer sur de telles décisions.
II. Un contrôle juridictionnel par nature limité
En conséquence de l’autonomie reconnue au jury, le contrôle exercé par le juge communautaire se trouve doublement limité : il s’interdit de réexaminer le bien-fondé des évaluations (A) et n’examine les allégations de partialité que si elles sont étayées (B).
A. Le refus d’un contrôle de l’opportunité de l’appréciation
La Cour affirme clairement sa position en déclarant qu’il « N ‘ appartient pas a la cour de controler les appreciations que le jury a portees ». Cette formule consacre l’immunité juridictionnelle de l’appréciation technique du jury, sauf dans des cas exceptionnels. Le juge ne se transforme pas en un second jury d’appel qui re-corrigerait les épreuves ou substituerait son jugement à celui des examinateurs. Son contrôle se limite à la régularité externe et à la légalité de la procédure de concours.
Le contrôle du juge ne peut donc porter que sur l’erreur manifeste d’appréciation, notion que la Cour effleure en mentionnant une « inaptitude linguistique manifeste ». Le juge ne sanctionnera une évaluation que si celle-ci apparaît comme étant matériellement inexacte, incohérente ou reposant sur une interprétation manifestement erronée des faits. En l’espèce, le constat d’une ignorance caractérisée de la langue, non sérieusement contesté sur le fond, ne permettait pas de retenir une telle erreur manifeste.
B. L’exigence de preuve face aux allégations de détournement de pouvoir
Le requérant avançait que son échec était motivé par des considérations politiques. La Cour rejette ce moyen en le qualifiant de « denues de tout fondement ». Cette affirmation, bien que lapidaire, souligne un principe fondamental du contentieux de la fonction publique : la présomption d’impartialité du jury. Il appartient au requérant qui allègue un détournement de pouvoir ou une partialité de le prouver.
Une simple allégation, fondée sur des activités politiques passées, ne suffit pas à renverser cette présomption. Le requérant doit apporter un commencement de preuve, des faits précis et concordants susceptibles de faire naître un doute sérieux sur l’impartialité du jury. En l’absence de tout élément tangible, la Cour refuse de s’engager dans une enquête sur les intentions des membres du jury et s’en tient aux éléments objectifs du dossier, à savoir l’échec avéré du candidat à une épreuve obligatoire.