Arrêt de la Cour (deuxième chambre) du 27 octobre 1983. – Roomboterfabriek « De beste boter » BV contre Produktschap voor Zuivel. – Demande de décision préjudicielle: College van Beroep voor het Bedrijfsleven – Pays-Bas. – Restitutions à l’exportation – Fixation à l’avance – Suspension. – Affaire 276/82.

Par un arrêt préjudiciel rendu en 1982 dans l’affaire 276/82, la Cour de justice des Communautés européennes a clarifié l’étendue des pouvoirs de la Commission en matière de gestion des marchés agricoles. En l’espèce, une société exportatrice de produits laitiers avait déposé le 17 novembre 1980 une demande de certificats d’exportation avec fixation à l’avance de la restitution. Or, par un règlement du 19 novembre 1980, la Commission a suspendu temporairement cette possibilité de préfixation pour la période du 20 au 27 novembre, en raison des risques de spéculation sur le marché du beurre. En application de cette suspension, l’organisme national compétent a rejeté la demande de la société, bien que celle-ci ait été introduite antérieurement à la décision de suspension. Saisie du litige, la juridiction nationale, le College van Beroep voor het Bedrijfsleven, a sursis à statuer et a interrogé la Cour de justice sur l’interprétation et la validité des dispositions communautaires applicables. Le problème de droit posé à la Cour consistait à déterminer si une mesure de suspension de la préfixation des restitutions pouvait légalement s’appliquer à des demandes déposées avant son entrée en vigueur mais n’ayant pas encore fait l’objet d’une décision. Il s’agissait également de savoir si un tel effet rétroactif était compatible avec les règlements de niveau supérieur et avec le principe de sécurité juridique. La Cour de justice a répondu que la suspension constituait bien une « mesure particulière » au sens de la réglementation, justifiant le rejet des demandes en instance, et que cette interprétation n’était contraire ni à la hiérarchie des normes ni au principe de sécurité juridique.

La solution de la Cour repose sur une interprétation finaliste des textes qui étend la portée du pouvoir de suspension de la Commission aux demandes en cours d’instruction (I), validant ainsi un mécanisme jugé conforme aux principes supérieurs du droit communautaire (II).

I. L’extension du pouvoir de suspension aux demandes en instance

La Cour de justice consacre une interprétation large de la notion de « mesure particulière » prévue par la réglementation, ce qui lui permet de justifier l’application de la suspension aux demandes déposées avant son adoption.

A. La qualification de la suspension en tant que « mesure particulière »

Le règlement n° 2044/75 prévoyait un délai de cinq jours ouvrables entre le dépôt d’une demande de certificat et sa délivrance, « pour autant que des mesures particulières ne sont pas prises durant ce délai ». La Cour interprète cette disposition à la lumière de ses objectifs, qui sont de permettre aux autorités d’apprécier la situation du marché et de prévenir les perturbations. Une décision de suspension, motivée par le risque d’opérations spéculatives, entre manifestement dans cette catégorie. La Cour souligne que le système de préfixation vise à assurer « la stabilité des transactions commerciales », mais que la possibilité de prendre des mesures particulières est le corollaire nécessaire pour contrer un « recours anormal des intéressés à ce système ». En jugeant qu’une suspension est une de ces « mesures appropriées », la Cour adopte une lecture fonctionnelle qui privilégie l’efficacité de la politique agricole commune. Ainsi, elle affirme qu’une mesure de suspension de la fixation à l’avance des restitutions, prise pour stabiliser le marché, « doit être considérée comme une ‘mesure particulière’ ».

B. L’application nécessaire de la suspension aux demandes antérieures

Une fois la suspension qualifiée de « mesure particulière », la Cour examine si elle doit affecter les demandes déjà déposées. Elle répond par l’affirmative, en se fondant sur l’exigence de l’effet utile de la mesure. Si les demandes en instance, portant potentiellement sur des quantités importantes, devaient être acceptées, la suspension serait privée de son efficacité. Elle ne parviendrait pas à enrayer les mouvements spéculatifs qu’elle a précisément pour but de neutraliser. La Cour considère donc que la finalité de la mesure impose de traiter de la même manière les demandes déposées avant et pendant la période de suspension. Elle en conclut que « l’effet utile de cette mesure serait fortement compromis si la suspension avait, pour les demandes de préfixation déposées antérieurement à la période de suspension, des conséquences différentes que pour celles déposées durant la période de suspension ». Le rejet des demandes en instance devient alors une conséquence logique et nécessaire de la décision de suspension.

II. La conformité du mécanisme de suspension au droit communautaire supérieur

Après avoir établi le sens et la portée de la réglementation, la Cour se penche sur sa validité au regard du droit communautaire, écartant successivement le grief de non-conformité à un règlement supérieur et celui de la violation du principe de sécurité juridique.

A. La compatibilité avec le règlement de base

La société requérante soutenait que l’article 3, paragraphe 3, du règlement n° 2044/75, en permettant le rejet de demandes en instance, était contraire à l’article 5, paragraphe 4, du règlement n° 876/68, qui ne mentionnait explicitement que le rejet des demandes déposées *pendant* la période de suspension. La Cour rejette cette lecture littérale. Elle réitère son raisonnement fondé sur l’effet utile, en affirmant que l’efficacité de la suspension serait compromise si sa portée était limitée aux seules nouvelles demandes. En conséquence, l’extension du rejet aux demandes en instance n’est pas contraire au règlement de base, mais en constitue au contraire une application cohérente et nécessaire à la réalisation de ses objectifs. Le silence du texte supérieur sur le sort des demandes en instance ne saurait être interprété comme une interdiction de les rejeter. La Cour estime donc que le rejet des demandes en instance « n’est pas contraire à l’article 5, paragraphe 4, du règlement n° 876/68 ».

B. Le rejet de la violation du principe de sécurité juridique

Le dernier argument portait sur la violation du principe de sécurité juridique, l’opérateur économique estimant avoir une confiance légitime dans l’aboutissement de sa demande une fois celle-ci déposée. La Cour écarte ce moyen par un double raisonnement. D’une part, elle rappelle que le droit à obtenir le certificat n’est pas acquis dès le dépôt de la demande. Il s’agit d’un droit conditionnel, subordonné à l’absence de « mesures particulières » durant le délai d’attente de cinq jours. La réglementation elle-même organisait donc l’incertitude et limitait la confiance légitime de l’opérateur. La Cour le formule clairement : « la demande de préfixation n’ouvre qu’un droit conditionnel ». D’autre part, elle ancre son analyse dans le contexte économique de l’époque. Elle observe que les opérateurs du secteur ne pouvaient ignorer l’instabilité du marché, la préfixation ayant déjà été suspendue à cinq reprises au cours de la même année. Un opérateur économique prudent et avisé devait donc anticiper la possibilité d’une nouvelle suspension. Par conséquent, le rejet de sa demande ne pouvait constituer une surprise portant atteinte à la sécurité juridique.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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