Par un arrêt rendu en 1980, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé les conditions de recevabilité d’un recours dirigé contre un rapport de notation ainsi que l’étendue du contrôle juridictionnel sur son contenu. En l’espèce, un fonctionnaire de grade LA 4, occupant un poste de réviseur au sein du service linguistique d’une institution européenne, s’est vu notifier son rapport de notation pour la période courant du 1er novembre 1975 au 31 octobre 1977. Contestant les appréciations formulées par ses deux supérieurs hiérarchiques successifs, notamment celles relatives à sa conduite dans le service, il a présenté des observations puis une réclamation formelle au sens de l’article 90 du statut des fonctionnaires. Cette démarche a entraîné la saisine d’un « comité des rapports » interne, dont l’avis a conduit à une modification du rapport initial. Le fonctionnaire ayant refusé d’accepter cette version amendée, le rapport a été de nouveau examiné par le comité en formation plénière. Avant même l’issue de cette procédure, l’agent a introduit un premier recours en annulation. Après un avis complémentaire du comité et une dernière modification du rapport par le second notateur, l’autorité administrative a entériné le rapport de notation définitif. L’agent a alors formé un second recours contre cette version finale. L’institution défenderesse a soulevé l’irrecevabilité du premier recours au motif qu’il était prématuré, et celle du second au motif qu’il n’avait pas été précédé d’une nouvelle réclamation formelle dirigée contre le rapport dans sa version finale. Se posaient alors à la Cour deux questions distinctes. D’une part, la recevabilité d’un recours contentieux contre un rapport de notation est-elle subordonnée à l’introduction préalable d’une réclamation formelle au sens de l’article 90 du statut, même après l’épuisement des procédures de consultation internes ? D’autre part, quelle est l’étendue du contrôle que le juge peut exercer sur les appréciations portées par les notateurs, qui relèvent par nature d’un jugement de valeur ? La Cour de justice a jugé le recours recevable, estimant que la finalisation du rapport de notation suffit à ouvrir le délai de recours contentieux sans qu’une réclamation préalable soit nécessaire. Sur le fond, elle a toutefois rejeté les prétentions du requérant, en réaffirmant que le contrôle juridictionnel sur de tels rapports est limité aux irrégularités de forme, aux erreurs de fait manifestes et au détournement de pouvoir, excluant une réévaluation des appréciations portées par la hiérarchie.
La solution de la Cour clarifie la procédure contentieuse applicable aux rapports de notation en l’autonomisant de la procédure de réclamation classique (I), tout en confirmant le caractère restreint du contrôle exercé par le juge sur le fond de ces évaluations (II).
I. L’aménagement des conditions de recevabilité du recours contre un rapport de notation
La Cour de justice facilite l’accès au prétoire en écartant l’exigence d’une réclamation administrative préalable contre le rapport de notation définitif (A), faisant de la finalisation de ce dernier le seul point de départ du délai de recours (B).
A. L’exclusion de la réclamation préalable comme condition de saisine du juge
La Cour écarte l’argument de l’institution défenderesse selon lequel une réclamation formelle, au titre de l’article 90 du statut, serait un prérequis indispensable à la saisine du juge. Pour ce faire, elle s’attache à la nature spécifique du rapport de notation. Elle juge que, « compte tenu de la nature du rapport de notation, qui exprime l’opinion librement formulée des notateurs et non pas l’appréciation de l’autorité investie du pouvoir de nomination, l’introduction d’une réclamation formelle au sens de l’article 90 n’apparaît pas comme un préalable nécessaire à l’introduction d’un recours contentieux ». Ce faisant, la Cour distingue le rapport de notation, acte préparatoire exprimant une opinion, des décisions prises par l’autorité investie du pouvoir de nomination qui, elles, font grief. Le rapport n’émane pas de l’autorité compétente pour prendre une décision affectant la carrière du fonctionnaire, mais des supérieurs hiérarchiques directs dont le rôle est d’éclairer cette autorité.
En établissant une analogie avec la solution retenue pour les décisions des jurys de concours, la Cour confirme une approche fonctionnelle des conditions de recevabilité. L’objet d’une réclamation préalable est de permettre à l’autorité administrative de reconsidérer sa position avant tout litige. Or, dans le cas d’un rapport de notation, les opinions des notateurs, bien que validées in fine par l’administration, ne constituent pas une décision que l’autorité pourrait simplement retirer ou modifier comme elle le ferait pour un de ses propres actes. La procédure interne de consultation du « comité des rapports » a précisément pour but d’organiser ce processus de reconsidération. Exiger une réclamation supplémentaire après cette procédure reviendrait à imposer une formalité redondante et sans objet réel.
B. La détermination du caractère définitif de l’acte comme point de départ du délai de recours
En conséquence de l’exclusion de la réclamation préalable, la Cour établit que « le recours contentieux contre un rapport de notation est ouvert à partir du moment où ce rapport peut être considéré comme définitif ». Ce critère pragmatique permet de déterminer avec certitude le moment où les voies de recours internes sont épuisées et où la saisine du juge devient possible. En l’espèce, ce moment est identifié avec précision : il s’agit de la communication au requérant de la note du secrétaire général du 20 mars 1979, par laquelle celui-ci entérine le rapport dans sa dernière version. Cette communication met un terme à la procédure interne et confère au rapport son caractère final.
Cette solution présente le double avantage de la clarté et de la sécurité juridique pour le fonctionnaire. Elle lui permet de savoir sans ambiguïté à partir de quel acte et dans quel délai il peut contester son évaluation. Elle évite par ailleurs que l’administration ne puisse opposer l’irrecevabilité d’un recours en arguant de l’absence d’une réclamation qui, comme la Cour le reconnaît, n’aurait plus de véritable utilité une fois achevées les consultations spécifiques prévues par les textes. La Cour privilégie ainsi une interprétation des règles de procédure qui garantit un accès effectif au juge, une fois que les mécanismes internes de dialogue et de correction ont été pleinement utilisés.
Une fois la voie du recours ainsi ouverte, la question du contrôle que peut exercer le juge sur le contenu même du rapport se pose avec acuité. La Cour y répond en adoptant une position de retenue, limitant strictement son pouvoir d’investigation.
II. Un contrôle juridictionnel restreint sur les appréciations de l’administration
La Cour rappelle d’abord le principe d’une large marge d’appréciation reconnue aux notateurs dans l’exercice de leur mission (A), avant d’appliquer ce principe avec rigueur aux différents griefs soulevés par le requérant (B).
A. La consécration d’une marge d’appréciation au profit des notateurs
La Cour prend soin de définir la portée du contrôle juridictionnel en la matière. Elle énonce que « les rapports de notation comportent des appréciations qui ne peuvent donner lieu à un contrôle juridictionnel, en dehors des irrégularités de forme ou d’erreurs de fait manifestes, que sous l’angle de vue d’un éventuel détournement de leur pouvoir d’appréciation par les personnes appelées à intervenir dans l’établissement de ces documents ». Cette formule, classique en contentieux de la fonction publique, réaffirme que le juge n’est pas un supérieur hiérarchique et ne saurait substituer sa propre évaluation à celle des notateurs. Le rapport de notation est un « document interne » destiné à l’information de l’administration et non un acte qui, en lui-même, modifie la situation statutaire du fonctionnaire.
Cette retenue se justifie par la nature même des appréciations portées, qui concernent non seulement des éléments objectifs comme le rendement, mais aussi des aspects subjectifs tels que la conduite dans le service et les relations humaines. Ces jugements de valeur échappent par nature à une véritable démonstration juridique. La Cour souligne que les garanties du fonctionnaire résident principalement dans le droit de joindre ses observations au rapport et dans les procédures de recours internes, qui constituent une « sauvegarde adéquate ». Le contrôle juridictionnel n’intervient donc qu’en dernier ressort, pour sanctionner les illégalités les plus flagrantes qui vicieraient l’évaluation.
B. L’application du contrôle restreint aux griefs du requérant
La Cour examine ensuite chacun des griefs du requérant à l’aune de ce contrôle limité. S’agissant de la description de ses tâches, où le fonctionnaire voyait une tentative de dévalorisation, la Cour considère que sa lecture est erronée et que la mention contestée pouvait au contraire s’interpréter comme une reconnaissance de ses compétences. Elle ne décèle donc aucune erreur de fait. Concernant la notation « passable » attribuée à ses relations avec ses supérieurs et collègues, la Cour estime que de telles appréciations synthétiques « doivent pouvoir être données en toute liberté » et qu’elles ont d’ailleurs été justifiées par les notateurs dans la rubrique consacrée à l’appréciation générale.
Enfin, sur le grief principal relatif aux critiques sur son intransigeance et son comportement conflictuel, la Cour examine les pièces du dossier. Elle constate que les incidents ne sont pas niés et que les jugements portés par les notateurs, loin d’être excessifs, apparaissent comme une « réaction particulièrement modérée ». En relevant que les mêmes notateurs ont, par ailleurs, reconnu en des termes « particulièrement élogieux » la qualité du travail du fonctionnaire, la Cour conclut à l’objectivité de leur appréciation et à l’absence de tout détournement de pouvoir. En rejetant l’ensemble des griefs, la Cour montre que, si la porte du prétoire est ouverte, le chemin vers une annulation sur le fond reste étroit. Le juge se refuse à arbitrer les conflits interpersonnels ou à réécrire une évaluation, dès lors que celle-ci ne repose pas sur des faits matériellement inexacts ou une animosité personnelle démontrée.