Dans un arrêt du 7 mars 1985, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé les conditions d’exonération des droits de douane pour les accessoires d’instruments scientifiques. En l’espèce, un établissement d’enseignement supérieur allemand avait importé des États-Unis un échantillonneur automatique destiné à être utilisé avec un spectrophotomètre. Ce dernier, bien que de caractère scientifique, avait été fabriqué en République fédérale d’Allemagne. L’administration douanière refusa d’accorder la franchise des droits de douane pour l’échantillonneur au motif que l’appareil principal auquel il était destiné n’avait pas été lui-même importé. L’établissement universitaire a alors formé un recours devant le Finanzgericht Baden-Württemberg, soutenant que l’appareil importé constituait un accessoire au sens de l’article 3, paragraphe 2, du règlement n° 1798/75 et devait, à ce titre, bénéficier de la franchise. Saisie par la juridiction allemande de plusieurs questions préjudicielles, la Cour de justice était amenée à déterminer si un accessoire destiné à un appareil scientifique fabriqué dans la Communauté pouvait être importé en franchise de droits de douane. La Cour répond par la négative, jugeant que la franchise pour un accessoire est conditionnée au fait que l’instrument principal ait lui-même été importé et ait bénéficié de cette même franchise.
La Cour, en liant le sort douanier de l’accessoire à celui de l’instrument principal, établit une interprétation stricte du régime de franchise (I). Cette solution a pour effet de consacrer une lecture cohérente du système d’exonération, privilégiant l’objet et la finalité du règlement (II).
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I. L’interprétation stricte de la condition d’éligibilité à la franchise
La Cour de justice adopte une approche rigoureuse en subordonnant l’exonération de l’accessoire à l’importation effective de l’appareil principal (A), écartant ainsi toute appréciation fondée sur une éligibilité seulement théorique (B).
A. La dépendance douanière de l’accessoire envers l’appareil principal
L’enjeu central du litige portait sur l’interprétation des termes « admissibles eux-mêmes en franchise » figurant à l’article 3, paragraphe 2, du règlement n° 1798/75. La juridiction de renvoi s’interrogeait sur la possibilité pour un accessoire d’être exonéré de droits de douane lorsqu’il était destiné à un appareil principal qui, bien que fabriqué sur le territoire de la Communauté, aurait pu bénéficier de la franchise s’il avait été importé. La Cour de justice répond à cette question de manière prioritaire, considérant sa solution comme logiquement préliminaire aux autres interrogations. En s’appuyant sur sa jurisprudence antérieure, notamment son arrêt du 15 novembre 1984 dans l’affaire 236/83, elle énonce une règle claire : « des accessoires peuvent etre importes en franchise des droits de douane a condition D ‘ etre destines a des instruments ou appareils qui beneficient eux-memes ou ont beneficie de la franchise douaniere ».
Cette affirmation établit un lien de dépendance indissociable entre le régime douanier de l’accessoire et celui de l’instrument auquel il se rattache. La Cour ne se contente pas d’une simple compatibilité fonctionnelle ou d’une éligibilité potentielle de l’appareil principal ; elle exige une situation douanière avérée. Le bénéfice de la franchise pour l’accessoire est donc directement conditionné par le statut douanier de l’appareil principal, lequel doit avoir été effectivement importé et exonéré. Le sort de l’un scelle juridiquement le sort de l’autre, créant une chaîne d’éligibilité qui ne peut être rompue.
B. Le rejet d’une éligibilité hypothétique de l’appareil principal
En exigeant que l’instrument principal ait matériellement bénéficié de la franchise, la Cour écarte l’argument selon lequel le caractère scientifique d’un appareil fabriqué dans la Communauté suffirait à rendre ses accessoires importés éligibles à l’exonération. Une telle approche aurait nécessité que les autorités douanières se livrent à un examen complexe et hypothétique pour déterminer si un appareil domestique aurait rempli les conditions de la franchise s’il avait fait l’objet d’une importation. La Cour refuse d’entrer dans cette voie et conclut de manière péremptoire que « cette franchise ne saurait , par contre , etre accordee si L ‘ accessoire est destine a etre incorpore dans un instrument ou appareil construit dans la communaute ».
Le raisonnement sous-jacent est fondé sur une logique systémique. Un appareil produit au sein de la Communauté « echappe a L ‘ emprise du droit douanier » et ne peut donc être qualifié d’instrument « admissible en franchise », car ce statut ne peut résulter que d’une procédure d’importation. Admettre le contraire reviendrait à créer une fiction juridique et à imposer aux administrations une charge de contrôle disproportionnée. Cette interprétation pragmatique prévient l’élargissement du champ de l’exonération au-delà de ce que le législateur communautaire a prévu, assurant ainsi la sécurité juridique et la simplicité d’application du régime douanier.
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II. La consécration de la cohérence du régime d’exonération
La solution retenue par la Cour ne se justifie pas seulement par des considérations procédurales, elle renforce la cohérence globale du dispositif réglementaire (A) et clarifie par voie de conséquence le statut des équipements scientifiques importés (B).
A. La primauté de la finalité du système douanier communautaire
La Cour fonde son interprétation sur le système et la finalité du règlement n° 1798/75. Elle rappelle que la franchise douanière pour les instruments scientifiques n’est accordée qu’à la condition qu’il soit établi que des appareils de valeur scientifique équivalente ne sont pas produits dans la Communauté. Permettre l’importation en franchise d’accessoires destinés à des appareils fabriqués dans la Communauté irait à l’encontre de cet objectif. Une telle solution aurait pour effet de favoriser indirectement les producteurs communautaires en leur permettant d’intégrer des composants importés à moindre coût, ce qui constituerait un détournement de la finalité du règlement.
Ce dernier, pris en application de l’accord de Florence, vise à faciliter l’accès des institutions scientifiques et éducatives à des matériels qui ne sont pas disponibles sur le territoire douanier, et non à subventionner la production locale. En refusant la franchise dans le cas d’espèce, la Cour assure la cohérence entre les moyens et les fins du dispositif. Elle préserve ainsi l’équilibre entre la promotion de la recherche scientifique par l’accès aux technologies étrangères et la protection du marché intérieur, évitant que le régime d’exonération ne devienne un instrument de politique industrielle détourné de son but premier.
B. La neutralisation du débat sur la nature de l’équipement
En statuant de manière décisive sur la question de la dépendance douanière, la Cour de justice juge qu’il n’y a « pas lieu de statuer sur les autres questions posees par le finanzgericht ». Celles-ci portaient sur les définitions précises des notions d’« accessoire », de son caractère « spécialement conçu » ou encore de son autonomie par rapport à l’instrument principal. Ces questions, d’ordre technique, avaient d’ailleurs conduit la juridiction de renvoi à commander une expertise. En les laissant sans réponse, la Cour opère un choix méthodologique significatif. Elle substitue à des critères techniques, potentiellement sujets à des interprétations divergentes et à des appréciations factuelles complexes, un critère juridique unique, objectif et simple à administrer.
La portée de cette décision est donc de simplifier considérablement l’application du règlement pour les autorités douanières et les importateurs. Le débat n’est plus de savoir si un objet est fonctionnellement un accessoire ou un instrument autonome, mais de vérifier si l’appareil principal auquel il est destiné a fait l’objet d’une importation en franchise. Cette clarification apporte une sécurité juridique appréciable et évite les litiges fondés sur des expertises techniques longues et coûteuses. La Cour privilégie une approche juridique formaliste qui, en définitive, assure une meilleure administration du régime douanier et une application uniforme du droit communautaire.