Arrêt de la Cour (deuxième chambre) du 4 juin 1992. – Infortec – Projectos e Consultadoria Ldª contre Commission des Communautés européennes. – Fonds social européen – Recours en annulation contre la réduction du concours financier initialement accordé. – Affaire C-157/90.

Par un arrêt du 7 janvier 1992, la Cour de justice des Communautés européennes, réunie en sa deuxième chambre, a clarifié la portée des garanties procédurales offertes aux États membres dans le cadre de la gestion du Fonds social européen. En l’espèce, une société de droit portugais s’était vu octroyer un concours financier du Fonds social européen pour une action de formation professionnelle, par l’intermédiaire de l’organe étatique compétent. À l’issue de l’action, et après transmission par l’État d’une demande de paiement du solde, la Commission a réduit le montant du concours initialement accordé, estimant qu’une partie des dépenses n’était pas éligible. La société bénéficiaire, informée de cette réduction par l’organe national, a formé un recours en annulation contre la décision de la Commission devant la Cour de justice. La Commission a soulevé une exception d’irrecevabilité, arguant d’un manque de précision de la requête, qui fut jointe au fond. La requérante soutenait principalement que la décision était illégale, la Commission n’ayant pas respecté l’obligation de consulter l’État membre concerné avant de procéder à la réduction du concours.

Il revenait par conséquent à la Cour de déterminer si l’obligation pour la Commission, prévue par l’article 6, paragraphe 1, du règlement n° 2950/83, de donner à un État membre l’occasion de présenter ses observations avant de réduire un concours du Fonds social européen constitue une formalité substantielle dont la violation entraîne l’annulation de la décision.

La Cour répond à cette question par l’affirmative et annule la décision de la Commission. Elle juge qu’« eu égard à son rôle central et à l’importance des responsabilités qu’il assume dans la présentation et le contrôle du financement des actions de formation, la possibilité pour l’État membre concerné de présenter ses observations préalablement à l’adoption d’une décision définitive de réduction constitue une forme substantielle dont le non-respect entraîne la nullité de la décision attaquée ».

Cette solution consacre une garantie procédurale fondamentale (I) dont la mise en œuvre renforce le rôle pivot de l’État membre dans le dispositif du Fonds social européen (II).

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I. La consécration d’une garantie procédurale fondamentale

La Cour réaffirme avec clarté le caractère essentiel du dialogue contradictoire entre la Commission et l’État membre, conférant à cette formalité une nature substantielle (A) dont la justification repose sur une logique juridique rigoureuse (B).

A. La qualification de formalité substantielle

La décision commentée s’inscrit dans une jurisprudence bien établie qui veille au respect des droits de la défense dans les procédures administratives de l’Union. En qualifiant la consultation préalable de l’État membre de « formalité substantielle », la Cour indique que cette étape n’est pas un simple élément de procédure facultatif. Son omission vicie la légalité même de l’acte final, indépendamment de la question de savoir si le contenu de la décision aurait été différent en cas de respect de ladite formalité.

Le raisonnement de la Cour repose sur une interprétation finaliste de l’article 6, paragraphe 1, du règlement. Cette disposition vise à garantir que la Commission prenne sa décision en pleine connaissance de cause, après avoir entendu les arguments de l’État qui a présenté et certifié la demande de financement. Le dialogue ainsi institué permet d’assurer un meilleur contrôle de l’utilisation des fonds et de prévenir les litiges, en donnant à l’État l’opportunité de fournir des éclaircissements sur la réalité factuelle et comptable des actions financées. La Cour souligne ainsi que la procédure contradictoire est une condition de la légalité de l’intervention de la Commission.

B. La justification de la solution

La valeur juridique de cette solution est incontestable, car elle renforce la sécurité juridique pour l’ensemble des acteurs impliqués. En imposant à la Commission de respecter scrupuleusement le débat contradictoire, la Cour protège non seulement les prérogatives de l’État membre, mais aussi, indirectement, les intérêts du bénéficiaire final. Bien que ce dernier ne soit pas l’interlocuteur direct de la Commission à ce stade, il bénéficie de la garantie que son dossier sera défendu par l’autorité nationale qui en a supervisé le déroulement.

Cette approche formaliste est une manifestation du principe de bonne administration. Elle contraint l’administration de l’Union à suivre les procédures qu’elle a elle-même édictées, assurant ainsi la transparence et la prévisibilité de son action. La décision de la Cour rappelle que l’efficacité dans la gestion des fonds publics ne saurait justifier une dérogation aux garanties procédurales fondamentales. La nullité de la décision constitue alors la sanction logique et nécessaire du non-respect d’une règle protégeant l’équilibre institutionnel et les droits des administrés.

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II. Le renforcement du rôle de l’État membre dans la gestion des fonds sociaux

Au-delà de la question procédurale, l’arrêt met en lumière la position centrale de l’État membre, consacré comme un interlocuteur privilégié de la Commission (A), ce qui confère à la solution une portée dépassant le seul cadre du Fonds social européen (B).

A. La confirmation du statut d’interlocuteur privilégié de l’État

La Cour justifie sa décision en se fondant expressément sur « le rôle central » et « l’importance des responsabilités » qui incombent à l’État membre. C’est bien parce que l’État membre n’est pas un simple transmetteur de dossiers, mais un véritable partenaire de la Commission, qu’il doit être entendu. Il est en effet responsable de la présentation des demandes, de la certification de l’exactitude des informations et, dans certains cas, de la garantie de bonne fin des actions de formation.

En érigeant sa consultation en formalité substantielle, l’arrêt confirme que la gestion des fonds structurels repose sur un système de gestion partagée où l’État membre joue un rôle pivot. C’est lui qui dispose de la connaissance la plus directe et la plus complète des projets menés sur son territoire. Sa participation active à la procédure de contrôle est donc indispensable pour garantir une utilisation correcte et efficace des financements de l’Union. La décision renforce ainsi la légitimité de l’intervention de l’État en tant que garant du bon usage des deniers européens sur son sol.

B. La portée de la solution au-delà du cas d’espèce

Bien que rendue dans le contexte spécifique du Fonds social européen, la portée de cet arrêt est générale. Il illustre un principe fondamental du droit administratif de l’Union applicable à l’ensemble des fonds structurels et, plus largement, à toutes les procédures où la Commission prend des décisions ayant des incidences financières pour des bénéficiaires par l’intermédiaire d’une autorité nationale. La solution est transposable à chaque fois qu’un texte prévoit une consultation préalable de l’État membre avant une décision de réduction, de suspension ou de suppression d’une aide.

Cet arrêt constitue un avertissement pour la Commission quant à la nécessité de respecter scrupuleusement les règles de procédure qui encadrent son pouvoir de décision. Il affirme que les garanties procédurales ne sont pas de simples contraintes formelles, mais des éléments essentiels de l’État de droit au sein de l’ordre juridique de l’Union. En définitive, la Cour assure que l’exercice des compétences de contrôle de la Commission s’effectue dans le respect d’un juste équilibre entre les impératifs de bonne gestion financière et la protection des droits des États membres et de leurs administrés.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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