Arrêt de la Cour (deuxième chambre) du 4 octobre 1991. – Commission des Communautés européennes contre Walter Gill. – Fonctionnaires – Pension d’invalidité – Maladie professionnelle. – Affaire C-185/90 P.

L’arrêt rendu par la Cour de justice des Communautés européennes s’inscrit dans le cadre du contentieux de la fonction publique et offre une clarification essentielle sur la notion de maladie professionnelle ainsi que sur l’étendue du contrôle juridictionnel des expertises médicales. Un fonctionnaire, atteint d’une invalidité permanente le rendant inapte à l’exercice de ses fonctions, a sollicité le bénéfice d’une pension d’invalidité au taux majoré, prévu lorsque l’incapacité résulte d’une maladie professionnelle. Cette affection, une broncho-pneumopathie chronique, avait été contractée antérieurement à son entrée au service des Communautés, un fait connu de l’institution lors de son recrutement.

Suite au refus de l’autorité investie du pouvoir de nomination de reconnaître l’origine professionnelle de la maladie et de lui octroyer la pension au taux de 70 %, le fonctionnaire a saisi le Tribunal de première instance. Par un arrêt du 6 avril 1990, le Tribunal a annulé la décision litigieuse, estimant que le régime de pension d’invalidité de l’article 78 du statut était indépendant du régime de couverture des risques de l’article 73. Il en a déduit que la définition de la maladie professionnelle, issue de la réglementation d’application de l’article 73 et exigeant un lien de causalité avec les fonctions, n’était pas transposable. La Commission a alors formé un pourvoi, arguant d’une violation du droit communautaire.

La question de droit soumise à la Cour était double. D’une part, il s’agissait de déterminer si la notion de « maladie professionnelle » au sens de l’article 78 du statut possède un contenu autonome ou si elle doit être interprétée de manière uniforme au sein du statut, en exigeant un lien de causalité avec l’exercice des fonctions auprès des Communautés. D’autre part, la Cour était amenée à préciser la portée du contrôle juridictionnel sur les appréciations d’ordre médical, notamment celles relatives à l’origine d’une affection, formulées par la commission d’invalidité.

En réponse, la Cour de justice annule l’arrêt du Tribunal. Elle juge qu’il n’existe aucune raison valable pour que la notion de « maladie professionnelle » ait une portée différente selon qu’il s’agit d’appliquer l’article 73 ou l’article 78 du statut. Par conséquent, l’octroi de la pension majorée est subordonné à la preuve d’un lien de causalité entre la maladie, ou son aggravation, et l’exercice des fonctions. La Cour réaffirme également que les appréciations médicales de la commission d’invalidité, dès lors qu’elles sont intervenues dans des conditions régulières, sont définitives et ne sauraient être remises en cause par le juge.

I. La consécration d’une conception unitaire de la maladie professionnelle

La Cour de justice, en censurant l’analyse du Tribunal, impose une lecture cohérente du statut des fonctionnaires, refusant de dissocier les notions juridiques selon les régimes qu’elles gouvernent.

A. L’exigence d’un lien de causalité avec le service communautaire

Le raisonnement du Tribunal de première instance reposait sur une distinction stricte entre le régime d’assurance contre les risques professionnels de l’article 73 et le régime de pension d’invalidité de l’article 78. Cette approche le conduisait à écarter la définition réglementaire de la maladie professionnelle pour l’application de l’article 78, au motif que ce dernier ne contenait aucune habilitation normative similaire à celle de l’article 73. La Cour de justice rejette fermement cette interprétation, considérant qu’« il n’existe aucune raison valable pour considérer que la notion de ‘maladie professionnelle’ doive avoir un contenu différent ». Pour la haute juridiction, une même notion ne peut avoir une géométrie variable au sein d’un même corpus normatif.

L’arrêt établit ainsi un principe de cohérence interne au statut. La définition de la maladie professionnelle, telle qu’explicitée à l’article 3 du règlement de couverture, acquiert une portée générale. Est donc considérée comme professionnelle une maladie qui, soit figure sur la liste européenne ad hoc et a été contractée dans le cadre d’une exposition au risque au service des Communautés, soit, ne figurant pas sur cette liste, « trouve son origine dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice des fonctions au service des Communautés ». Cette solution est conforme au sens usuel des termes, une maladie ne pouvant être qualifiée de « professionnelle » que si elle est intrinsèquement liée à l’activité exercée.

B. Le rejet d’une interprétation fondée sur les circonstances du recrutement

Le Tribunal avait accordé une importance particulière au fait que l’institution connaissait la pathologie de l’agent au moment de son engagement. Cette connaissance aurait, selon les premiers juges, justifié une application plus souple de la notion de maladie professionnelle. La Cour de justice écarte cet argument en le qualifiant de « circonstance factuelle » inapte à influer sur le contenu d’une « notion légale ». La connaissance par l’employeur d’une maladie préexistante emporte une seule conséquence juridique : l’acceptation du risque de devoir verser une pension d’invalidité avant l’âge normal de la retraite.

Elle ne saurait cependant transformer une maladie d’origine non professionnelle en une affection liée au service. En statuant ainsi, la Cour préserve l’objectivité de la qualification juridique et évite une approche casuistique qui dépendrait des conditions de recrutement propres à chaque agent. La décision ancre la notion de maladie professionnelle dans un critère matériel unique et objectif, celui de la causalité, renforçant par là même la sécurité juridique pour les fonctionnaires comme pour les institutions.

II. La réaffirmation de la portée définitive des expertises médicales

Au-delà de la question substantielle, l’arrêt rappelle avec force le principe de la séparation entre l’appréciation médicale, qui relève d’experts, et le contrôle juridictionnel, qui doit rester limité.

A. La compétence exclusive de la commission d’invalidité en matière médicale

La Cour censure le Tribunal pour avoir substitué sa propre appréciation à celle de la commission d’invalidité concernant l’origine de l’affection de l’agent. Elle se fonde sur l’article 13 de l’annexe VIII du statut, qui confie à cette commission la compétence de statuer sur l’invalidité du fonctionnaire. Se référant à une jurisprudence constante, elle rappelle que le but de ces dispositions est de « confier à des experts médicaux l’appréciation définitive de toutes les questions d’ordre médical ».

Parmi ces questions, l’origine d’une maladie est, « par essence, de nature médicale ». Il en découle une conséquence procédurale intangible : ni l’autorité administrative, ni le juge ne sont autorisés à se substituer aux experts médicaux pour trancher une telle question. Cette position réaffirme le monopole de l’expertise médicale et la confiance que le système statutaire place dans les conclusions des praticiens désignés pour éclairer la décision administrative. La commission d’invalidité est donc l’unique organe compétent pour déterminer si un lien de causalité existe entre une pathologie et l’exercice des fonctions.

B. Le caractère limité du contrôle juridictionnel

La reconnaissance de la compétence exclusive de la commission d’invalidité a pour corollaire une limitation stricte du contrôle exercé par le juge. La Cour précise que le contrôle juridictionnel « ne saurait s’étendre aux appréciations médicales proprement dites, qui doivent être tenues pour définitives dès lors qu’elles sont intervenues dans des conditions régulières ». Le juge communautaire peut et doit vérifier la régularité de la procédure suivie devant la commission : sa composition, l’impartialité de ses membres, le respect du contradictoire ou encore la cohérence interne de son rapport.

En revanche, il ne lui appartient pas de porter un jugement sur le bien-fondé médical des conclusions adoptées. En jugeant que la maladie de l’agent trouvait son origine dans ses activités professionnelles, alors même que la commission d’invalidité avait conclu en sens contraire, le Tribunal a outrepassé son office. Il a transformé son contrôle de légalité en un examen au fond de l’expertise médicale, violant ainsi le droit communautaire. Cet arrêt a donc une portée fondamentale en ce qu’il trace une frontière claire entre le champ médical et le champ juridique, garantissant l’autonomie de l’expertise tout en maintenant un contrôle de la régularité formelle et procédurale.

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