Par un arrêt du 9 décembre 1986, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé les contours du pouvoir d’appréciation de l’administration en matière de promotion des fonctionnaires. En l’espèce, un administrateur principal s’était porté candidat au poste de chef de division au sein de la direction générale où il exerçait ses fonctions. Cet agent, le plus ancien dans son grade parmi les postulants, avait en outre assuré l’intérim de l’emploi à pourvoir pendant une période de seize mois. L’autorité investie du pouvoir de nomination a cependant décidé de nommer un autre candidat, qui était auparavant chef de cabinet d’un commissaire.
Le fonctionnaire évincé a alors introduit un recours en annulation contre la décision de nomination de l’autre candidat ainsi que contre la décision implicite de rejet de sa propre candidature. Il soutenait à titre principal que l’administration n’avait pas procédé à un examen comparatif réel des mérites des différents candidats. Il affirmait également que la décision manquait de motivation et violait le devoir de sollicitude de l’administration à son égard. Enfin, il invoquait un détournement de pouvoir, arguant que la nomination visait en réalité à attribuer un poste à un membre de cabinet d’un commissaire sur le départ, et non à choisir le candidat le plus apte. Le problème de droit soulevé consistait donc à déterminer l’étendue du pouvoir d’appréciation de l’administration dans le choix d’un candidat à une promotion et, corrélativement, les limites du contrôle exercé par le juge sur une telle décision.
La Cour rejette le recours dans son intégralité. Elle considère d’abord que les éléments du dossier confirment qu’un examen comparatif des mérites et des dossiers personnels des candidats a bien eu lieu. Ensuite, elle rappelle qu’une décision de promotion n’a pas à être motivée à l’égard des candidats non retenus. Enfin, la Cour juge que l’autorité de nomination dispose « d’un large pouvoir d’appréciation pour évaluer l’intérêt du service ainsi que les mérites à prendre en considération » et que le juge doit limiter son contrôle à la recherche d’une erreur manifeste d’appréciation, laquelle n’est pas constituée en l’espèce.
Il convient dès lors d’analyser la confirmation par la Cour du principe du large pouvoir discrétionnaire de l’administration en matière de promotion (I), avant d’étudier la portée du contrôle juridictionnel restreint qui en découle (II).
I. La consécration du pouvoir discrétionnaire de l’administration
L’arrêt réaffirme avec force que le choix opéré par l’autorité de nomination dans le cadre d’une promotion relève d’une large marge d’appréciation. Cette prérogative se manifeste tant dans l’évaluation des mérites respectifs des candidats (A) que dans l’absence d’obligation de motiver la décision prise (B).
A. La liberté dans l’examen comparatif des mérites
La Cour confirme que l’administration est seule juge de l’opportunité d’une nomination au regard de l’intérêt du service. Le requérant mettait en avant des éléments objectifs semblant jouer en sa faveur, tels que son ancienneté de service et de grade, son âge, ainsi que le fait d’avoir assuré l’intérim du poste. Cependant, la Cour écarte ces arguments en précisant que de tels critères ne sont pas déterminants. Elle juge en effet que « ni le fait d’avoir assuré l’intérim dans l’emploi litigieux ni la longue période de service au grade A*4 ne constituent des éléments d’appréciation décisifs pouvant l’emporter sur l’intérêt du service qui forme le critère determinant ».
En agissant ainsi, la Cour rappelle que la procédure de promotion n’est pas un mécanisme automatique fondé sur des critères purement objectifs comme l’ancienneté. Elle privilégie une approche qualitative où l’administration doit pouvoir choisir le profil qu’elle estime le plus adapté aux futures responsabilités, même si ce candidat est moins ancien ou vient de l’extérieur du service concerné. L’essentiel est qu’un examen comparatif ait bien eu lieu, ce que la Cour a vérifié en l’espèce en se faisant produire les procès-verbaux pertinents. La substance de cet examen, en revanche, échappe en grande partie au contrôle du juge.
B. L’absence d’obligation de motivation comme corollaire
La Cour réitère une jurisprudence bien établie concernant l’absence de motivation des décisions de promotion. Elle énonce clairement que « l’aipn n’est pas non plus tenue de la motiver à l’égard des candidats non promus, les considérants d’une telle motivation risquant d’être préjudiciables à ceux-ci ou à tout le moins à certains d’entre eux ». Cette solution se justifie par une double considération. D’une part, elle est la conséquence logique du large pouvoir d’appréciation : si l’administration est libre de son choix, l’obliger à le justifier en détail reviendrait à limiter cette liberté.
D’autre part, la Cour met en avant un motif tenant à la protection des candidats évincés. Une motivation explicite impliquerait nécessairement de formuler des jugements de valeur comparatifs sur les compétences, les aptitudes et les faiblesses des différents postulants. De telles appréciations, si elles étaient communiquées, pourraient porter préjudice à la carrière et à la réputation des fonctionnaires non retenus. L’absence de motivation est donc présentée non comme une prérogative arbitraire de l’administration, mais comme une mesure de protection des agents eux-mêmes.
Ce large pouvoir discrétionnaire de l’administration, qui s’exerce librement dans l’évaluation des mérites et sans obligation de motivation, implique nécessairement une adaptation du contrôle exercé par le juge.
II. Un contrôle juridictionnel nécessairement restreint
La Cour de justice encadre son intervention en se limitant à un contrôle de la légalité externe et de l’erreur manifeste d’appréciation (A). Cette retenue rend particulièrement difficile pour un requérant de prouver l’existence d’un détournement de pouvoir (B).
A. Le contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation
Face au large pouvoir d’appréciation de l’administration, la Cour définit elle-même les bornes de son contrôle. Elle indique qu’elle doit se limiter « à la question de savoir si, eu égard aux voies et moyens qui ont pu conduire l’administration à son appréciation, celle-ci s’est tenue dans des limites non critiquables et n’a pas usé de son pouvoir de manière manifestement erronée ». Le juge ne substitue donc pas sa propre évaluation des mérites des candidats à celle de l’autorité de nomination. Il ne recherche pas si le candidat retenu était le « meilleur », mais seulement si le choix opéré n’est pas entaché d’une erreur si grossière qu’elle en devient évidente.
En l’espèce, la Cour constate que les deux candidats figuraient parmi les plus méritants selon le comité consultatif. Dès lors, en l’absence d’éléments probants démontrant une appréciation manifestement faussée des aptitudes de l’un ou de l’autre, le choix de la commission, même s’il peut paraître discutable pour le requérant, demeure dans les limites de son pouvoir discrétionnaire. Le contrôle de l’erreur manifeste constitue ainsi un standard exigeant qui préserve la prérogative administrative tout en sanctionnant les abus les plus flagrants.
B. La difficile preuve du détournement de pouvoir
Le détournement de pouvoir est un moyen qui consiste à alléguer que l’administration a utilisé ses pouvoirs dans un but autre que celui pour lequel ils lui ont été conférés. Le requérant soutenait que la procédure avait été orchestrée dans le seul but de recaser un membre de cabinet. Pour étayer cette thèse, il pointait notamment le calendrier de la publication de l’avis de vacance, anormalement tardif et coïncidant avec la fin du mandat de la Commission.
La Cour examine ces indices mais ne les juge pas suffisants pour établir le détournement de pouvoir. Elle accepte les explications fournies par la Commission concernant les retards, liées à des réorganisations de services et à d’autres priorités de recrutement. L’arrêt illustre la difficulté pratique pour un requérant de renverser la présomption de légalité d’une décision administrative. Même en présence d’un faisceau de coïncidences troublantes, le juge exige une preuve positive que la décision a été prise pour des motifs étrangers à l’intérêt du service. En l’absence d’une telle preuve, et dès lors que l’examen comparatif des mérites a formellement eu lieu, le moyen ne peut prospérer.