Par un arrêt du 22 mai 1980, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé les conditions de recevabilité d’un recours en annulation ainsi que les suites d’une annulation contentieuse. En l’espèce, une entreprise avait participé à une procédure d’adjudication pour l’achat de viande bovine, en soumettant plusieurs offres à un organisme d’intervention national. Cet organisme a informé l’entreprise du rejet de ses soumissions avant même l’adoption formelle de la décision par la Commission. Postérieurement, la Commission a adopté une décision fixant les prix de vente minimaux, ce qui a eu pour effet d’écarter l’offre de l’entreprise qui avait été correctement transmise, tandis que d’autres de ses offres n’avaient pas été communiquées à la Commission en raison d’une erreur de l’organisme national. L’entreprise a alors formé un recours en annulation contre cette décision. La Commission a soulevé plusieurs exceptions d’irrecevabilité, arguant que le recours était tardif, que la requérante n’avait plus d’intérêt à agir, et que le recours était sans objet pour les offres non transmises. La question de droit soulevée portait donc sur la définition d’une notification faisant courir le délai de recours, sur la persistance de l’intérêt à agir lorsque l’exécution en nature d’un arrêt d’annulation est incertaine, et sur l’imputabilité des erreurs d’un organisme national dans la relation entre un administré et une institution communautaire. La Cour a jugé le recours recevable, considérant qu’une simple information de rejet ne constitue pas une notification et que l’intérêt à agir subsiste, ne serait-ce que pour fonder une action en responsabilité. Elle a ensuite annulé la décision pour les mêmes motifs que dans une affaire antérieure, en précisant que l’institution devait prendre les mesures nécessaires pour compenser le préjudice de la requérante.
La solution retenue par la Cour conduit à examiner l’interprétation extensive qu’elle fait des conditions de recevabilité du recours en annulation (I), avant d’analyser les conséquences pratiques de cette annulation et l’obligation de réparation qui en découle pour l’institution (II).
I. L’interprétation extensive des conditions de recevabilité du recours en annulation
La Cour de justice adopte une approche protectrice des droits des justiciables en définissant de manière rigoureuse la notion de notification (A) et en consacrant un intérêt à agir même en cas d’impossibilité apparente d’exécution (B).
A. La définition rigoureuse de la notification comme point de départ du délai de recours
La Commission soutenait que le délai de recours avait commencé à courir dès la communication du rejet par l’organisme d’intervention national. La Cour écarte cette argumentation en établissant une distinction claire entre une simple information et une notification au sens juridique du terme. Elle juge en effet que ne peut être considérée comme une notification la communication qui « ne contient aucun détail permettant à l’entreprise d’identifier la décision prise et d’en connaître le contenu exact, de manière à lui permettre d’exercer son droit de recours ». En agissant ainsi, la Cour conditionne le départ du délai de recours à la pleine connaissance par le destinataire non seulement de l’existence d’une décision le touchant, mais aussi de ses motifs et de sa portée. Cette exigence garantit le caractère effectif du droit à un recours juridictionnel, car un justiciable ne peut utilement contester un acte dont il ne maîtrise pas la substance. La solution renforce donc la sécurité juridique pour les administrés face à des processus décisionnels complexes impliquant des acteurs à la fois nationaux et communautaires.
B. La consécration d’un intérêt à agir résiduel en cas d’impossibilité d’exécution
La Commission arguait ensuite de l’absence d’intérêt à agir, la procédure d’adjudication étant clôturée et une remise en état s’avérant selon elle impossible. La Cour rejette cette exception en se fondant sur une double considération. D’une part, elle rappelle l’obligation pour l’institution dont l’acte est annulé de prendre les mesures que comporte l’exécution de l’arrêt, conformément à l’article 176 du traité CEE. D’autre part, et de manière subsidiaire, elle affirme que même si l’exécution s’avérait impossible, « le recours en annulation conserverait encore un intérêt en tant que base d’un recours éventuel en responsabilité ». Cette affirmation est fondamentale, car elle déconnecte l’intérêt à agir de la seule possibilité d’une restitution intégrale. L’annulation devient une fin en soi, un préalable nécessaire pour faire constater une illégalité et ouvrir la voie à une réparation par équivalent. La Cour assure ainsi que l’action administrative illégale puisse toujours être sanctionnée, empêchant une institution de se prévaloir de ses propres turpitudes ou d’un fait accompli pour échapper au contrôle du juge.
Une fois la recevabilité du recours admise au travers d’une lecture extensive des conditions d’ouverture, la Cour se penche sur les conséquences de l’annulation qu’elle prononce sur le fond.
II. Les conséquences de l’annulation et l’obligation de réparation incombant à l’institution
L’annulation de l’acte entraîne pour l’institution l’obligation de tirer toutes les conséquences de l’illégalité commise, ce qui implique de ne pas faire supporter à l’administré les défaillances de l’administration (A) et de rechercher une compensation équitable (B).
A. L’imputabilité des erreurs de transmission administrative à l’institution communautaire
Concernant les offres que la Commission n’avait jamais reçues, cette dernière estimait que le recours était sans objet. La Cour balaye cet argument en considérant que l’entreprise avait correctement soumis ses offres à l’organisme national compétent. Elle juge qu’« on ne saurait dès lors imputer à la requérante les conséquences d’une erreur de transmission intervenue dans les rapports entre l’organisme d’intervention et la Commission ». Cette solution consacre un principe de confiance légitime et de bonne administration. L’administré qui respecte les procédures indiquées ne doit pas pâtir des dysfonctionnements internes à l’administration, qu’ils relèvent d’un échelon national ou communautaire. La Cour considère l’organisme national comme un rouage du mécanisme communautaire, rendant la Commission responsable de l’ensemble du processus vis-à-vis du soumissionnaire. Le recours portait donc bien sur l’ensemble des offres initialement présentées.
B. La détermination par la Commission d’une compensation équitable
Sur le fond, la Cour annule la décision attaquée car elle est juridiquement identique à une décision précédemment censurée. Elle ne se limite toutefois pas à ce constat et précise la portée de l’obligation d’exécution pesant sur la Commission. Consciente de la difficulté d’une remise en état, la Cour ne l’ordonne pas directement. Elle enjoint à la Commission de réexaminer la situation de la requérante. L’institution devra d’abord apprécier si les offres de l’entreprise auraient pu être retenues dans le cadre d’une procédure légale. Si tel est le cas, il lui appartiendra de « prendre à l’égard de la requérante, dans le respect des principes de base de la réglementation […] toute décision qui serait de nature à compenser équitablement le désavantage ayant résulté, pour la requérante, de la décision annulée ». Ce faisant, la Cour guide l’action de l’administration post-annulation, en substituant à l’objectif d’une impossible exécution en nature celui d’une réparation juste et appropriée, laissant à l’institution le soin d’en définir les modalités sous le contrôle ultérieur éventuel du juge.