Arrêt de la Cour (deuxième chambre) du 6 octobre 1983. – Lohmann GmbH & Co. KG contre Oberfinanzdirektion Frankfurt am Main. – Demande de décision préjudicielle: Bundesfinanzhof – Allemagne. – Tarif douanier commun – Classification de gaze hydrophile – Positions 30.04 et 55.09 A I. – Affaire 289/82.

Par un arrêt rendu sur renvoi préjudiciel du Bundesfinanzhof, la Cour de justice des Communautés européennes a apporté une clarification essentielle sur l’interprétation d’une notion clé du tarif douanier commun. En l’espèce, une entreprise importait de la gaze hydrophile conditionnée en pièces de grandes dimensions, spécifiquement quarante mètres de long sur quatre-vingts centimètres de large. Ces produits étaient destinés à être vendus, sans reconditionnement ultérieur, quasi exclusivement à des établissements hospitaliers pour des usages médicaux et chirurgicaux.

L’administration des douanes nationales avait refusé de classer cette marchandise sous la position tarifaire 30.04, qui vise notamment les « ouates, gazes, bandes et articles analogues (…) conditionnés pour la vente au détail à des fins médicales ou chirurgicales ». Elle lui préféra la position 55.09, relative aux tissus de coton, au motif que les dimensions du produit excédaient ce qui est usuel pour une vente au détail. L’entreprise importatrice a contesté cette décision devant les juridictions nationales, arguant que la vente directe aux hôpitaux constituait bien une forme de vente au détail. Saisie du litige, la juridiction de renvoi, le Bundesfinanzhof, par une ordonnance du 12 octobre 1982, a interrogé la Cour de justice. La question de droit posée consistait à déterminer si la notion de « conditionnement pour la vente au détail », au sens de la position 30.04, impose une limite implicite de dimension, et si un produit dont le format le destine à des utilisateurs de grandes quantités peut néanmoins être considéré comme tel.

À cette question, la Cour de justice répond que la position 30.04 « doit être interprétée en ce sens que la notion ‘conditionnés pour la vente au détail à des fins médicales ou chirurgicales’ implique qu’une marchandise, pour pouvoir être classée sous cette position, ne doit pas dépasser les dimensions qui rendent possible sa vente au détail à tout utilisateur, y compris des particuliers ». Elle en conclut qu’un conditionnement qui, par sa nature, réserve la marchandise à des acheteurs institutionnels comme les hôpitaux, l’exclut de facto de cette position tarifaire.

La solution dégagée par la Cour repose sur une clarification de la notion de vente au détail par le prisme de l’utilisateur final (I), ce qui conduit à l’établissement d’un critère fonctionnel dont il convient de mesurer les implications pour le classement tarifaire (II).

I. La clarification de la notion de vente au détail par le critère de l’utilisateur final

La Cour de justice opère une lecture finaliste de la notion de vente au détail, en l’acceptant dans une acception large (A) mais en la bornant par l’exigence d’un conditionnement non exclusif (B).

A. L’admission d’une acception large de l’utilisateur final

Pour définir le champ de la position 30.04, la Cour s’appuie sur la note explicative du Conseil de coopération douanière. Ce texte précise que relèvent de cette position les articles « exclusivement destinés à la vente directe et sans autre reconditionnement aux utilisateurs (particuliers, hôpitaux, etc.) ». La Cour valide ainsi une interprétation extensive de la vente au détail, qui ne se limite pas au seul consommateur particulier mais englobe également des entités comme les hôpitaux. Cette approche reconnaît que la nature de la vente ne dépend pas uniquement de la qualité de l’acheteur, mais de l’absence d’intermédiaire ou de transformation du produit.

Toutefois, en incluant les « particuliers » et les « hôpitaux » dans une même catégorie d’utilisateurs, la note explicative pose les jalons d’une condition cumulative. Le conditionnement doit être apte à satisfaire les besoins de ces deux types de clientèles, sans distinction. C’est sur ce point que le raisonnement de la Cour va s’affiner, en refusant qu’une interprétation large de l’acheteur puisse justifier n’importe quel type de conditionnement. La vente aux hôpitaux peut être une vente au détail, mais seulement si le produit pourrait aussi être vendu à un particulier.

B. Le refus d’un conditionnement exclusivement destiné aux grands utilisateurs

Le cœur du raisonnement de la Cour réside dans la limite qu’elle apporte à l’interprétation large de la vente au détail. Si les hôpitaux peuvent être des acheteurs au détail, le produit doit aussi pouvoir être acheté par des particuliers. La Cour estime que le cadre de la position 30.04 « serait dépassé si cette notion était étendue à des marchandises qui, tout en étant aptes à être utilisées par des hôpitaux ou des institutions similaires, ne seraient pas conditionnées de manière à pouvoir être vendues simultanément à des particuliers par la voie du commerce de détail ».

Le critère décisif devient donc la polyvalence du conditionnement. Un produit dont les dimensions, comme une pièce de gaze de quarante mètres, le rendent impropre à l’acquisition par un particulier pour un usage domestique ne saurait être considéré comme « conditionné pour la vente au détail ». Peu importe que son étiquetage ou sa présentation le destine à un usage médical ; si son format le réserve en pratique à des utilisateurs de grandes quantités, il sort du champ de la position 30.04. L’exclusion n’est donc pas fondée sur la nature de l’acheteur, mais sur l’impossibilité pour une partie des acheteurs potentiels visés d’accéder au produit.

II. L’établissement d’un critère fonctionnel et ses implications pour le classement tarifaire

En se gardant de fixer des dimensions précises, la Cour établit un critère d’appréciation fonctionnel (A) dont la portée assure un équilibre entre la sécurité juridique et une nécessaire analyse au cas par cas (B).

A. La primauté de l’appréciation fonctionnelle sur des dimensions normatives

Face à la seconde question du Bundesfinanzhof qui l’invitait à fixer des dimensions maximales, la Cour se refuse à une telle démarche normative. Elle écarte une approche rigide qui aurait consisté à définir des standards de longueur ou de largeur. Une telle solution aurait manqué de souplesse et aurait été rapidement obsolète face aux évolutions des pratiques commerciales et médicales. La Cour opte plutôt pour une méthode d’appréciation fonctionnelle.

Le critère n’est pas la dimension en soi, mais la fonction du conditionnement : permet-il une vente à tous les utilisateurs, y compris les particuliers ? Cette approche est d’autant plus pertinente que la Cour examine, sans la censurer, la validité d’un règlement de la Commission qui, lui, se fondait sur des dimensions spécifiques pour exclure un produit de la position 30.04. Tout en jugeant cette technique législative « discutable » car source d’incertitude, elle en valide le principe sous-jacent : le critère de la vente au détail exclut les produits conditionnés pour le seul usage des hôpitaux. Le principe fonctionnel prime sur la norme dimensionnelle.

B. La portée de la solution : entre sécurité juridique et appréciation souveraine

La décision de la Cour a une portée de principe en ce qu’elle fournit aux administrations et juridictions nationales une clé d’interprétation claire et durable. En définissant la vente au détail par l’accessibilité du conditionnement à l’ensemble des utilisateurs potentiels, elle renforce la sécurité juridique pour les opérateurs économiques. La règle est désormais établie : un conditionnement de gros destiné à un usage professionnel ne relève pas de la position 30.04.

Cependant, l’application de ce principe relève nécessairement d’une appréciation au cas par cas laissée aux autorités nationales. Il leur appartiendra d’évaluer, pour chaque marchandise, si ses dimensions et sa présentation la rendent ou non accessible à un particulier. La solution de la Cour ménage donc un équilibre : elle pose une règle générale et abstraite tout en préservant la marge d’appréciation nécessaire à l’analyse des faits de chaque espèce. L’arrêt ne met pas fin à tout litige potentiel, mais il fournit le cadre intellectuel et juridique indispensable à sa résolution.

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