Arrêt de la Cour (deuxième chambre) du 7 mai 1991. – Estabelecimentos Isodoro M. Oliveira SA contre Commission des Communautés européennes. – Fonds social européen – Recours en annulation contre la réduction d’un concours financier initialement accordé. – Affaire C-304/89.

Par un arrêt du 5 mars 1991, la Cour de justice des Communautés européennes a annulé deux décisions de la Commission relatives à la réduction d’un concours financier octroyé par le Fonds social européen. En l’espèce, une société avait bénéficié d’un financement européen pour des actions de formation professionnelle, sur la base de demandes présentées en son nom par l’État membre dont elle relevait. À l’issue des actions, les demandes de paiement du solde, certifiées par les autorités nationales quant à leur exactitude factuelle et comptable, furent transmises à la Commission. Celle-ci, après analyse, constata que certaines dépenses n’étaient pas éligibles et adopta des décisions réduisant le montant du concours initialement accordé, sans avoir au préalable sollicité les observations de l’État membre concerné. La société bénéficiaire a alors introduit un recours en annulation contre ces décisions, invoquant notamment la violation des formes substantielles. La question de droit qui se posait à la Cour était donc de déterminer si la possibilité pour un État membre de présenter ses observations avant l’adoption d’une décision de réduction d’un concours du Fonds social européen, conformément à l’article 6, paragraphe 1, du règlement n° 2950/83, constitue une formalité substantielle dont le non-respect vicie la procédure et entraîne la nullité de la décision. La Cour y répond par l’affirmative, en jugeant que le rôle central et les responsabilités assumées par l’État membre dans la procédure confèrent à cette consultation préalable le caractère d’une formalité substantielle. Elle en déduit que la violation de cette obligation procédurale justifie l’annulation des décisions litigieuses. La solution consacre ainsi la place prépondérante de l’État membre dans le dialogue avec les institutions européennes, tout en garantissant indirectement la protection des droits des bénéficiaires finaux.

I. L’affirmation du rôle procédural essentiel de l’État membre

La Cour fonde sa décision sur le statut particulier de l’État membre dans le cadre du Fonds social européen, le qualifiant d’interlocuteur unique (A), ce qui justifie de sanctionner par la nullité le non-respect de la garantie procédurale qui lui est due (B).

A. La reconnaissance de l’État membre comme interlocuteur unique et responsable

La juridiction européenne rappelle avec force que dans le mécanisme de financement du Fonds, « l’État membre est l’unique interlocuteur du Fonds ». Cette position n’est pas purement formelle ; elle s’accompagne de responsabilités significatives qui justifient une protection procédurale accrue. En effet, il lui incombe de certifier « l’exactitude factuelle et comptable des indications contenues dans les demandes de paiement » et il peut même être « tenu de garantir la bonne fin des actions de formation ». L’État n’est donc pas un simple intermédiaire, mais un véritable partenaire de la Commission, engageant sa propre crédibilité et, potentiellement, sa responsabilité financière.

En soulignant ce rôle, la Cour met en lumière la logique de gestion décentralisée des fonds européens. La Commission s’appuie sur les structures administratives nationales pour assurer le suivi et le contrôle des projets qu’elle finance. Cette coopération impose en contrepartie que l’institution européenne respecte scrupuleusement les prérogatives de son partenaire étatique. La consultation préalable avant toute décision de réduction n’est donc pas une simple faculté offerte à l’État membre, mais une composante essentielle du dialogue institutionnel, nécessaire à une bonne administration des deniers européens.

B. La sanction par la nullité du défaut de consultation préalable

Conséquence directe de ce rôle central, la possibilité pour l’État de présenter ses observations est qualifiée de « formalité substantielle ». En droit de l’Union, cette qualification emporte une conséquence radicale : sa violation entraîne la nullité de l’acte, sans qu’il soit nécessaire pour le requérant de prouver que la décision aurait été différente en son absence. La Cour se montre ainsi particulièrement rigoureuse quant au respect des formes procédurales qui garantissent les droits des acteurs impliqués.

Elle rejette l’argument de la Commission selon lequel une concertation pourrait s’engager après la notification de la décision. Une telle approche inverserait la logique de la procédure et fragiliserait la sécurité juridique. La décision de réduction est un acte qui produit des effets de droit dès sa notification, et c’est avant son adoption que les parties intéressées doivent pouvoir faire valoir utilement leur point de vue. Sanctionner par la nullité le manquement de la Commission à cette obligation pré-décisionnelle réaffirme la primauté du respect des garanties procédurales sur les considérations d’efficacité administrative qui pourraient pousser l’institution à agir unilatéralement.

II. La protection renforcée des droits du bénéficiaire final du concours

En protégeant les prérogatives de l’État membre, la Cour assure par ricochet une meilleure défense des intérêts du bénéficiaire du financement (A), tout en préservant l’effectivité de son droit au recours (B).

A. La recevabilité du moyen tiré de la violation d’une prérogative étatique

La Commission contestait l’intérêt de la société requérante à se prévaloir de la violation d’une formalité destinée à l’État membre, surtout si ce dernier semblait y avoir renoncé en ne contestant pas immédiatement les décisions. La Cour écarte fermement cette objection, considérant que le bénéficiaire a un « intérêt légitime à se prévaloir du non-respect éventuel de la formalité », car cette irrégularité affecte directement la légalité de l’acte qui le prive d’une partie du financement.

Cette position est fondamentale car elle reconnaît que les garanties procédurales, même si elles s’adressent formellement à l’État membre, sont instituées dans l’intérêt de l’ensemble du système et, en définitive, dans celui des administrés. En permettant au bénéficiaire d’invoquer ce vice de procédure, la Cour adopte une vision large de la protection juridictionnelle. Elle admet que le respect des équilibres institutionnels est une condition de la légalité des actes de l’Union qui peut être invoquée par les justiciables directement et individuellement concernés par ces actes.

B. La sauvegarde de l’effectivité du droit au recours

L’argument le plus décisif de la Cour pour rejeter la thèse de la Commission est sans doute celui tiré de la préservation du droit à un recours effectif. La juridiction relève avec une grande clarté que la proposition d’une concertation postérieure à la décision créerait une situation juridique inextricable. Le délai de recours en annulation de deux mois prévu par le traité commencerait à courir dès la notification de la décision initiale. Si, à l’issue d’une concertation menée hors délai, la Commission confirmait sa position, le bénéficiaire serait forclos pour attaquer la décision initiale.

De plus, un recours contre l’acte confirmatif serait lui-même irrecevable, selon une jurisprudence constante. En soulignant ce risque, la Cour démontre que la procédure suggérée par la Commission n’est pas une alternative équivalente à la consultation préalable, mais un piège procédural qui viderait de sa substance le droit au recours. En annulant les décisions, la Cour ne fait donc pas que sanctionner une erreur de procédure ; elle garantit la cohérence du système juridictionnel de l’Union et assure que le droit à un juge, principe fondamental, demeure concret et effectif pour les justiciables.

📄 Circulaire officielle

Nos données proviennent de la Cour de cassation (Judilibre), du Conseil d'État, de la DILA, de la Cour de justice de l'Union européenne ainsi que de la Cour européenne des droits de l'Homme.
Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

Maître Kohen, avocat à Paris en droit pénal et droit du travail, accompagne ses clients avec rigueur et discrétion dans toutes leurs démarches juridiques, qu'il s'agisse de procédures pénales ou de litiges liés au droit du travail.

En savoir plus sur Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture