Arrêt de la Cour (deuxième chambre) du 8 novembre 2001. – Silos e Mangimi Martini SpA contre Ministero delle Finanze. – Demande de décision préjudicielle: Tribunale civile e penale di Cagliari – Italie. – Agriculture – Organisation commune des marchés – Restitutions à l’exportation – Suppression – Interprétation et validité des règlements (CE) nº 1521/95 et 1576/95 – Défaut de motivation. – Affaire C-228/99.

Par un arrêt rendu sur renvoi préjudiciel, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé les conditions de validité d’un règlement communautaire modifiant de manière substantielle le montant d’une restitution à l’exportation. En l’espèce, une société spécialisée dans la production et l’exportation d’aliments pour animaux avait réalisé plusieurs opérations d’exportation le 30 juin 1995, date qui correspondait à la fin de validité de ses certificats d’exportation. Le même jour, un règlement de la Commission, publié au Journal officiel, a fixé à zéro le montant des restitutions pour les produits concernés, supprimant de fait l’aide existante. L’opérateur n’avait pas demandé de fixation à l’avance du montant de la restitution. Les autorités nationales ont refusé le paiement des restitutions pour les exportations effectuées le 30 juin 1995 en se fondant sur le nouveau règlement. La société exportatrice a alors engagé une action en paiement contre l’administration nationale devant le Tribunale civile e penale di Cagliari. Cette juridiction a sursis à statuer et a saisi la Cour de justice de plusieurs questions préjudicielles portant sur la validité et l’interprétation du règlement litigieux, ainsi que d’un règlement subséquent au contenu identique. La question de droit posée à la Cour était de savoir si un règlement de la Commission, entré en vigueur le jour même de sa publication, pouvait légalement supprimer une restitution à l’exportation sans fournir de justification spécifique pour un changement aussi radical par rapport à sa pratique antérieure. La Cour de justice a jugé que le règlement était bien applicable aux opérations du 30 juin 1995, mais qu’il était invalide pour défaut de motivation. Elle en a déduit que le règlement antérieur, qui prévoyait une restitution, devait s’appliquer aux exportations en cause.

Cette solution conduit à examiner la censure par la Cour d’une modification réglementaire jugée insuffisamment justifiée (I), avant d’analyser les conséquences tirées de cette invalidation au profit de l’opérateur économique (II).

I. La sanction d’une rupture inexpliquée de la pratique réglementaire

La Cour de justice a d’abord confirmé le moment de l’application du règlement litigieux, pour ensuite prononcer son invalidité en raison d’une motivation défaillante.

A. L’application immédiate mais contestée du règlement

L’opérateur économique soutenait que le nouveau règlement, qui supprimait les restitutions, ne pouvait s’appliquer à des opérations finalisées le jour même de sa publication. La Cour écarte cet argument en se fondant sur une lecture combinée des textes applicables. Elle rappelle que, en l’absence de fixation à l’avance, « le fait générateur à prendre en considération pour déterminer la réglementation et, par conséquent, le montant de la restitution applicables est l’acceptation, par le service des douanes compétent, de la déclaration d’exportation ». Ainsi, la réglementation en vigueur à la date de cette acceptation détermine le montant de l’aide. Le règlement ayant été publié et étant entré en vigueur le 30 juin 1995, et les déclarations d’exportation ayant été acceptées ce même jour, c’est bien ce texte qui avait vocation à régir la situation. La Cour rejette également l’idée qu’un second règlement, publié le lendemain avec un contenu identique, aurait révoqué le premier. Elle précise que « la révocation d’un acte réglementaire est une mesure exceptionnelle ayant des effets rétroactifs et elle ne peut dès lors être qu’explicite ». En l’absence de toute mention d’une telle révocation, le premier règlement demeurait applicable pour la journée du 30 juin 1995.

Si l’applicabilité temporelle du règlement est ainsi confirmée, sa validité juridique est en revanche radicalement remise en cause par la Cour.

B. L’invalidation pour défaut de motivation substantielle

Le cœur de la décision réside dans le contrôle de l’obligation de motivation imposée par le traité. La Cour rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle la motivation doit être adaptée à la nature de l’acte et faire apparaître de façon claire le raisonnement de l’institution. Elle souligne cependant une exigence accrue dans des circonstances particulières. Si une décision s’inscrivant dans une pratique constante peut être sommairement motivée, « il incombe à l’autorité communautaire de développer son raisonnement de manière explicite lorsque la décision va sensiblement plus loin que les décisions précédentes ». Or, en l’espèce, le règlement en cause rompait brutalement avec la pratique antérieure. Alors qu’un règlement précédent, adopté une semaine plus tôt, avait fixé la restitution à un montant substantiel, le nouveau texte la réduisait à néant sans fournir la moindre explication à ce revirement. La Cour juge que « la simple référence aux possibilités et aux conditions de vente sur le marché mondial, à la nécessité d’éviter des perturbations sur le marché communautaire et à l’aspect économique des exportations ne saurait […] constituer une motivation suffisante ». Ce faisant, elle invalide le règlement pour violation de l’article 190 du traité CE, estimant que des formules générales et stéréotypées ne peuvent justifier une mesure qui s’écarte de la logique économique et de la pratique décisionnelle habituelle de la Commission.

L’annulation du règlement ne pouvait rester sans effet sur la situation de l’opérateur, ce qui a conduit la Cour à préciser la portée de son invalidation.

II. Les conséquences de l’invalidité et la protection de l’opérateur économique

La déclaration d’invalidité emporte des conséquences directes pour le litige au principal, restaurant la situation juridique antérieure et garantissant les droits de l’exportateur sans limitation de temps.

A. Le rétablissement de la situation juridique antérieure

Une fois le règlement n° 1521/95 déclaré invalide, la question se posait de savoir quel régime juridique devait s’appliquer aux exportations du 30 juin 1995. La Commission soutenait que l’invalidité ne pouvait conduire à la renaissance automatique du règlement précédent. La Cour de justice rejette cette position en se référant à sa jurisprudence. Elle affirme que « la déclaration d’invalidité d’un règlement qui a implicitement abrogé un autre règlement implique, en principe, le droit pour les parties au principal d’être placées dans la même situation que si cette abrogation n’était pas intervenue ». En conséquence, l’annulation du texte litigieux a pour effet de faire revivre le règlement n° 1415/95, qui était en vigueur juste avant. Les restitutions dues à l’opérateur doivent donc être calculées sur la base de ce dernier texte, qui prévoyait un montant de 74,93 écus par tonne. La Cour assure ainsi une continuité juridique et évite qu’un vide réglementaire ne pénalise l’opérateur qui s’est conformé à la législation.

Cette protection est parachevée par le refus de la Cour de moduler les effets de sa décision pour l’avenir.

B. Le refus de limiter les effets de l’invalidité dans le temps

La Commission avait demandé à la Cour de limiter les effets dans le temps de la déclaration d’invalidité, une faculté que la jurisprudence reconnaît à la Cour pour des « considérations impérieuses de sécurité juridique ». Une telle limitation aurait eu pour effet de ne pas remettre en cause les situations passées, sauf pour les justiciables ayant déjà introduit un recours. La Cour examine cette demande au regard des faits de l’espèce. Elle constate d’une part que le règlement invalidé n’a été applicable que pendant une seule journée, ce qui rend les opérations concernées « relativement peu nombreuses et facilement identifiables ». D’autre part, la Commission n’a fourni aucun argument probant démontrant l’existence de ces considérations impérieuses de sécurité juridique qui justifieraient une telle limitation. Dans ces conditions, la Cour refuse de limiter les effets de son arrêt. La déclaration d’invalidité produit donc pleinement ses effets rétroactifs, permettant non seulement à la société requérante au principal, mais aussi à tout autre opérateur dans la même situation, de se prévaloir de l’illégalité du règlement n° 1521/95 et de réclamer le paiement des restitutions sur la base du règlement antérieur.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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