Arrêt de la Cour (deuxième chambre) du 9 juillet 1987. – Giancarlo Laborero et Francesca Sabato contre Office de sécurité sociale d’outre-mer (OSSOM). – Demandes de décision préjudicielle: Tribunal du travail de Bruxelles et Cour du travail de Mons – Belgique. – Sécurité sociale – Règlement n. 1408/71 – Notion de « législation ». – Affaires jointes 82 et 103/86.

Par un arrêt rendu en 1987 dans des affaires jointes, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé l’étendue du champ d’application du règlement n°1408/71 relatif à la sécurité sociale des travailleurs migrants. La question portait sur l’application du principe de non-discrimination en raison de la nationalité à un régime belge d’assurance volontaire couvrant des activités professionnelles exercées hors du territoire de la Communauté. En l’espèce, des ressortissants italiens résidant en Belgique se sont vu refuser par l’organisme de sécurité sociale belge compétent l’indexation de leurs prestations de retraite ou de survie. Ces prestations étaient dues au titre d’une affiliation à un régime d’assurance facultatif pour des périodes de travail accomplies dans l’ancien Congo belge, devenu la République du Zaïre. La législation nationale réservait le bénéfice de cette indexation, entre autres, aux seuls nationaux, sauf accord de réciprocité.

Les requérants au principal ont contesté ce refus devant les juridictions du travail belges. Ils soutenaient que l’exclusion constituait une discrimination prohibée par l’article 3, paragraphe 1, du règlement n°1408/71. L’organisme de sécurité sociale et le gouvernement belge opposaient que le règlement n’était pas applicable. Selon eux, les intéressés ne pouvaient être qualifiés de « travailleurs » au sens du règlement et la loi instaurant le régime d’assurance, ne concernant que des activités hors de la Communauté, ne constituait pas une « législation d’un État membre ». Le Tribunal du travail de Bruxelles et la Cour du travail de Mons ont alors saisi la Cour de justice de plusieurs questions préjudicielles. Il s’agissait de déterminer si un régime de sécurité sociale national visant des activités exercées dans des pays tiers relevait du champ d’application du droit communautaire et de son principe d’égalité de traitement. La Cour devait donc clarifier si une personne affiliée à un tel régime est un « travailleur » et si la loi nationale en cause est une « législation » au sens du règlement.

À cette question, la Cour de justice a répondu par l’affirmative. Elle a jugé qu’une personne assurée dans le cadre d’un tel régime d’assurance volontaire et ayant exercé une activité professionnelle durant sa période d’affiliation est un « travailleur » au sens du règlement. La Cour a également affirmé qu’une réglementation nationale de ce type constitue une « législation d’un État membre », même si les prestations prévues sont fondées sur des périodes d’activité accomplies dans des États tiers. Par conséquent, les dispositions du règlement, et notamment le principe d’égalité de traitement, sont applicables. Le raisonnement de la Cour s’articule autour d’une interprétation large des notions définissant le champ d’application du règlement (I), conduisant à affirmer la prééminence du critère de rattachement au système de sécurité sociale d’un État membre sur le lieu d’exercice de l’activité (II).

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I. L’interprétation extensive des notions définissant le champ d’application personnel du règlement

La Cour adopte une définition large de la notion de « travailleur » en se fondant sur une approche fonctionnelle (B) qui transcende les spécificités du régime d’assurance volontaire en cause (A).

A. La qualification de « travailleur » en dépit du caractère autonome du régime d’assurance

Le gouvernement belge soutenait que l’assurance volontaire litigieuse constituait un régime autonome, non rattaché au régime général belge et visant un public différent, ce qui devait l’exclure du champ du règlement. La Cour écarte cet argument sans difficulté. Elle rappelle que le règlement n°1408/71, aux termes de son article 4, paragraphe 2, « s’applique aux regimes de securite sociale tant generaux que speciaux ». Un régime autonome ne peut donc échapper à l’application du règlement pour ce seul motif, dès lors qu’il relève de son champ d’application matériel.

La Cour réfute également l’argument selon lequel la qualité de travailleur ferait défaut lorsque la personne n’exerce plus d’activité professionnelle au moment de la demande de prestation. Elle juge que « la qualite de travailleur doit s’apprecier en rapport avec la periode pendant laquelle l’assure a participe au regime de securite sociale en cause ». Une telle solution est commandée par la nature même des prestations de vieillesse et de survie, qui interviennent précisément après la cessation de l’activité. L’interprétation contraire priverait le règlement de tout effet utile pour ces branches de la sécurité sociale.

B. La consécration d’une approche fonctionnelle de la notion de travailleur

Au-delà de la réponse technique, la Cour confirme sa jurisprudence constante en faveur d’une conception communautaire et large de la notion de « travailleur ». Le point déterminant n’est pas le caractère obligatoire ou facultatif de l’assurance, ni son lien avec le régime général, mais bien le fait que la personne soit assurée contre un ou plusieurs risques dans le cadre d’un système de sécurité sociale d’un État membre. La définition posée à l’article 1er, sous a), du règlement vise toute personne qui est ou a été couverte, à quelque titre que ce soit, par un régime de sécurité sociale.

En jugeant qu' »une personne assuree au titre d’une assurance volontaire comme celle organisee par la loi belge du 17 juillet 1963, qui, durant la periode ou elle a participe a ce regime d’assurance, a exerce une activite salariee ou non salariee, est a considerer comme ‘travailleur' », la Cour ancre la qualification dans la seule participation au régime. Cette approche fonctionnelle est essentielle pour garantir l’objectif du règlement, qui est de favoriser la libre circulation des personnes en assurant la coordination des systèmes de sécurité sociale nationaux.

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II. L’affirmation de la compétence communautaire sur les législations de sécurité sociale à effet extraterritorial

Après avoir inclus les requérants dans le champ d’application personnel du règlement, la Cour justifie son application matérielle en se fondant sur le critère du rattachement juridique (A), étendant ainsi la portée du principe d’égalité de traitement à des situations nées hors de la Communauté (B).

A. La prévalence du rattachement juridique sur le lieu d’exercice de l’activité

L’argument principal de l’organisme belge et de son gouvernement reposait sur le champ d’application territorial du traité. Le régime litigieux visant exclusivement des activités accomplies dans des États tiers, il ne pouvait, selon eux, être considéré comme une « legislation d’un État membre » pour l’application d’un règlement concernant la circulation « à l’intérieur de la Communauté ». La Cour opère une dissociation claire entre le lieu de l’activité et le rattachement de la législation. Elle rappelle sa jurisprudence antérieure pour affirmer « qu’il convient … d’attribuer une importance essentielle non pas au critere du lieu ou l’activite professionnelle a ete exercee, mais a celui constitue par le rapport qui lie le travailleur … a un regime de securite sociale d’un Etat membre ».

Le critère déterminant devient donc le lien juridique qui unit l’assuré à un système de protection sociale national. Le fait que les périodes d’assurance aient été accomplies dans des États tiers est jugé sans pertinence. Une loi nationale qui instaure un régime de sécurité sociale géré par un établissement public d’un État membre et sous le contrôle de cet État constitue bien une « législation » au sens du règlement, quel que soit le lieu de travail des affiliés.

B. La portée de la solution : la soumission des régimes « outre-mer » au principe d’égalité de traitement

Cette solution emporte des conséquences significatives. Elle empêche les États membres de créer des régimes de sécurité sociale qui, bien que de droit national, échapperaient aux principes fondamentaux du droit communautaire, tel que celui de non-discrimination. La Cour précise que cette extension ne contredit pas la limitation territoriale du traité CEE, car le règlement « ne pose des exigences audit regime que pour autant que celui-ci deploie des effets a l’interieur de la communaute ». En l’espèce, les prestations étant versées à des personnes résidant en Belgique, les effets du régime se produisaient bien sur le territoire communautaire.

En conséquence, la Cour conclut qu' »une reglementation nationale comme celle de la loi du 17 juillet 1963 releve, en tant que legislation d’un etat membre, du reglement n°1408/71, meme si les prestations y prevues ne peuvent etre fondees que sur des periodes d’activite accomplies dans des etats tiers ». Par cet arrêt, la Cour assure la cohérence du système de coordination de la sécurité sociale. Elle garantit que tout droit à prestation issu de la législation d’un État membre doit être octroyé sans discrimination fondée sur la nationalité aux ressortissants communautaires qui relèvent du champ d’application du règlement.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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