Arrêt de la Cour (deuxième chambre) du 9 mars 2000. – Commission des Communautés européennes contre République italienne. – Manquement d’État – Directive 93/104/CE – Aménagement du temps de travail – Non-transposition. – Affaire C-386/98.

Par un arrêt en date du 9 mars 2000, la Cour de justice des Communautés européennes a statué sur une procédure en manquement engagée par la Commission à l’encontre d’un État membre pour la non-transposition d’une directive relative à l’aménagement du temps de travail. Cet acte communautaire imposait aux États membres de mettre en œuvre les dispositions nécessaires à sa conformité avant le 23 novembre 1996.

En l’espèce, à l’expiration de ce délai, l’État membre mis en cause n’avait pas adopté les mesures de transposition requises. Après une mise en demeure restée sans effet concret, la Commission a émis un avis motivé, constatant la persistance du manquement. Les autorités nationales ont admis que le processus législatif était toujours en cours, tout en soutenant qu’une partie de leur droit interne était déjà conforme à certains aspects de la directive et que les partenaires sociaux avaient conclu une déclaration commune à ce sujet. Face à l’absence de transposition complète et formelle, la Commission a décidé de saisir la Cour de justice.

Il revenait donc à la Cour de déterminer si l’absence de transposition totale d’une directive dans le délai imparti, malgré les assurances fournies et une conformité partielle alléguée, caractérise un manquement aux obligations découlant du traité.

La Cour de justice a répondu par l’affirmative, en jugeant que l’État membre avait manqué à ses obligations. Elle énonce clairement que « en n’ayant pas adopté, dans le délai prescrit, les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la directive […], la République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de cette directive ». Cette solution, bien que classique dans son fondement, illustre avec clarté la rigueur avec laquelle la Cour apprécie les obligations de transposition (I), réaffirmant par là même son rôle de gardienne de l’ordre juridique communautaire (II).

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I. La caractérisation rigoureuse du manquement à l’obligation de transposition

La Cour de justice retient une approche stricte pour constater le manquement de l’État membre, en se fondant sur des critères objectifs qui ne laissent aucune place aux justifications d’ordre interne. Le manquement est ainsi caractérisé par sa seule matérialité (A), rendant inopérants les arguments avancés en défense par l’État défaillant (B).

A. Une défaillance constatée sur la base de son caractère objectif

Le raisonnement de la Cour est d’une grande sobriété et s’attache à un seul fait objectif : l’expiration du délai. En affirmant que « la transposition complète de la directive n’ayant pas été réalisée dans le délai prescrit par celle-ci, il y a lieu de considérer comme fondé le recours introduit par la Commission », la Cour rappelle une règle fondamentale. Le manquement est constitué indépendamment de toute intention ou de toute difficulté rencontrée par l’État membre. Le simple constat matériel de l’absence des mesures de transposition à la date butoir suffit à fonder la condamnation.

Cette approche formaliste garantit la sécurité juridique et l’application uniforme du droit communautaire. Les justiciables doivent pouvoir se prévaloir de droits clairs et précis, ce que seule une transposition correcte et complète dans les délais peut assurer. En se limitant à un examen factuel, la Cour évite de s’immiscer dans des considérations politiques ou administratives internes, qui ne sauraient justifier une dérogation aux obligations issues du traité. La constatation du manquement devient ainsi la conséquence quasi automatique de l’inertie de l’État.

Face à ce constat matériel, les arguments avancés en défense par l’État membre se sont révélés inopérants.

B. L’inefficacité des justifications avancées par l’État membre

L’État défendeur, tout en reconnaissant implicitement le retard, a tenté de minimiser la portée de son manquement. Il faisait valoir d’une part que sa législation nationale était déjà partiellement conforme aux objectifs de la directive, et d’autre part que des travaux préparatoires étaient bien engagés. La Cour écarte ces arguments de manière constante et prévisible. Elle juge que de telles circonstances ne peuvent ni effacer ni excuser l’absence d’une transposition formelle, complète et correcte.

La jurisprudence de la Cour exige en effet que la transposition d’une directive soit assurée par des mesures nationales contraignantes, claires et précises. Une simple pratique administrative, une conformité partielle ou l’existence d’un projet de loi ne suffisent pas à remplir les obligations de l’État. En l’espèce, le fait que les partenaires sociaux aient paraphé une déclaration commune, même si elle fait « l’objet d’une application généralisée », est jugé insuffisant. Le manquement demeure tant que la pleine effectivité juridique de toutes les dispositions de la directive n’est pas garantie sur l’ensemble du territoire national.

Au-delà de la simple sanction d’un retard, cet arrêt rappelle la fonction essentielle de la procédure en manquement dans l’architecture institutionnelle de l’Union.

II. L’affirmation du rôle de la Cour en tant que gardienne de l’ordre juridique communautaire

En condamnant l’État membre, la Cour ne fait pas seulement œuvre de sanction ; elle réaffirme sa mission fondamentale qui est de veiller à l’effectivité du droit communautaire (A) et de garantir son application uniforme sur le territoire de l’Union (B).

A. La garantie de l’effet utile des directives

La finalité d’une directive est de produire des effets concrets dans l’ordre juridique des États membres. Cette finalité serait compromise si les États pouvaient librement décider du moment et des modalités de leur transposition. Le recours en manquement est l’instrument privilégié pour garantir l’effet utile (`effet utile`) des directives. En sanctionnant l’inertie, la Cour s’assure que le droit communautaire ne reste pas une simple déclaration d’intention mais se traduit par des droits et des obligations effectifs pour les citoyens et les entreprises.

Cette décision illustre l’obligation de coopération loyale, anciennement inscrite à l’article 10 du traité CE, qui impose aux États membres de prendre toutes les mesures propres à assurer l’exécution des obligations découlant du traité. La transposition des directives est l’une des expressions les plus importantes de ce devoir. La Cour, en se montrant inflexible sur le respect des délais, agit en tant que moteur de l’intégration juridique et protectrice des prérogatives des institutions communautaires.

Cette protection de l’effectivité du droit communautaire sert un objectif plus large : celui de l’uniformité de son application.

B. La procédure en manquement comme instrument d’uniformisation du droit

La portée de cet arrêt, bien que relevant d’une jurisprudence établie, est avant tout pédagogique. Il rappelle à l’ensemble des États membres qu’ils sont logés à la même enseigne face à leurs obligations. En refusant de prendre en compte les particularités du système politique ou juridique italien, la Cour confirme qu’aucune circonstance d’ordre interne ne peut justifier la violation du droit communautaire. Le bon fonctionnement du marché intérieur et des politiques communes, comme celle de l’aménagement du temps de travail, repose sur l’application homogène des règles adoptées au niveau de l’Union.

L’arrêt C-386/98 n’est donc pas un arrêt de principe qui innove, mais une décision d’espèce qui réitère avec force une exigence fondamentale de l’ordre juridique communautaire. Il démontre que la procédure en manquement, loin d’être une simple formalité, est un mécanisme essentiel de contrôle et de discipline, assurant la cohésion et la primauté d’un droit commun à tous les États membres.

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