Par un arrêt du 12 décembre 1996, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé les modalités de classement tarifaire d’un appareil multifonctionnel au sein de la nomenclature combinée. En l’espèce, une société importatrice avait procédé à la déclaration en douane d’appareils permettant à la fois d’envoyer des télécopies et de réaliser des photocopies, composés d’un dispositif de balayage, d’une mémoire numérique et d’une imprimante laser. Initialement classés dans une sous-position par l’importateur lui-même, celui-ci a par la suite réclamé un classement différent, ce que l’administration douanière nationale a refusé. Saisie du litige, la juridiction nationale a alors posé une question préjudicielle à la Cour de justice afin de déterminer l’interprétation correcte du tarif douanier commun applicable à de tels appareils. La question de droit qui se posait était donc de savoir comment classer une marchandise composite, susceptible de relever de plusieurs positions tarifaires en raison de ses multiples fonctions, lorsque ni sa spécificité ni sa fonction principale ne peuvent être clairement établies. La Cour de justice répond que de tels appareils doivent être classés « conformément à la règle générale 3 c) pour l’interprétation de la nomenclature combinée, dans la position placée la dernière par ordre de numérotation parmi celles susceptibles d’être valablement prises en considération ».
La solution retenue par la Cour de justice repose sur une application rigoureuse des règles générales d’interprétation de la nomenclature combinée, qui conduit à écarter les critères de classement primaires pour privilégier une solution subsidiaire (I). Cette approche pragmatique, au-delà du cas d’espèce, réaffirme des principes essentiels pour l’application uniforme et la stabilité du droit douanier commun (II).
I. L’application d’une méthode de classement subsidiaire pour les appareils multifonctionnels
La Cour de justice opère un classement tarifaire en procédant par élimination. Elle écarte d’abord les critères fondés sur la fonction de l’appareil (A), pour ensuite appliquer, par défaut, une règle de classement purement formelle (B).
A. L’éviction des critères de la fonction principale et du caractère essentiel
Les appareils en cause présentaient une double fonctionnalité pouvant justifier leur classement dans au moins deux positions distinctes. D’une part, leur fonction de télécopieur les rendait éligibles à la position 8517, relative aux appareils électriques pour la télégraphie. D’autre part, leur fonction de photocopieur les faisait relever de la position 9009, qui vise les appareils de photocopie. Face à cette alternative, les règles d’interprétation habituelles invitaient à rechercher la fonction principale de l’appareil. Toutefois, la note 3 de la section XVI de la nomenclature, qui prévoit un classement selon la fonction principale pour les machines à fonctions multiples, a été jugée inapplicable. En effet, cette note ne concerne que les combinaisons de machines relevant des chapitres 84 et 85, alors que la fonction de photocopie renvoyait au chapitre 90.
Il convenait alors de se tourner vers la règle générale d’interprétation 3 b), qui prescrit de classer les ouvrages composites selon l’article qui leur confère leur caractère essentiel. Cependant, la Cour constate que les appareils « ne présentent aucune fonction permettant de déterminer leur caractère essentiel ». Cette affirmation implicite reconnaît l’égale importance des fonctions de télécopie et de photocopie, empêchant toute hiérarchisation entre elles. En refusant de choisir une fonction plutôt qu’une autre, la Cour évite une analyse subjective et potentiellement arbitraire de l’usage de l’appareil.
B. La consécration du critère de la position la plus élevée en ordre de numérotation
Dès lors que les critères de la spécificité prévu par la règle 3 a) et du caractère essentiel de la règle 3 b) sont neutralisés, la Cour applique logiquement la règle subsidiaire énoncée à la règle générale 3 c). Cette disposition prévoit que si le classement ne peut être opéré en application des règles précédentes, « la marchandise est classée dans la position placée la dernière par ordre de numérotation parmi celles susceptibles d’être valablement prises en considération ». Cette méthode présente l’avantage d’offrir une solution claire et objective lorsque les caractéristiques intrinsèques de la marchandise ne permettent pas de trancher.
En l’occurrence, les deux positions susceptibles d’être retenues étaient la 8517 et la 9009. En application de la règle 3 c), la Cour choisit la position 9009, car son numéro est plus élevé. Cette solution, bien que purement mécanique, a le mérite de la prévisibilité et de la simplicité. Elle met fin à l’incertitude classificatoire en fournissant un critère de départage incontestable, fondé sur la structure même de la nomenclature douanière. Le classement est ainsi opéré non pas en fonction d’une appréciation de la nature de l’objet, mais par une application littérale d’une règle de procédure interprétative.
II. La portée de la décision pour l’interprétation du tarif douanier commun
Au-delà de la solution technique apportée au litige, cet arrêt illustre deux principes fondamentaux de l’interprétation du droit douanier. Il réaffirme la nécessaire neutralité de la nomenclature face au progrès technique (A) et conforte l’objectif d’une application uniforme du tarif douanier commun (B).
A. La neutralité de la nomenclature combinée face aux évolutions technologiques
L’un des arguments de la société importatrice consistait à distinguer ses appareils des photocopieurs traditionnels en raison de la technologie numérique employée. Selon elle, la conversion de l’image en données numériques avant impression excluait le classement en tant qu’appareil de photocopie à système optique. La Cour rejette cette argumentation en considérant que la technologie utilisée constitue simplement un « procédé indirect » de reproduction, lequel est explicitement couvert par la sous-position 9009 12 00.
Ce faisant, la Cour rappelle un principe qu’elle avait déjà affirmé, notamment dans son arrêt du 19 novembre 1981, *Analog Devices*, selon lequel l’interprétation du tarif douanier « ne saurait varier au gré de l’évolution des techniques ». Elle juge qu’il appartient aux institutions compétentes de modifier la nomenclature pour tenir compte des innovations, mais qu’en l’absence de telle modification, le classement doit se fonder sur les caractéristiques et fonctions objectives de la marchandise telles que décrites dans le libellé des positions. Cette approche garantit la stabilité du droit et la sécurité juridique pour les opérateurs économiques, en évitant que le classement d’un produit ne dépende d’interprétations fluctuantes liées à son degré de modernité technologique.
B. La contribution à l’application uniforme du droit douanier
En rendant une décision sur question préjudicielle, la Cour de justice remplit sa mission d’assurer une interprétation et une application uniformes du droit communautaire sur l’ensemble du territoire de l’Union. Le classement tarifaire est une matière où cet impératif est particulièrement prégnant, car des classifications divergentes entre États membres créeraient des distorsions de concurrence et entraveraient le bon fonctionnement du marché intérieur. La solution claire et univoque retenue dans cet arrêt fournit une directive précise non seulement à la juridiction néerlandaise, mais aussi à toutes les administrations douanières de l’Union confrontées à des produits similaires.
De manière significative, la Cour note que son interprétation est corroborée par un règlement de classement adopté postérieurement aux faits du litige, le règlement n° 1165/95, qui a classé des appareils comparables dans la même sous-position 9009 12 00. Bien que non applicable temporellement à l’affaire, cette mention n’est pas fortuite. Elle démontre que la solution de la Cour s’inscrit dans une logique cohérente avec celle du législateur douanier et qu’elle vient consolider une pratique de classement destinée à devenir la norme, renforçant ainsi la prévisibilité et l’homogénéité du droit douanier commun.