Par un arrêt rendu en 1983, la Cour de justice des Communautés européennes a été amenée à se prononcer sur la délimitation des compétences entre le Parlement européen et les gouvernements des États membres concernant la détermination des lieux de travail de l’institution parlementaire. En l’espèce, le Parlement européen avait adopté, le 7 juillet 1981, une résolution visant à organiser ses activités en concentrant ses sessions plénières à Strasbourg et les réunions de ses commissions et groupes politiques à Bruxelles. Cette résolution prévoyait également une révision du fonctionnement de son secrétariat général, installé à Luxembourg, pour s’adapter à cette nouvelle organisation. Un État membre, sur le territoire duquel se trouvait ledit secrétariat, a alors saisi la Cour d’un recours en annulation contre cette résolution, estimant que le Parlement avait outrepassé ses pouvoirs.
La procédure révélait une opposition claire entre les prérogatives revendiquées par les deux parties. L’État membre requérant soutenait que la fixation du siège et des lieux de travail des institutions relevait de la compétence exclusive des États membres, agissant d’un commun accord. Par conséquent, en décidant unilatéralement de la localisation de ses activités, le Parlement aurait empiété sur cette compétence souveraine, violant ainsi les traités et les décisions antérieures prises par les gouvernements, notamment celle de 1965 qui installait le secrétariat général et ses services à Luxembourg. À l’inverse, le Parlement européen faisait valoir son pouvoir d’organisation interne, nécessaire à son bon fonctionnement, surtout face à la carence persistante des États membres à fixer un siège unique comme les y obligent les traités. Il affirmait que sa résolution ne constituait qu’une mesure d’organisation interne respectant le cadre juridique existant, y compris les lieux de travail provisoires établis.
Le problème de droit soumis à la Cour consistait donc à déterminer si le pouvoir d’auto-organisation du Parlement européen lui permettait de prendre des décisions sur la répartition géographique de ses travaux, alors même que la compétence de fixer le siège des institutions est expressément attribuée aux États membres. En d’autres termes, il s’agissait de savoir où se situe la frontière entre la compétence des États membres pour décider du siège et la faculté pour le Parlement d’assurer l’efficacité de son fonctionnement.
La Cour de justice a rejeté le recours, considérant que la résolution litigieuse ne violait pas les décisions des gouvernements des États membres et n’excédait pas la compétence du Parlement. Elle a estimé que si les États membres sont bien compétents pour fixer le siège, le Parlement dispose d’une autonomie pour organiser ses travaux. Cette autonomie lui permet de prendre des mesures pour assurer son bon fonctionnement, à condition de respecter les décisions prises par les États membres, même provisoires. En l’espèce, la Cour a jugé que la décision de tenir toutes les sessions plénières à Strasbourg et les réunions des commissions à Bruxelles ne contrevenait à aucune décision gouvernementale, mais rationalisait des pratiques existantes. Concernant le secrétariat, elle a interprété la résolution non comme une décision de transfert, mais comme une intention de réexaminer son fonctionnement, laquelle devrait, pour sa mise en œuvre future, respecter l’installation du secrétariat à Luxembourg.
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I. La consécration d’une compétence d’auto-organisation du Parlement encadrée par les prérogatives des États membres
La solution dégagée par la Cour repose sur un équilibre délicat, reconnaissant au Parlement un pouvoir d’organisation inhérent à sa fonction (A), tout en le soumettant au respect des décisions prises par les États membres en leur qualité de maîtres des traités (B).
A. La reconnaissance d’un pouvoir inhérent à l’institution parlementaire
La Cour de justice affirme sans ambiguïté que le Parlement dispose d’une compétence propre pour assurer son bon fonctionnement. Elle énonce que « le parlement est autorise a prendre, en vertu du pouvoir D’organisation interne que lui attribue L’article 25 du traite ceca, de meme que les articles 142 du traite CEE et 112 du traite ceea, des mesures appropriees en vue D’assurer son bon fonctionnement et le deroulement de ses procedures ». Cette affirmation consacre l’idée qu’une institution, pour exister pleinement, doit maîtriser son organisation interne. Sans cette capacité, le Parlement serait à la merci d’éventuelles inerties ou de blocages externes, ce qui entraverait l’exercice des missions que les traités lui confient.
Cette compétence n’est pas vue comme une simple faculté administrative, mais comme un corollaire de son statut d’institution politique. Face à la dispersion de ses activités sur trois lieux de travail, source de difficultés logistiques et financières, le Parlement est jugé légitime à chercher des solutions pour rationaliser ses méthodes. La Cour admet ainsi que l’institution ne peut rester passive et subir une situation qu’elle estime préjudiciable à son efficacité. En validant le principe d’une décision sur ses lieux de réunion, la Cour reconnaît au Parlement une marge d’appréciation significative pour déterminer ce qui est nécessaire à l’accomplissement de ses tâches, dépassant une interprétation restrictive de ses pouvoirs.
B. Le respect des décisions des États membres comme limite à cette autonomie
Cependant, cette autonomie fonctionnelle n’est pas absolue. La Cour la place dans un cadre juridique strict défini par les compétences des États membres. L’arrêt souligne que « les decisions du parlement, de son cote, doivent respecter la competence des gouvernements des etats membres de fixer le siege des institutions et les decisions prises provisoirement entre-temps ». Ce principe est ancré dans une obligation plus large de coopération loyale qui s’impose à toutes les institutions et aux États membres. Le Parlement ne peut donc pas, sous couvert d’organisation interne, prendre des mesures qui équivaudraient à fixer lui-même son propre siège, en droit ou en fait.
L’analyse de la Cour est particulièrement éclairante lorsqu’elle examine l’article 4 de la décision de 1965, qui dispose que « le secretariat general de L’assemblee et ses services restent installes a luxembourg ». Elle prévient que « toute decision de transfert, complet ou partiel, en droit ou en fait, du secretariat general du parlement ou de ses services, constituerait une violation » de cette décision. Ainsi, la limite est claire : le Parlement peut aménager le travail de ses services, mais il ne peut pas les délocaliser. Cette distinction entre l’organisation des tâches et le transfert géographique du personnel constitue la clé de voûte de l’équilibre institutionnel que la Cour entend préserver, protégeant les droits de l’État membre hôte.
II. La portée d’une solution pragmatique face à la carence des États membres
Au-delà de son apport sur la répartition des compétences, l’arrêt révèle une approche pragmatique validant les pratiques du Parlement (A) tout en adressant une mise en demeure implicite aux États membres de remplir leurs obligations (B).
A. La validation de la rationalisation du travail parlementaire
En rejetant le recours, la Cour entérine la volonté du Parlement d’optimiser son fonctionnement. Concernant les sessions plénières, elle note que la pratique de se réunir parfois à Luxembourg avait été « decidee par le parlement de sa propre initiative » et n’avait jamais été formellement approuvée par les États membres. Par conséquent, le Parlement était libre d’y mettre fin pour concentrer ses sessions à Strasbourg, lieu historiquement désigné pour cette activité. De même, la tenue des réunions des commissions à Bruxelles est validée comme une pratique établie et jamais contestée, que le Parlement peut légitimement formaliser.
L’interprétation de la Cour concernant le secrétariat est également marquée par le pragmatisme. Elle admet que le Parlement doit pouvoir « maintenir aux differents lieux de travail, en dehors du lieu ou est installe son secretariat, L’infrastructure indispensable pour assurer qu’il puisse remplir, en tous ces endroits, les missions qui lui sont confiees ». Elle accepte donc que des agents soient affectés à Bruxelles ou Strasbourg, à condition que cela ne dépasse pas les besoins du bon fonctionnement et ne constitue pas un transfert déguisé. La résolution est jugée conforme à cette exigence car elle ne décide d’aucune mesure concrète de transfert, mais renvoie à un examen ultérieur, qui devra respecter le cadre juridique existant.
B. Une incitation à l’exercice par les États membres de leur compétence exclusive
Enfin, la portée de l’arrêt dépasse la simple résolution du litige. La décision agit comme un rappel à l’ordre adressé aux États membres. La Cour prend soin de souligner que la compétence de fixer le siège n’est pas seulement un droit, mais une obligation. Elle constate qu’« il est constant que les gouvernements des etats membres N’ont pas encore rempli leur obligation de fixer le siege des institutions, conformement aux dispositions des traites ». En permettant au Parlement d’organiser son travail pour pallier les inconvénients nés de cette carence, la Cour met en évidence les conséquences de l’inaction des gouvernements.
Cette solution peut ainsi être lue comme une incitation à agir. En donnant au Parlement les moyens de fonctionner plus efficacement malgré la dispersion, la Cour évite que l’institution ne soit paralysée. Mais dans le même temps, elle souligne que la situation actuelle reste « provisoire » et que seule une décision unanime des États membres peut y mettre fin. L’arrêt conforte donc le Parlement dans son autonomie fonctionnelle tout en rappelant aux États membres qu’ils demeurent, en dernier ressort, les seuls maîtres de l’architecture institutionnelle et qu’il leur appartient de résoudre définitivement la question du siège.