Arrêt de la Cour du 10 février 1998. – Commission des Communautés européennes contre NTN Corporation et Koyo Seiko Co. Ltd. et Conseil de l’union européenne. – Pourvoi – Dumping – Roulements à billes originaires du Japon. – Affaire C-245/95 P.

Dans un arrêt rendu en matière de pourvoi, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé les modalités d’appréciation du préjudice lors du réexamen de mesures antidumping. En l’espèce, un règlement du Conseil avait institué des droits antidumping définitifs sur les importations de certains produits industriels originaires d’un pays non membre de la Communauté. Plusieurs années plus tard, à la suite d’une demande émanant d’une fédération de producteurs européens, la Commission a ouvert une procédure de réexamen, laquelle a abouti à l’adoption d’un nouveau règlement modifiant les droits applicables à deux entreprises exportatrices. Celles-ci ont alors saisi le Tribunal de première instance d’un recours en annulation de ce nouveau règlement. Le Tribunal a fait droit à leur demande, annulant la disposition litigieuse au motif que les institutions communautaires avaient commis des erreurs dans l’appréciation du préjudice et que la durée de la procédure de réexamen avait été déraisonnable. La Commission a formé un pourvoi contre cet arrêt, tandis qu’une des entreprises intimées a soulevé l’irrecevabilité de ce pourvoi pour tardiveté.

La question de droit soumise à la Cour était double. Il s’agissait de déterminer, d’une part, si une institution communautaire ayant son siège hors du Grand-Duché de Luxembourg mais y ayant élu domicile pour les besoins de la procédure de première instance pouvait bénéficier des délais de procédure augmentés en raison de la distance. D’autre part, et de manière plus fondamentale, il convenait de trancher la question de savoir si, dans le cadre d’un réexamen de mesures antidumping, l’appréciation du préjudice devait obéir aux mêmes critères que ceux prévus pour une enquête initiale, ou si elle pouvait se fonder sur une analyse distincte du risque de réapparition du préjudice. À ces questions, la Cour de justice répond en rejetant le pourvoi. Elle juge d’abord le recours recevable, confirmant que le délai de distance s’applique au lieu du siège réel de l’institution. Sur le fond, elle confirme l’arrêt du Tribunal, en jugeant que l’appréciation du préjudice, même dans le cadre d’un réexamen, doit se conformer aux exigences prévues par le règlement de base pour une enquête initiale.

La solution retenue par la Cour, si elle confirme la position du Tribunal sur le fond, mérite d’être analysée. Elle réaffirme avec force les garanties procédurales et substantielles encadrant le pouvoir des institutions en matière de défense commerciale (I). Cette décision consolide ainsi la protection juridictionnelle des entreprises exportatrices face à une application extensive des règlements antidumping (II).

I. LA RÉAFFIRMATION DES GARANTIES PROCÉDURALES ET SUBSTANTIELLES

L’arrêt commenté apporte une double clarification en matière de procédure antidumping. Après avoir tranché une question procédurale relative aux délais de recours de manière favorable à l’accès au juge (A), la Cour rappelle aux institutions communautaires le cadre strict auquel est soumise leur analyse du préjudice (B).

A. La confirmation d’une conception stricte des délais de procédure

La Cour était d’abord saisie d’une exception d’irrecevabilité soulevée par une des entreprises exportatrices, qui soutenait que le pourvoi de la Commission était tardif. L’argument reposait sur l’idée que l’élection de domicile à Luxembourg pour la procédure de première instance privait la Commission du bénéfice du délai de distance de deux jours accordé aux parties ayant leur siège en Belgique. La Cour rejette cette thèse en opérant une distinction claire entre le domicile élu pour les besoins d’une procédure et la résidence habituelle. Elle énonce que pour l’application des règles sur les délais de distance, « seul est pris en considération le lieu de résidence habituelle de la partie concernée, à l’exclusion de l’endroit où cette partie a élu domicile aux fins de signification ». La Cour ajoute que la procédure de pourvoi est une procédure distincte, pour laquelle une nouvelle élection de domicile est nécessaire. Cette solution pragmatique garantit que le droit à un délai de procédure supplémentaire, destiné à compenser une contrainte géographique réelle, n’est pas neutralisé par une fiction juridique telle que l’élection de domicile. Elle assure ainsi une application uniforme et prévisible des règles de procédure.

B. Le maintien d’une définition rigoureuse du préjudice

Sur le fond, le principal apport de l’arrêt réside dans le rappel des conditions d’appréciation du préjudice. La Commission soutenait que le Tribunal avait commis une erreur de droit en appliquant les critères de l’article 4 du règlement de base, relatifs à une enquête initiale, à une procédure de réexamen. Selon elle, le critère pertinent dans ce second contexte n’était pas l’existence d’un préjudice actuel, mais la probabilité de sa réapparition si les mesures étaient levées. La Cour écarte fermement cette argumentation en s’appuyant sur la structure même du règlement. Elle constate que l’article 14, qui régit le réexamen, renvoie à l’article 7 pour la conduite de l’enquête, et que ce dernier impose un examen conjoint du dumping et du préjudice. Par conséquent, en l’absence de dispositions spécifiques contraires, les critères de définition du préjudice énoncés à l’article 4 doivent s’appliquer. La Cour affirme ainsi qu’« en l’absence de dispositions spécifiques quant à la détermination du préjudice, dans le cadre d’une procédure de réexamen […], un règlement modifiant […] des droits antidumping existants doit établir l’existence d’un préjudice au sens de l’article 4, paragraphe 1, du règlement de base ». Ce faisant, elle refuse de créer une distinction prétorienne entre les types de procédures et soumet les institutions à une obligation de preuve constante et rigoureuse.

En soumettant le réexamen à des exigences probatoires identiques à celles de l’enquête initiale, la Cour ne se limite pas à une interprétation littérale des textes ; elle renforce de manière significative le contrôle juridictionnel exercé sur les actes des institutions.

II. LA CONSOLIDATION DE LA PROTECTION JURIDICTIONNELLE DES ENTREPRISES EXPORTATRICES

La décision de la Cour a pour conséquence directe de renforcer la sécurité juridique pour les opérateurs économiques visés par des mesures de défense commerciale. En refusant de valider une méthode d’analyse du préjudice assouplie (A), elle impose aux institutions une obligation de rigueur dans l’imputation des dommages économiques (B).

A. Le rejet d’une analyse prévisionnelle autonome du préjudice

L’argument de la Commission consistait à promouvoir un critère autonome, celui du « risque de réapparition du préjudice », qui ne figure pas explicitement dans le règlement de base. En rejetant cette approche, la Cour de justice prévient une dérive potentielle qui aurait consisté à maintenir des mesures antidumping sur la base de simples conjectures, sans démonstration factuelle et actuelle conforme aux textes. La Cour ne nie pas la dimension prospective de l’analyse, notamment lorsqu’il s’agit d’évaluer une « menace de préjudice ». Toutefois, elle précise que même cette analyse doit être menée dans le respect des dispositions de l’article 4 du règlement de base. L’arrêt souligne que « même si un critère relatif au risque de réapparition du préjudice ne figure pas dans le règlement de base, il n’en reste pas moins vrai qu’il doit être analysé […] si l’expiration d’une mesure […] pouvait de nouveau conduire à un préjudice ou à une menace de préjudice ». Cependant, la Cour ajoute immédiatement que « cette analyse doit être effectuée en respectant les dispositions de l’article 4 du règlement de base ». La portée de cette précision est considérable : elle interdit aux institutions de s’affranchir des critères légaux d’examen des volumes d’importation, de leurs prix et de leur impact sur l’industrie communautaire, même dans un contexte de réexamen.

B. L’immunisation de l’analyse du préjudice contre les facteurs économiques exogènes

En validant l’approche du Tribunal, la Cour confirme une autre garantie essentielle pour les entreprises exportatrices : l’obligation pour les institutions d’isoler le préjudice causé par le dumping de celui résultant d’autres facteurs. En l’espèce, le Tribunal avait reproché au Conseil d’avoir tenu compte de la récession économique générale pour caractériser le préjudice, ce qui est contraire au règlement de base. La Cour entérine cette analyse en rappelant que, conformément à l’article 4, paragraphe 1, du règlement, « les préjudices causés par d’autres facteurs, tels que […] la contraction de la demande […] ne doivent pas être attribués aux importations qui font l’objet d’un dumping ». Cette règle de non-imputation est fondamentale car elle contraint les institutions à une analyse causale rigoureuse. Elle empêche que des mesures de défense commerciale ne soient utilisées comme un instrument protectionniste pour protéger une industrie communautaire des effets d’une conjoncture économique défavorable qui n’a aucun lien avec d’éventuelles pratiques de dumping. En confirmant ce principe dans le cadre d’un réexamen, la Cour assure que le maintien des droits antidumping reste une mesure exceptionnelle, strictement conditionnée à la preuve d’un lien de causalité direct et avéré entre les importations et le préjudice.

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