Dans l’affaire C-214/89, la Cour de justice des Communautés européennes, par un arrêt du 10 juillet 1991, a interprété l’article 17 de la convention de Bruxelles du 27 septembre 1968. La question portait sur la validité d’une clause attributive de juridiction insérée dans les statuts d’une société anonyme.
Une société de droit anglais avait souscrit des actions d’une société anonyme de droit allemand. Postérieurement à cette première souscription, une assemblée générale des actionnaires a modifié les statuts pour y inclure une clause désignant les tribunaux du lieu du siège social de la société comme compétents pour tout litige entre la société et ses actionnaires. Par la suite, la société anglaise a de nouveau souscrit des actions lors d’augmentations de capital. Après la mise en faillite de la société allemande, le syndic a engagé une action contre l’actionnaire anglais devant le tribunal désigné par la clause statutaire, afin d’obtenir le paiement de sommes dues au titre des souscriptions et le remboursement de dividendes.
L’actionnaire a soulevé l’incompétence du tribunal saisi. Le Landgericht Mainz a rejeté cette exception, et l’affaire a été portée en appel devant l’Oberlandesgericht Koblenz. Cette dernière juridiction, confrontée à une difficulté d’interprétation de la convention de Bruxelles, a saisi la Cour de justice de plusieurs questions préjudicielles.
La question centrale était de savoir si une clause attributive de juridiction, insérée dans les statuts d’une société anonyme, pouvait être qualifiée de convention au sens de l’article 17 de la convention de Bruxelles, et si, en conséquence, elle était opposable à un actionnaire. Il s’agissait également de déterminer si les conditions de forme et de fond de cet article étaient remplies dans un tel contexte.
La Cour y répond par l’affirmative, considérant qu’une telle clause constitue bien une convention au sens de l’article 17. Elle juge que les conditions formelles sont satisfaites dès lors que les statuts sont accessibles à l’actionnaire, et que la condition de détermination du rapport de droit est remplie si la clause vise les litiges entre la société et ses actionnaires en cette qualité. La Cour fonde sa solution sur une interprétation autonome de la notion de convention (I), tout en précisant les conditions de son opposabilité à l’actionnaire (II).
***
I. L’assimilation de la clause statutaire à une convention attributive de juridiction
La Cour de justice établit qu’une clause de juridiction insérée dans les statuts d’une société relève de la notion de convention au sens de l’article 17. Pour y parvenir, elle consacre l’autonomie de cette notion par rapport aux droits nationaux (A), puis la justifie en qualifiant de contractuels les liens qui unissent une société à ses actionnaires (B).
A. L’autonomie de la notion de convention au sens de l’article 17
La Cour est confrontée à la diversité des qualifications nationales concernant la nature juridique des statuts d’une société. Certains ordres juridiques les considèrent comme un contrat, tandis que d’autres leur attribuent une nature institutionnelle ou normative. Plutôt que de s’en remettre à une de ces qualifications, la Cour opte pour une interprétation autonome, considérant qu’il est essentiel de « ne pas interpréter la notion de « convention attributive de juridiction » comme un simple renvoi au droit interne de l’un ou l’autre des États concernés ». Cette démarche vise à garantir l’uniformité d’application de la convention de Bruxelles et à préserver son plein effet, conformément aux objectifs de l’article 220 du traité CEE.
En traitant la « convention attributive de juridiction » comme une notion autonome, la Cour s’assure que les droits et obligations découlant de l’instrument communautaire demeurent égaux et uniformes pour tous les justiciables de l’Union. Cette approche pragmatique permet de dépasser les divergences des droits nationaux qui pourraient compromettre la prévisibilité et la sécurité juridique recherchées par la convention. Le choix de l’autonomie interprétative constitue ainsi la pierre angulaire du raisonnement qui permet à la Cour d’intégrer la clause statutaire dans le champ de l’article 17.
B. La nature contractuelle des liens entre la société et ses actionnaires
Pour justifier sa solution, la Cour qualifie la relation entre la société et ses actionnaires. Elle établit un parallèle avec sa jurisprudence antérieure, notamment l’arrêt *Peters* du 22 mars 1983, où les obligations d’un membre envers une association avaient été jugées de nature contractuelle. De la même manière, la Cour estime que « les liens existant entre les actionnaires d’une société sont comparables à ceux qui existent entre les parties à un contrat ». La constitution d’une société matérialise une communauté d’intérêts et la poursuite d’un objectif commun, créant entre les actionnaires et la société des droits et obligations réciproques.
Dans cette perspective, les statuts sont considérés, pour l’application de la convention, comme « un contrat régissant à la fois les rapports entre les actionnaires et les rapports entre ceux-ci et la société qu’ils créent ». Par conséquent, la clause attributive de juridiction qu’ils contiennent est une manifestation de cet accord. Peu importe que l’actionnaire ait acquis ses titres avant ou après l’insertion de la clause, ou qu’il s’y soit opposé ; en devenant et en demeurant actionnaire, il consent à l’ensemble des dispositions statutaires.
II. La portée de l’opposabilité de la clause statutaire à l’actionnaire
Après avoir établi le principe de l’assimilation de la clause statutaire à une convention, la Cour en précise les modalités d’application. Elle adapte les exigences de forme de l’article 17 au contexte particulier du droit des sociétés (A), tout en rappelant la nécessité de délimiter le champ d’application matériel de la clause (B).
A. L’assouplissement des exigences formelles de l’article 17
L’article 17 impose des conditions de forme strictes, comme l’écrit, visant à garantir que le consentement des parties est clairement établi. La Cour reconnaît que la situation d’un actionnaire vis-à-vis des statuts est distincte de celle d’une partie face aux conditions générales d’un contrat de vente. Elle observe que les statuts revêtent systématiquement une forme écrite et sont publics. Toute personne qui acquiert la qualité d’actionnaire « sait, ou doit savoir, qu’elle est liée par les statuts de cette société ».
Dès lors, la Cour considère que les exigences de forme sont remplies à l’égard de tout actionnaire, « dès lors que la clause attributive de juridiction figure dans les statuts de la société et que ces statuts sont déposés en un lieu auquel l’actionnaire peut avoir accès ou figurent dans un registre public ». Cette solution pragmatique adapte l’exigence formelle à la réalité du droit des sociétés. Le consentement de l’actionnaire n’est pas manifesté par une signature individuelle, mais il est présumé de manière irréfragable du fait de son entrée dans la communauté des actionnaires et de l’accessibilité des règles qui la régissent.
B. La délimitation du champ d’application matériel de la clause
La Cour rappelle que l’article 17 exige que la convention attributive de juridiction concerne des différends nés ou à naître « à l’occasion d’un rapport de droit déterminé ». Cette condition vise à éviter qu’une partie soit attraite devant un for pour des litiges sans lien avec le rapport de droit initial. Appliquée au cas d’espèce, cette exigence est satisfaite si la clause statutaire peut être interprétée comme se référant « aux différends qui opposent la société à ses actionnaires en tant que tels ».
La clause doit donc se limiter aux litiges découlant de la relation sociétaire elle-même, comme ceux relatifs à la libération du capital, à la validité d’une décision d’assemblée générale ou à la distribution de dividendes. La Cour de justice laisse cependant au juge national le soin d’interpréter la clause litigieuse pour déterminer si les actions en recouvrement et en remboursement de dividendes entrent bien dans son champ d’application. En cela, elle respecte la répartition des compétences entre elle et les juridictions nationales, en fournissant le cadre d’interprétation tout en laissant au juge du fond l’application aux faits de l’espèce.