Par un arrêt en date du 23 juillet 1991, la Cour de justice des Communautés européennes s’est prononcée sur les exigences de la transposition en droit interne d’une directive relative à la qualité de l’air. En l’espèce, une directive communautaire fixait des normes pour la concentration de dioxyde d’azote dans l’atmosphère, tout en autorisant les États membres à établir des valeurs plus strictes sur leur territoire. L’exercice de cette faculté était cependant conditionné, pour les zones frontalières, par une obligation de consultation préalable avec les États membres voisins. Un État membre a transposé la directive dans son ordre juridique interne par un arrêté royal. Cet arrêté intégrait bien la faculté de fixer des normes plus sévères, mais il omettait de mentionner l’obligation de consultation qui devait l’accompagner. Saisie par la Commission, la Cour de justice a été amenée à examiner si cette transposition partielle constituait un manquement aux obligations découlant du traité. L’État membre mis en cause soutenait ne pas avoir l’intention d’user de la faculté de durcir les normes, rendant ainsi, selon lui, la transposition de l’obligation de consultation superflue. La question de droit soumise à la Cour était donc de déterminer si la transposition d’une faculté prévue par une directive peut être considérée comme complète et correcte en l’absence de la transcription simultanée de l’obligation procédurale qui en conditionne l’exercice. La Cour a jugé qu’une telle omission constituait une mise en œuvre incomplète de la directive. Elle a estimé que la transposition de l’article conférant une faculté aux États membres, sans celle de l’article prévoyant une obligation afférente à l’exercice de cette même faculté, ne satisfaisait pas aux exigences du droit communautaire.
L’analyse de cette décision révèle la consécration d’un lien indissociable entre une prérogative accordée par une directive et les devoirs procéduraux qui l’encadrent (I). Cette position rigoureuse de la Cour a pour conséquence de renforcer le contrôle exercé sur l’exigence de transposition complète et effective du droit de l’Union dans les ordres juridiques nationaux (II).
I. La consécration du lien indissociable entre une faculté et son obligation procédurale corrélative
La Cour établit clairement que la faculté d’adopter des normes plus strictes et l’obligation de consultation forment un tout indivisible, cette interdépendance garantissant l’effet utile de la directive (A). Par conséquent, elle écarte logiquement la validité d’une transposition qui se fonderait sur la simple intention politique de l’État membre (B).
A. L’interdépendance des dispositions comme garantie de l’effet utile de la directive
Le raisonnement de la Cour repose sur l’idée que les différentes dispositions d’une directive ne sont pas des éléments isolés, mais participent d’une logique d’ensemble visant à atteindre un objectif commun. En l’occurrence, la protection de la santé humaine et de l’environnement contre la pollution atmosphérique. La Cour considère ainsi que « les obligations contenues à l’article 11 de la directive constituent le corollaire du droit que l’article 4 confère aux États membres ». En liant la faculté de fixer des valeurs limites plus basses à l’obligation de consulter les États voisins, la directive vise à prévenir les situations où les efforts d’un État seraient rendus vains par la pollution transfrontalière provenant d’un autre. L’obligation de consultation n’est donc pas une simple formalité, mais un mécanisme essentiel pour assurer la cohérence et l’efficacité de l’action environnementale au sein de l’Union, particulièrement dans les zones frontalières. Dissocier les deux dispositions reviendrait à priver la faculté de son plein potentiel et à compromettre l’objectif de protection visé par la directive. La Cour souligne ainsi que l’effet utile de l’instrument communautaire ne saurait être assuré sans que l’ensemble des mécanismes prévus soit correctement transposé.
B. Le rejet d’une transposition fondée sur une simple intention politique
Face à l’argument de l’État défendeur selon lequel il n’envisageait pas d’utiliser la faculté de durcir les normes, la Cour oppose une fin de non-recevoir. Elle refuse de faire dépendre l’obligation de transposition de l’intention, par nature subjective et changeante, d’un gouvernement. La transposition d’une directive doit créer une situation juridique claire, stable et prévisible. Elle ne peut être laissée à la discrétion des autorités nationales en fonction de leurs politiques conjoncturelles. En affirmant cela, la Cour rappelle que le droit de l’Union doit être intégré dans l’ordre juridique des États membres de manière formelle et non équivoque. Permettre à un État de ne pas transposer une obligation au motif qu’il ne prévoit pas de se trouver dans la situation où elle s’appliquerait créerait une insécurité juridique inacceptable. Cela reviendrait à admettre qu’un changement de politique pourrait conduire à l’application d’une faculté sans que le cadre procédural garantissant les droits des États voisins et l’efficacité de la mesure soit en place.
En écartant l’argument de l’intention, la Cour renforce l’exigence d’une transcription formelle et exhaustive du droit de l’Union, ce qui met en lumière la rigueur de son contrôle sur l’effectivité de la transposition.
II. La portée du contrôle sur l’exigence de transposition complète et effective
La décision illustre l’étendue du contrôle opéré par la Cour, qui va au-delà d’une simple vérification formelle. Elle juge insuffisante l’existence d’une simple pratique administrative ou d’un cadre constitutionnel général pour satisfaire à l’obligation de transposition (A). En définitive, elle affirme l’impératif de sécurité juridique comme fondement de l’obligation de transposition pour tous les États membres (B).
A. L’insuffisance d’une pratique administrative ou d’un cadre constitutionnel général
L’État membre soutenait également que si ses autorités décidaient d’appliquer des normes plus strictes, une consultation aurait lieu conformément à sa Constitution et à la logique de l’action administrative. La Cour rejette cet argument en soulignant que la simple possibilité ou la probabilité d’une consultation ne saurait remplacer une obligation juridique explicite. Elle relève qu’« aucune disposition de la Constitution belge n’impose de procéder à des consultations telles que prévues par l’article 11 de la directive ». La transposition exige l’adoption de dispositions législatives, réglementaires ou administratives contraignantes, spécifiques et suffisamment précises. Un cadre juridique général ou une pratique non formalisée ne présentent pas les garanties de certitude et de publicité nécessaires pour que les droits et obligations découlant d’une directive soient pleinement effectifs. La Cour réaffirme ainsi sa jurisprudence constante selon laquelle la transposition doit garantir la pleine application de la directive de manière suffisamment claire et précise pour permettre aux justiciables de connaître leurs droits et obligations.
B. L’affirmation d’une obligation de sécurité juridique pour tous les États membres
Au-delà de l’espèce, cet arrêt a une portée de principe en ce qu’il rappelle que l’obligation de transposition est une manifestation essentielle du principe de sécurité juridique. Pour la Cour, il est « indispensable que l’État membre concerné prévoie expressément dans sa législation » les mécanismes de consultation prévus par la directive. Cette exigence de prévisibilité est cruciale non seulement pour les citoyens, mais aussi pour les autres États membres qui doivent pouvoir compter sur l’existence d’un cadre juridique harmonisé et fiable. Une transposition incomplète crée une asymétrie et une incertitude préjudiciables au bon fonctionnement du marché intérieur et à la réalisation des politiques communes. En jugeant qu’une omission, même portant sur une obligation conditionnelle, constitue un manquement, la Cour adopte une interprétation stricte de l’article 189 du traité CEE (devenu l’article 288 du TFUE). Elle confirme que les États ne disposent d’aucune marge d’appréciation quant à l’opportunité de transposer l’intégralité des dispositions d’une directive, qu’elles confèrent des droits, des facultés ou imposent des obligations.